Auto-entrepreneur. C’était souvent ce que disaient les dealers, mais lorsqu’il me parla de sa licence réglementaire, ma curiosité fut piquée vivement. L’argent, c’était motivant. Si motivant. Même si toutes mes dettes étaient payées, je n’en avais jamais assez. Je devais encore sauter des repas et tout compter au pokédollar près. Avec un revenu supplémentaire de temps en temps, peut-être que je pourrais me faire un peu plaisir de temps en temps. C’était encore à reconsidérer. J’avais des questions pour lui.

“La protection de l’emploi prend en compte que le fautif n’est pas le livreur, mais l’acheteur ou l’expéditeur, c’est bien ça ? Ce sera ma seule condition. Être dédouané de toute possibilité de culpabilité et de danger. Il faudra que tout soit bien écrit sur un contrat, sans ambiguïté.”

Quand on parlait d'affaires, je perdais mes airs nonchalants. J’étais tout de suite plus sérieux. Je guettais la moindre petite possibilité qu’on m’entube.

J’avais aussi quelques autres questions. La nature des clients, par exemple. C’était une simple curiosité. Que je livre l’Organisation ou des malfrats rôdant dans les Sables d’Agates pour dépouiller les touristes, ça m'était égal, tant que j’étais en sécurité.

“Et tu livres qui, par exemple ? J’aimerais bien en savoir plus sur tes clients. Juste pour avoir, ça ne changera pas ma décision. Plutôt positive, d’ailleurs, selon combien tu payes ! J’accepte pas en dessous du SMIC pour des raisons évidentes.”

Je levai ma coupe de saké à demi entamée en sa direction.

“Plutôt dans l’Orga’ ou alors plutôt révolutionnaires, tes amis ? Y’a pas de mauvaises réponses, je suis pas spécialement engagé dans un sens ou dans l’autre. Quoique… Je suis moyennement fan du régime en place, et cramer des bagnoles ça me traverse parfois l’esprit, quand je vois les inégalités dans la ville, déjà, puis plus globalement dans la région.”

Ici, je pouvais parler assez librement. L'Organisation n’était pas à chaque coin de rue, puis… Kôyô était visiblement pas très fan non plus de l’hégémonie bedwyroise. Normal, en vrai.

Arrondir mes fins de mois… C’était complètement pour ça que je pourrais accepter son contrat. Mais ce n’était pas ce qu’il souhaitait. Pour autant, même si la proposition était particulièrement alléchante, je ne pouvais pas me permettre de laisser tomber mon travail actuel. Il m'apportait de la stabilité, et, quelque part, c’était ce que j’avais toujours voulu faire. Un travail entouré de plantes. Quelque chose d'apaisant. Je ne pouvais pas quitter tout ça pour un boulot de coursier légèrement suspect. Il allait falloir le convaincre d’allier mon travail avec… le sien.

“Je comprends bien. Est-ce que tu pourrais me proposer quelque chose qui soit faisable en plus de mon travail principal, et sans empiéter dessus ? Je suis fleuriste, je suis loin d’avoir des horaires horribles. Très tôt le matin, je suis disponible. Tout comme tard le soir. Si des colis doivent être réceptionnés et livrés à Bedwyr dans ces horaires-là, je serais potentiellement disponible.”

Quant aux weekends… Je les passais de plus en plus souvent avec Sûrya. Nous n’étions pas en couple, non plus, alors il n’y aurait aucun mal à ce que je m’absente quelques fois pour le travail. J'allais devoir me montrer prudent. Il était flic, après tout. Les trucs suspects, ça ne lui plairait pas trop. Je n'étais pas obligé de lui en parler. Après tout, il ne savait pas vraiment quel train de vie je menais avant Bedwyr.

“S’il y a besoin que je parte pour d’autres districts de temps à autres, ce sera plutôt le weekend, et pas tous les weekends. Que je puisse avoir une vie, quand même.”

J’étais un fainéant, à la base. Très motivé par l’argent, quand bien même. Si ces dernières conditions convenaient, peut-être qu’on pourrait se mettre d’accord.

Je le laissais ensuite me parler de ses fréquentations. De tout, hein ? C’était le mieux à faire, quand on voulait en apprendre beaucoup plus sur la société et sa multitude de personnes. Et franchement, à l’entendre, on pourrait croire à un espion, ou quelque chose du genre. C’était assez intrigant pour que je veuille m’y intéresser. Évidemment, il n’allait jamais me dire qui il était réellement, si je le lui demandais. Peut-être un membre actif du groupe Victini ? Je ne les connaissais que trop peu, pour l'instant.

“J’ai pas tant une grande gueule. Je sais me tenir, sinon on m’aurait expulsé de Bedwyr depuis un moment, déjà. Puis m'entendre avec les clients, bon. Ce n'est pas forcément le but, en premier lieu. On verra bien quelles relations j'aurai avec eux plus tard.”

Je terminais le fond de mon verre, satisfait d’avoir au moins pu obtenir ça de lui. Pour l’opportunité d’emploi, on verra bien. C’était un coup à tenter, au minimum.

"Si c'est bon pour nous deux, faudra qu'on se recontacte.", concluais-je en commençant à écrire mon numéro sur un morceau de papier.

Qu’est-ce qu’il me faisait, là ? Il avait mémorisé mon numéro d’un seul coup d'œil ? Ou alors, ça voulait dire qu’il ne me prenait pas. Classique provenant d’un embaucheur, j’ai envie de dire. Tant pis, je n’allais pas pleurer. Je finirais bien par me faire un bon salaire avec mon travail de fleuriste, quand l’apprentissage sera terminé.

Ah…? Non, en réalité, il avait l’air plutôt partant. Il devait être doté d’une bonne mémoire, ce qui était vraiment très pratique. J’avais moi aussi une bonne mémoire, avant. Avant que je ne prenne des stupéfiant à 16 ans comme un adolescent vraiment très con. Tout ça revenait, mais ça n’était pas parfait. Forcément, j’avais perdu de mes capacités, et l'angoisse et le manque n'aidaient pas trop. C’était léger, mais ça se ressentait quelque peu.

“Ooooh~ Comme c’est gentil de ta part ! J’attends donc de tes nouvelles.”

J’étais finalement très content de cette journée, même si elle avait mal commencé. J’allais maintenant tenter de trouver des informations supplémentaires sur ma mère, en faisant un tour à la mairie. Avec un peu de chance, ils pourront me donner son adresse. J’avais de toute façon la preuve que j’étais bien son fils, c’était écrit sur mon acte de naissance. Pourquoi refuseraient-ils ?

Un pourboire, tiens ? Il devait en avoir plein les poches, ce type. Intéressant. J’avais hâte d'en apprendre plus à son sujet. Simple curiosité !