Je n’avais pas regardé en arrière. Pas un seul instant. Devant moi, pourtant, il n’y avait que du sable. Rien de concrètement intéressant et réjouissant, mais je ressentais tout de même une certaine euphorie à en sauter dans les dunes. mais comme je n’avais pas très envie de me retrouver avec du sable plein les vêtements et surtout, plein les bottes, je restai plutôt tranquille.

La chaleur battait son plein. J’y étais préparé depuis deux bons mois, à partir de ma ville natale. Ville que je n’avais pratiquement pas quittée. Habitué aux rues sombres - et bien trop sombres, croyez-moi - de Lapis-Cité, j’avais eu du mal à ouvrir les yeux dans un premier temps. Les lunettes de soleil, j’aurais peut-être dû y penser ! Mais comme on n’en a que très peu besoin, en bas… Voilà, quoi.

L’euphorie, tiens donc ? Vous voulez qu’on revienne là-dessus ? D’accord. Un sentiment qui n’était pas spécialement familier, surtout ces derniers temps. Pourtant, c’était bien le cas. Je ressentais une joie lancinante depuis que mon oncle m’avait contacté. Cracher (probablement) mon sel avec une personne de confiance me ferait le plus grand bien. J’étais loin de l’ado de dix-sept ans qui venait de se faire foutre dehors, mais je n’avais quand même jamais digéré cette histoire. Surtout aux vues des circonstances…

Bref. J’avais donné rendez-vous à mon oncle à un point précis, et je ne devais pas perdre mon temps. Sans me retourner une fois de plus, je continuais à marcher dans le sable. Sensation la moins agréable du monde, puisque j’avais l’impression de marcher très lentement, comme mes pieds s’enfonçaient dedans continuellement. Je manquais aussi plusieurs fois de me casser la gueule. Carences, manque dû à une énième tentative de sevrage ou sous-alimentation ? Un peu des trois, je dirais.

En tout cas, une fois arrivé au point de rendez-vous aux abords d’une toute petite oasis qui honnêtement n’avait rien à foutre, là, et le fait qu’elle ne soit pas encore ensevelie sous le sable relevait du miracle, je m’hydratai le visage et en profitant pour remplir mes quelques gourdes. Craquant aussi complètement, je finis par fumer… quelque chose qui ne se vend pas aux bureaux de tabac. Rien d’inhabituel pour moi. J’aurais le temps de finir avant l’arrivée du plus vieux.

Un petit cri me sortit de ma rêverie et je me retournai alors pour la première fois. Il était évident qu’il ne s’agissait pas de mon oncle, à moins qu’on l’ait transformé en olive avec un visage anxieux…

“Bah alors, qu’est-ce que tu fous là, toi ? Ce sont des terres bien trop inhospitalières pour toi, tu vas dessécher dans peu de temps.”

Je lui filai un d’eau dans une gamelle, espérant qu’il reparte sans faire plus d’histoire. Sauf que l’olive flippé finit par se frotter contre moi et me sourire gentiment, l’air de dire : “Adopte-moi !”. Ce que je ne savais pas, c’était qu’elle m’avait suivi depuis Lapis-Cité. Beaucoup de courage pour une si petite olive. Reste que je n’étais pas du tout fait pour m’occuper d’un être vivant. Quoique les plantes, ça allait, mais là, on parlait d’une plante avec une bouche, un estomac, et une paire d’yeux capables de pleurer. …Je ne pouvais pas la laisser crever dans le désert, quand même. J’étai un sacré fils de pute, mais on parlait d’une Plante, quand même.

Soupirant, je caressai l’olive en terminant de fumer. Le vieux allait sentir ce que j’avais consommé, mais tant pis, au pire. Il allait faire quoi ? Me priver de goûter ? Y’a peu de chances.

Les retrouvailles s’étaient extrêmement bien passées. Sauf une claque. Pas forte. Pas du tout, même. Puis méritée, surtout. Entre l’odeur de l’herbe, ma peau apparemment trop pâle et ma maigreur, je n’avais pas fière allure. Et ça, il me l’avait fait remarquer en long, en large et en travers. Il s’inquiétait pour moi. J’avais honte. Pourtant, savoir qu’un membre de ma famille pouvait se soucier de moi, ça me faisait chaud au cœur. J’avais presque envie de chialer, mais c’était le manque de sommeil, de nourriture.

En parlant de nourriture, il m’avait bien gâté. Je ne m’étais pas pété le bide depuis tellement longtemps, que j’avais été calé deux fois plus vite que lui. Il m’avait incité de nombreuses fois à me resservir, mais la seule chose que j’avais été capable d’avaler en plus, c’était le vin qu’il avait ramené. Oui. Du vin dans le désert. Ne vous posez pas trop de questions.

C’était sans doute mal, mais je m’étais déchaîné sur mon père. Pas à l’insulter trop fort non plus, mais j’en peignais le portrait d’un tyran face à son propre frère qui s’était parfois retenu de s’esclaffer. Il le connaissait mieux que moi. Il savait que ça n’avait pas été facile et ne comprenait pas lui-même pourquoi il m’avait laissé tomber. Un manque de compréhension ? Foutre son fils dehors était un manque de compréhension ? Je m’étais énervé, lorsque ces mots sortirent de sa bouche. Je faisais de mon mieux pour vite redescendre. J’avais fait tellement d’appels à l’aide. De la pire des façon, certes. Mais ç’aurait pu être différent. J’aurais pu réussir, s'il m’avait tendu la main. J’aurais pu éviter de sombrer autant s’il ne m’avait pas empêché de la voir.

Rien ne m’en empêchait, maintenant. C’est vrai. Mais je n’étais pas prêt. Je voulais paraître sous le meilleur jour possible, le jour où nous serions amenés à nous revoir. J’étais dans un triste état, et me le rappeler n’allait pas forcément me métamorphoser en beau-gosse musculeux à la peau mate. Malheureusement.

Nous avions décidé de parler de choses plus positives, après lui avoir raconté tous mes malheurs dans le moindre détail. Il me parlait de ses voyages, aux côtés de ses Pokémons. De l’homme qu’il avait rencontré et avec qui il partageait sa vie, lorsqu’il n’était pas en vadrouille. J’étais… étonné. Il aimait les hommes donc. Avoir une personne queer dans sa famille, c’était cool. Vraiment, je recommande.

Au milieu de la soirée, alors bien emmitouflé dans mon sac de couchage, je l’écoutais chantonner des gens locaux. Il les avait entendu de nomades et leur avait demandé de lui apprendre. C’était impressionnant, toutes les connaissances qu’il avait. Mon père, à côté, préférait s’enterrer en bas, plutôt que de faire face au Soleil. Le jour et la nuit, ces deux frères.

Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas endormi aussi détendu. Un membre de ma famille me soutenait. Et j’allais partir loin, fuir mes problèmes. Je ne savais pas encore où. Agapé ? Peut-être bien. J’allais me décider sur un coup de tête, comme d’habitude.

L’Olivini qui m’avait suivi dormait à mes côtés pour se réchauffer. Elle avait été nourrie et abreuvée par mon oncle. Ce dernier était parti du principe que ce Pokémon était à moi, bien que je l’avais nié plusieurs fois. Et si…? Je verrai demain. L’oncle allait bien me dépanner une ball, non ?

Mes rêves étaient doux. Il y avait une personne qui chantait en jouant de la cithare. Je n’arriavis pas bien à voir si c’était un homme ou une femme, mais ça n’était pas vraiment important. J’étais comme envoûté par la mélodie. Cela ressemblait à des accords traditionnels de la Johto ancienne. Il y avait aussi cette odeur d’orangers et de vanille. Des arbres poussaient tout autour de moi alors que je m’approchais de la musicienne. La silhouette me parut davantage féminine lorsque je m’approchais plus encore.

Ma mère. Elle avait le même visage que ma mère. Mais je savais que c’était impossible pour elle d’être ici. Elle était retournée à Heian, c’était d’une évidence ! Je rêvais. Et dès que ej m’en rendis compte, des ténèbres m’envahirent. J’avais froid, maintenant.

Lorsque je me réveillai, je grelottais. Le désert, la nuit, c’était pas spécialement drôle non plus. Autant, la journée, on cramait, c’était pas terrible. Mais là, je ne savais plus où trouvait la moindre source de chaleur.

Je me concentrai sur le corps du Pokémon Plante qui frissonnait. Elle était bien plus à plaindre que moi. Je devais la réchauffer en priorité.

Je fouillais alors dans mon sac pour l’emmitouffler dans un T-shirt épais, espérant que ça lui suffise.