TW : Transphobie

J’avais confiance en l’entraînement de Lydia. Mais cette confiance ne suffisait pas à me sentir rassuré-e. Et si elle perdait ? Qu’allaient-ils faire de nous ? Hors de question que je me laisse tripoter par ces gros dégueux. En plus, ils allaient découvrir que je suis assigné-e garçon à la naissance, et ça risquerait de les dégoûter, et au pire, de les rendre violents. Je n’avais pas trop envie de me faire tabasser, aujourd’hui, honnêtement.

J’en sentais un qui m’observait avec une expression qui m’était inconnue. En tout cas, ça me dégoûtait, alors je lui lançai un regard sombre, détournant rapidement le regard pour suivre Lydia en lui tenant la main, jusque dans la salle de combat où nous avions pu nous séparer. Je sentais toujours le regard d’un des amis du type que Lydia combattait. J’allais lui mettre un peu ce pied là où je pense, s’il daigne tenter quoi que ce soit. j’étais terriblement mal à l’aise. Surtout lorsque j’entendis provenant de sa bouche, murmurant à son pote : “Elle est mignonne celle-là. J’aime bien les tsundere dans son genre…” Un long frisson avait traversé mon échine. J’allais décidément faire une prière à Ho-Oh et tout le Panthéon Pokémon pour que Lydia écrase son adversaire. Sinon, j’allais faire un arrêt cardiaque de dégoût.

Je laissai échapper un petit rire mesquin lorsqu’elle mit au tapis son adversaire la première fois. Il n’allait pas faire long feu. Je gardais un œil sur le compteur de points. Hors de question qu’il gagne. Lydia était de toute façon beaucoup plus forte que lui.

La seconde fois, j’étais plus ouvert-e dans mon rire, et les deux autres l’avaient remarqué. Est-ce que ma voix était trop grave ? Qu’importe. Maintenant, il fallait que Lydia en vienne aux coups. Je lui faisais entièrement confiance.

Pourtant… Pourtant, même son adversaire commençait à la prendre au sérieux et le combat n’était plus vraiment à sens unique. Je paniquais, me raidissant sur place. Je finis par élever la voix, peut-être un peu trop fortement. Rien ne sonnait féminin, dans cette voix.

“Lydia, défonce-le !!”, lui criais-je, ne sachant pas si elle pourrait m’entendre de là où je suis. Par contre, les deux autres moches commençaient à me dévisager sérieusement.

"Dis. t'es quoi, au juste ? Un travelo ? Un trans ?", demanda l'un des deux d'une voix menaçante.

Je me raidis. J'étais sur le point de sortir ma lame de ma poche, même si je risquais d'être embarquée par les flics.

"Perso, je m'en fous, c'est complètement mon genre ! C'est qu'un détail, ce qu'il y a dans sa culotte, pour moi.", répondit l'autre, moins perturbé.

Au moins, celui-là n'était pas pire que l'autre, même si ce qu'il disait me paraissait désagréable. Je leur lançais à tour de rôle un regard mauvais. Je réfléchissais à quoi dire, tentant de ne pas les insulter, et espérant ne pas leur sauter à la gorge par réflexe.

"J'ai déjà un copain, donc si vous me touchez, il risque de vous arracher les yeux et de vous les fourrer au fond de la gorge pour que vous vous étouffiez avec.", leur lançais-je d'une voix douce que j'avais plutôt bien réussi à féminiser, cette fois. Mon sourire était tout sauf rassurant, ce qui les dissuada légèrement de m'approcher.

"Complètement taré, en fait, le trav..."

"Oh, ta gueule, c'est une meuf, point !"

Comme quoi, la violence verbale suffisait, parfois. J'étais plutôt fier-e de moi !

Même si l’autre abruti qui combattait Lydia ne se laissait pas entièrement faire, elle menait la danse. C’était elle qui dirigeait et elle qui dominait le jeu. Elle avait maintenant gagné. Elle m’avait très vite rejoint, et le type qui avait perdu - le gros nul - avait rejoint ses potes, partant ensuite sans faire vraiment d’histoires. Un petit sourire satisfaisant se lisait sur mon visage.

“Nan, tranquille, ça va. Enfin… L’un des deux m’a insulté de travelo, et l’autre voulait limite me tripoter. Je leur ai fait croire que j’avais un copain capable de les découper, s’ils osaient me toucher. Bizarrement, ça les a fait fuir.”

Je commençai à rire, relâchant un peu la pression et l’appréhension que j’avais pu ressentir lorsque j’étais tout-e seul-e. J’étais plutôt satisfait-e d’avoir réussi à me défendre oralement, et seulement oralement. Je crois que si j’avais été de mauvaise humeur, j’en serais venu-e aux poings.

“Uh… J’pense qu’on va bouger. On devait faire quoi, ensuite ? Aller à la pharmacie chercher de la teinture ? J’ai du mal à retenir les tâches que j’ai à faire dans une journée. Sauf si je note tout.”

C’était l’un des symptômes courants des troubles de l’attention, j’avais l’habitude de gérer ça en me faisant des notes sur mon Holomontre. Sans attendre un instant de plus, je sortis de la salle de jeux, direction la pharmacie du quartier. Et sans surprise, je m’étais directement dirigée vers le rayon des cheveux et colorations. Je ne savais pas trop quel rouge choisir, alors j’avais pris les deux dans les mains pour comparer.

“Mh… Rouge Coquelicot ou Rouge Écarlate ? Le dernier est peut-être trop vif et tape-à-l’oeil.”, réfléchis-je, attendant de Lydia qu’elle me conseille.

Gueuler très fort. Pas trop mon truc. Je préférais ne pas attirer l'attention, même si en cas de danger avec des types pareil, ça pouvait plutôt bien marcher. Dans tous les cas, je les avais menacé assez bien pour qu'ils me laissent tranquille. Si cette technique fonctionnait, je ne voyais pas bien pourquoi je la changerais. Je gardais tout de même ça dans un coin de ma tête. Peut-être que ça m'éviterait d'être en tort, si un jour je devais rendre les coups un peu trop fort.

“Je vais m'en tenir à juste espérer qu'on m'emmerde pas à ce point. Je pense que ça vaut mieux autant pour eux que pour moi.”, avouais-je avec un peu d’embarras.

Aucune envie d'être exposée sur les réseaux sociaux, si c'était pour que mon père me voit habillé-e ainsi. Je voulais lui en parler, évidemment, mais pas maintenant. J'avais trop peur qu'il ne comprenne pas et soit déçu de ne pas avoir un fils. Je n’avais aucune idée de s’il était ouvert, à ce sujet. Il n’était pas un gros cliché viril, mais il restait quand même très masculin.

Direction la pharmacie pour obtenir de la teinture, du coup. Comme j'avais beaucoup d'hésitation, j'avais demandé son avis en comparant visuellement les deux couleurs, chacune dans une main différente, et un air interrogatif très sérieux sur le visage.

“Le plus vif, alors. Puis, faut que je décolore mes cheveux, avant. C'est le souci avec les cheveux noirs. Y'a rien qui tient dessus, du coup.”

Je mis donc la teinture écarlate dans mon panier, prenant également de la poudre de décoloration ainsi que le produit à mélanger avec. Ça coûtait un peu cher… J'allais devoir restreindre mon budget livres ce mois-ci, c'est chiant ! C’était à croire qu’on pouvait pas se cultiver et prendre soin de ses cheveux en même temps. Avec mon budget très restreint, il fallait faire un choix, pour le moment.

“On a tout ce qu'il faut, j'crois ?”, demandais-je pour être sûr-e. “Mais on peut prendre des trucs à bouffer pour ce soir, ouais. Même si mon père devrait cuisiner.”

Sortant de la pharmacie, nous nous dirigions vers la quartier dans lequel je vivais. Assez moyen. Ni très riche, ni très pauvre, avec quelques cassures dans les rues. Le bordel avec les Paradoxe, c’était y’a un mois et demi, après tout. Tout n’avait pas encore été réparé, vu le prix et le personnel que ça demandait. Je m’arrêtais devant la supérette de quartier et me tournai vers Lydia.

“Ah. Euh. Mon père rentre d’ici une heure, donc faudra que je me change et me démaquille avant qu’il rentre. Au pire, s’il est déjà là, on dira que c’est toi qui m’as déguisé-e.”

Parce que je ne me sentais pas prêt-e de lui dire. Si par malheur ça venait à échapper de la bouche de Lydia, j’allais fondre sur place, alors autant prendre mes précautions. Sans un mot de plus, j’entrai dans la boutique, à la recherche de boissons et de gâteaux à grignoter ce soir après manger.

“Ah bah si ! Imagine écrire au rouge sur une feuille noire. On peut pas dire que ça marche super bien. Puis les cheveux, ils sont capricieux, avec les couleurs, j’crois.”

Argument imparable de ma part, pour expliquer les désavantages des cheveux d’ébène comparés aux cheveux dorés… Mais heureusement, comme elle le disait, je pensais à tout. C'était pas toujours le cas, comme j'étais dissipé-e au quotidien.

J'appris sur le chemin du retour que Lydia était incapable de cuisiner. Forcément, le tout-prêt coûtait cher. Vraiment trop cher. Et ça restait meilleur pour la santé, de tout faire soi-même. On sait ce qu'on met dans les plats, au moins. Elle devait avoir trouvé une gamme de produits spéciaux pour que ça soit également équilibré de son côté.

“Oui, il sait faire, même si c'est pas un pro. Encore heureux ! Mais sa spécialité, c'est surtout les desserts et les pâtisseries, j'dirais. Je l'aide un peu, des fois. Je me débrouille, quand j'ai une recette à côté.”

Parce que sinon je me disperse, et je fais des plats vraiment mal cuits, ou avec des quantités illogiques, et d’une couleur anormale. Je savais très bien me débrouiller, à part ça, et c'était tant mieux. Un jour, je vivrai sans doute par moi-même, même si ça me semble difficile à imaginer.

“Merci.”, répondis-je seulement, le rose aux joues, ravi-e qu'elle comprenne ma pudeur vis-à-vis de mon identité de genre. Après tout, je me cherchais encore.

Nous étions bien arrivés avant. L'appartement était plutôt moderne, monochrome, avec des meubles en très bon état. Un appartement de riches, on pourrait dire. J'avais donc laissé Lydia découvrir l'endroit où je vivais pour aller me changer et me démaquiller. Je n'en avais pas eu pour très longtemps.

Mon père avait fini par arriver. Il était un homme en fin de trentaine, d’un mètre soixante-neuf, tout au plus. Pas très grand, mais sportif, et par conséquent musclé. Malgré tout, son visage avait des traits plutôt fins. Ses yeux d’azur étaient entourés de longs cils. Quant à ses cheveux, il était long et bleu clair, lui arrivant jusqu’aux épaules, bien qu’ils soient attachés la plupart du temps. Objectivement, c’était un bel homme, je dirais. Je me demandais pourquoi il était encore célibataire, d’ailleurs, mais ça le regarde, ça.

Ayant terminé de me changer, j'entendais ma camarade aux cheveux blonds et mon père discuter. Sans un bruit, j'écoutais ce qu'ils se disaient.

“Bonjour Lydia ! Ravi de t'accueillir. C'est rare que Fēi invite des amis de sa classe, je ne pouvais pas refuser.”

En fait, s'il acceptait, c'est aussi parce qu'il était également orphelin et que l'histoire de mon amie l'avait beaucoup ému. Il était très altruiste. Sans doute pour ça qu'il m'avait adopté.

“Je me demandais. Qu'est-ce que tu aimes manger ? Je n'ai pas vraiment d'idées pour ce soir, alors autant te faire plaisir, puisque tu es l'invitée.”

Il était toujours très poli et serviable, avec les inconnus. Limite trop, en fait. Enfin, c'était mon avis. J'apparus d'un coup, ne sachant pas trop où me placer, alors que j'étais littéralement chez moi.

“Le foyer dans lequel tu loges est plutôt permissif, c'est bien. À Kôyô, les adolescents n'avaient pas beaucoup de droits, en comparaison.”

Il n'avait jamais trouvé de familles d'accueil, lui. Parce qu'il n'était pas un jeune enfant, encore moins un bébé. D'ailleurs, tant mieux qu'il ne se doute de rien quant à la “fugue” de Lydia… Il était intransigeant au niveau des règles. Surtout quand ça joue avec la légalité.

“Ouais, c'est vrai. Ils peuvent sortir quand ils veulent, du moment qu'ils préviennent. Sauf la nuit, normal.”, continuais-je, mes turquoises se plongeant difficilement dans le cyan des siens. Signe que j’étais dans le mensonge. J'aimais pas lui mentir, mais c'était pour le bien être de mon amie. Pourtant, c’était passé. Il ne se doutait de rien.

Le plat choisi par Lydia était facile à faire ! Aucune chance que mon père refuse. Si même moi je savais le faire, n'importe qui en serait capable, non ? En tout cas, mon père avait hoché la tête, attendant patiemment que Lydia ait terminé sa longue tirade avant de reprendre la parole. Peut-être qu'une lueur rassurée s'était allumée dans ses yeux bleus, mais c'était assez discret pour que Lydia ne remarque rien. Un plat trop compliqué à élaborer, ça foutait la pression.

“Fēi pourrait te donner des cours de cuisine !”, réussit-il à caser à un moment, de justesse. “J'ajouterai des légumes dedans, ce sera encore meilleur, tu as raison.”, ajouta mon père, assez peu habitué aux adolescents bavards, en fait. En même temps avec moi, c'était souvent le silence et deux ou trois mots. C'était rare qu'il m’entende parler délibérément pendant des heures pour rien. “Et pour le dessert, je peux voir pour faire une tarte aux pommes, si tu aimes ça ?”

Les desserts, il en faisait souvent. C'était son truc à lui. Même s'il faisait toujours attention à ce que ça soit équilibré, quand même.

“Continue d'être sage, du coup. Qu'on puisse sortir en dehors des cours plus souvent.”, tentais-je de l'encourager alors que j'adorais qu'elle me raconte comment elle se bagarrait avec les autres, et surtout quand elle agaçait les adultes en trouvant des failles dans leur règlement.

“Tu es bientôt majeure, tu devrais vite trouver ton autonomie, Lydia. Les orphelinats et autres centres de jeunesse sont agaçants, j'en conçois. En tout cas, profite bien de ton séjour ici.  Je vais commencer à préparer le repas, je vous appellerai quand ce sera prêt !”

On pouvait presque sentir qu'il en savait quelque chose. Le voilà parti dans la cuisine, alors que j'aurais dû lui demander pour ma couleur ainsi que celle de Lydia. …Ce sera pour le repas. En espérant que ça lui fasse pas avaler de travers, mon idée capillaire.

“Tu veux aller dans la salle de sport ? Le temps qu'on aille manger.”, proposais-je en sachant que ça allait l'intéresser, de se dépenser quelques minutes avant de bien manger.