Qu’Epsilon réaffirma posséder son propre Paradoxe ne l’étonna pas. Qu’elle ait des informations sur plusieurs Paradoxes … Pas vraiment non plus, en fait. Hadrian n’avait beau ne pas s’en souvenir consciemment — c’était peut-être encore mieux, d’ailleurs, de ne pas avoir ces sentiments de déception et de frustration qui avaient alors abîmé ses mots —, il savait que Lexy et toute la clique des Victinis avaient déjà certaines informations sur ces Pokémon, qu’ils avaient refusé de leur divulguer. Et en entendant la menace à peine dissimulée dans la voix de la femme, l’ataréen n’émit qu’un petit rire nasal, sans se départir de sa tranquillité apparente, faussement offensé.

« Évidemment. Ai-je vraiment l’air de quelqu’un qui accepte la charité ? » Choqué, déçu !

L’affiliation d’Ata avec le Groupe n’avait toujours été que purement transactionnelle. Elle ne lui proposait là rien de nouveau.

Là-dessus, Epsilon s’était arrêtée dans sa marche et lui avait tendu la main. Hadrian regarda cette dernière peut-être une fraction de seconde, tel le dévoué Lancelot devant la Charrette de l’Infamie, une fossette au coin de l’œil droit, l’air de se dire, c’est bien formel, tout ça, non ? Luttant aussi contre la retenue psychique d’Utamanha qui tirait (tirait) instinctivement (se rappelant du danger que représentait cette femme pour son Dresseur, la flamme dévorante dans ses yeux comme le Feu d’Enfer de son canidé). Qu’importe. C’était une nécessité pour atteindre son objectif. Il laisserait la culpabilité à ses multiples soi du futur.

Ata commença à tendre la main à son tour, ses doigts presque taquinant l’espace entre les deux. « Pour toi, » dit-il et son regard fila un instant vers le reste du couloir, où l’on commençait à entendre les pas des trois autres Victini en approche, « c’est un deal ! » La poignée de main fût franche, peut-être trop franche — il n’y pouvait rien, d’avoir perdu la nette sensation au bout de ses doigts —, mais brève, coupée sitôt les silhouettes visibles.

De toute façon, ce n’était pas comme si les informations retrouvées aujourd’hui avaient la moindre valeur.

Après tout, comment croire que ce qu’il y avait sur cette clé pouvait contenir une once de vérité, quand Trismegis avait utilisé cette intelligence spécialement pour tenter de les attraper, comme une carotte au bout d’un bâton ? Hadrian s’y attendait. Que ce soit Azusa Harushige, le Champion d’Atara, à la tête de cette opération, était sans doute le plus surprenant. Et le plus écœurant, aussi. Atara, c’était son district. Le musicien n’avait pas le droit de laisser la main de Bedwyr le toucher.

L’ataréen attendit à peine qu’Azusa eut fini de frimer. « Oh, la ferme. » Ce n’était, certes, pas sa meilleure répartie. « On a compris, t’as fait ça tout seul comme un grand, bravo. Tu veux un biscuit ? » Il n’avait pas haussé la voix, et pourtant l’ennui et le sarcasme dégoulinaient à travers son masque ; si ça n’avait pas été pour l’écran entre eux qui protégeait le visage du musicien, il lui aurait sûrement craché à la gueule.

Hadrian n’eut pas le temps de poursuivre avant que Lexy ne leur ordonne de mettre les voiles. Conscient de l’enjeu, bien tangible cette fois, il fit ce qu’on lui demanda, Utamanha en éclaireuse, projetant une faible lumière du bout de ses six doigts pour tenter le guide son Dresseur — suivrait qui pourrait.

Mais au fur et à mesure qu’ils approchaient du bout du couloir, un autre bruit l’alerta et l’incita à ralentir … Une cacophonie, en vérité, et l’ataréen s’arrêta à son tour à la sortie de l’escalier, pour se couvrir les oreilles du mieux qu’il put, à défaut de pouvoir se couvrir la figure, alors que la bile remontait déjà dans sa gorge. Sous eux : un Brouhabam et un Salarsen. Lexy hurla quelque chose qu’il n’entendit pas — il vit seulement sa bouche bouger dans le vide, et n’eut pas grand mal à comprendre ce que la stratège essayait de faire comprendre. Ça ne relevait pas d’une grande capacité de déduction. Il fallait mettre les deux Pokémon d’Azusa hors d’état de nuire. D’accord, mais comment …

(Mélo.)

Ah ! Aucune chance. Hadrian n’avait jamais combattu, et ce n’était pas le moment de s’improviser Challenger, encore moins avec un Pokémon dont il ne se souvenait pas. Pourquoi il ne s'en souvenait pas ? Et d’ailleurs, la stratège et le type aux cheveux verts dont pour l’heure le nom était le cadet de ses soucis, avaient l’air d’avoir déjà la situation bien en main. Pourtant, vieux réflexe de son enfance, sa main chercha la Poké Ball … Hors de question de mettre la Lewsor en danger. Ses doigts lui semblaient glisser contre la coquille de verre, s’échapper …

(Tant pis. Une situation d’urgence en appelle à des moyens d’urgence. Elle se préoccuperait des conséquences plus tard.) Utamanha força le passage ; le bras d’Ata se verrouilla en arrière, avant de lancer la Poké Ball droit devant lui, libérant le Pokémon providentiel.

« … Mé—é ? »

Hévélie le Mélo s’ébroua — c’était la première fois qu’il sortait d’une Poké Ball, et la sensation de retrouver son corps le chatouillait un peu —, ouvrit un œil, puis l’autre, et se mit sur la pointe de ses pattes, les oreilles dressées. Il écouta le hurlement du Brouhabam, l’écho assourdissant dans ses cornes, le bruit de guitare sur la poitrine gonflée du Salarsen. Par la toute-puissante dame de la lleuad, c’était …

Un concert !

Sans doute qu’un autre Mélo aurait trouvé ça abominable, à juste titre, mais Hévélie adorait, et n'eut pas besoin de se faire prier pour se joindre à la fête. Et quoi de mieux pour célébrer un concert qu’une pluie d’étoiles ? Comme son orchestre de Mélofée le lui avait appris, il commença à se dandiner d’une patte sur l’autre, le doigt dressé vers le ciel, soulevant un tourbillon de poussière de fée autour de lui. « Mélo—o … ! » Et de le pointer contre le Brouhabam comme une baguette magique !

La poussière blanche s’évanouit, crépitant faiblement, telle une prise qu’on venait de court-circuiter.

Il y eut un moment de flottement qui sembla durer une éternité ou deux. Hévélie lui-même secoua son propre doigt de bas en haut pour réactiver la machine, tout aussi perplexe. Mé ? C’était censé pourtant fonctionner … Avant qu’un autre son ne commence à se faire entendre. Comme un bruit … De flammes, et qui était distinctement en train de descendre sur eux. Utamanha eut la présence d’esprit d’étendre un champ de protection psychique autour du groupe, poussant également sur la Mesmérella de la stratège, pour que ça ne—


La poussière métallique envahit l’espace quelques instants, s’éclatant contre la barrière psychique comme une vague. Derrière ce nuage, il y avait un nouveau halo au plafond ; un trou d’une précision géométrique avait été percé, laissant passer la fin du jour à l’intérieur du bâtiment. Et puis, en baissant les yeux, en suivant la trajectoire du rai de lumière, Hadrian se rendit compte …

Un Météno venait de traverser la tôle, percutant à pleine vitesse le dos du Brouhabam.

Un sourire plus que précaire revint à l’ataréen alors qu’il se tourna vers les autres Victini. « … J’crois. Que c’est réglé pour lui. »



- Utamanha se sert de la lumière que ses doigts émettent naturellement pour apporter un peu de luminosité sur leur chemin jusqu’aux escaliers. La lumière n’est cependante pas très intense.
- Elle protège son Dresseur d’une barrière psychique pour éviter la poussière et les dommages collatéraux suite à la chute du Météno, et part du principe que la Mesmérella de Lexy va l’aider à étendre ce champ psychique sur les autres Victini présents.


- Hévélie (Mélo) utilise Métronome et invoque accidentellement Météno. Ce dernier percute de plein fouet le Brouhabam pour l’assommer, au moins temporairement.
- Le Météno lui-même est inactif.

ft. Victini Uthyrgham ‥ ∴ · ∴·