Je ne pensais pas revenir sur mes terres natales de sitôt. Pourtant, j’étais là, sous le soleil battant, à participer à des festivités dont je n’avais pas grand chose à foutre, de base. C’était quoi déjà le nom ? Pas très important. Je savais que deux champions allaient se battre à un moment donné. Mia contre… Un autre. Je ne m'intéressais pas vraiment à tout ça. Je savais juste que Mia était une femme magnifique, forte et engagée. Une personne cool. L'autre, jamais entendu parler.

Si j’étais là, c’était parce que mon oncle m’avait invité à séjourner chez lui, vu qu'il avait une maison secondaire à Lapis-Cité depuis deux ans. J’aurais bien refusé, mais le vieux s’était montré très persuasif. Vacances gratuites… je dis pas non. En plus, des congés m’avaient été accordés très facilement, puisque je ne prenais presque jamais de vacances, depuis que j’avais commencé.

Bonne nouvelle, également ! La police de Bedwyr était là pour surveiller. Les locaux n’étaient pas aussi ravis que moi et ça se sentait. La méfiance planait. Non, moi, j’étais content. J’avais appris que Sūrya venait, lui aussi. Notre relation était… Assez difficile à définir. Mais elle me faisait beaucoup de bien. Mentalement et physiquement. J’avais peut-être envie de construire quelque chose avec cette personne en particulier. Mais doucement. Pas trop vite. Ce flou me plaisait encore un peu.

Physiquement… J’avais pris deux ou trois kilos. Si en général, cette nouvelle était déprimante, pour ma part, ça me faisait du bien. J’avais un meilleur teint aussi. Et j’arrivais à mieux gérer mes travers. On pouvait dire que j’allais à peu près bien. Chose qui n’était pas arrivée depuis un moment.

Tout ça pour dire que j’avais invité le policier à participer aux activités du festival avec moi, durant son temps libre. Pitié… Il n’allait pas travailler tard le soir, quand même ? Heureusement que j’étais là pour le convaincre de venir se détendre. Il fallait que je continue à lui enseigner l’art du fun.

Je lui avais donné rendez-vous sur l’un des stands de préparations de cocktails. On devait improviser des recettes pour les clients en mélangeant des jus, des sodas, des fruits… et surtout de l’alcool. C'était facultatif, mais je n’avais pas bu depuis des lustres (deux semaines). L’envie de me bourrer la gueule au moins une soirée me démangeait sévèrement. Je voulais faire la fête et profiter un maximum. Et si je pouvais passer ces instants en compagnie du champion aquatique, ce serait le comble. Il était marrant, bourré.

Rougissant à ces pensées, je finis par reporter mon regard sur Peyotl, un Cacnea que j’avais rencontré dans les Sables d’Agates, sur le chemin en venant ici plus tôt dans la journée. C’était mon deuxième Pokémon. Pas une plante mignonne, mais il était rigolo, à se donner des airs de ténébreux mystérieux. Dryade en était un peu jalouse et préférait bouder dans sa Pokéball. En espérant qu’elle s’y fasse rapidement. Je voulais adopter d’autres Pokémons, quand mes finances augmenteront (donc dans très peu de temps).

Apercevant le brun au loin, je lui fis un signe de main jovial. J’étais bien habillé, aujourd’hui. Des vêtements kalahariens amples, un peu cher. Je m’étais fait plaisir en arrivant ici il y a quelques jours, puisque je n’avais pas enrichi ma garde-robe depuis un bon moment. Je voulais me mettre en valeur, un peu plus que d’habitude, en tout cas.

J’étais peut-être plus lumineux que d’habitude. D’un côté, c’était cool, mais ça faisait vraiment bizarre que je n’ai pas à forcer tout ça. Il était venu me rejoindre immédiatement. Il était bien habillé, lui aussi. Il l’était toujours, j’avais envie de dire. Mais là, c’était mieux qu'en mode inspecteur. Contrairement à ce que je lui disais pour l’emmerder, je ne fantasmais pas spécialement sur l’uniforme de la police. Et encore moins sur celui de Bedwyr, bizarrement.

Pensées anti-policières mises de côté, je lui rendis un “Salut !” bien moins formel que son bonjour accompagné de mon prénom. Vraiment, on dirait qu’il s’adresse à un collègue avec lequel il n’a pas plus d’affinité que ça. Mais bon, je commençais à en avoir l’habitude. Puis, lui comme moi ne voulions pas vraiment nous afficher.

Afficher quoi, au juste ? On était… Ouais. Déjà, là, c’était louche. Je n’arrivais toujours pas à nous définir, et je ne savais pas si j’avais envie d'éclaircir tout ça. Ni avec lui, ni avec moi-même. J’allais laisser ça traîner, puisque j’étais le spécialiste du laxisme et de la procrastination. Le roi des clowns, même, à ce sujet.

Bon, apparemment, mon nouveau Pokémon, c’était un sujet qui l’intéressait. J’étais là, moi aussi ! Enfin, bref, autant lui raconter ma vie en passant, qu’on brise un peu la glace.

“Oui, depuis… pas longtemps du tout. C’était pas trop prévu, mais quand je me baladais dans le désert y’a peut-être deux jours, il s’est planté devant moi en faisant une pause improbable. L’air mystérieux un peu. Comme pour m’impressionner ! J’ai bien ri, alors je l'ai embarqué. Par contre, Dryade fait la gueule, elle aimait bien être fille unique.”

J’allais maintenant balancer son nom, quitte à ce qu’il me force à faire un test salivaire dans les minutes qui suivent. Quoiqu’il oserait pas, quand même ! De toute façon, j’étais pur comme un diamant, j’avais rien à me reprocher.

“Il s’appelle Peyotl !”, déclarais-je, souriant innocemment, bien que très fier de ma connerie. “Maintenant que les présentations sont faites, au travail !” Travail bénévole, oui. D’ailleurs, j’allais pas me gêner pour boire en scred dès que tout le monde aura le dos tourné.

J’étais maintenant dans la zone réservée aux expériences cocktailiennes, et une scène attira tout particulièrement mon attention. Hilare, je lançais au policier : “T’as déjà vu une pomme embrouiller un gland, toi ?”

La pomme en question - d’ailleurs dotée d’yeux - mordit dans une pomme - réelle, cette fois - avant d’être baignée d’une lumière vive et de se transformer en… dragon tarte aux pommes ? Je n’avais jamais vu ça de ma vie. Trop bizarre, les Pokémons, vraiment. Surtout quand il s’agit d’un gland qui pique une telle colère que tout le staff pouvait l’entendre.

“Alors. Donc si les pommes évoluent en dragons sucrés, je suppose que les glands évoluent en démons belliqueux ?” Le pire ? C’était que j’avais pas tort. J’étais en train de m’étouffer de rire.

Ayant décidé de me prendre pour coupable - habituel, dans ma vie - une femme me demanda de calmer les Pokémons qui semaient la pagaille. Apparemment, c’était de ma faute, parce que je m’en étais moqué… Bref. je suis l’homme de la situation, j’ai compris.

“Je les aime trop, ces deux-là. Tu veux des nouveaux potes, Peyotl ?”

Sautillant de joie, le Cacnea fouilla dans mon sac et lança deux Pokéballs sur… les deux belligérants. Je pensais qu’il se contenterait de juste jouer avec. Mais non. Me voilà père d’une famille nombreuse et problématique, maintenant. J’étais embarrassé. Dryade allait me buter.

“Ahem. Les cocktails, maintenant que les petits monstres sont au lit. J'aurais jamais pensé devenir maraicher. La vie est pleine de surprise.”

Je règlerai ce problème plus tard. Le budget croquettes allait augmenter. Quelle chance que le salaire augmente dans deux mois également ! J’espérais qu’ils détruisent pas mon appart, sinon j’allais devoir les donner à un refuge compétent. J’avais pas le temps de faire un élevage de fruits et légumes dissidents, honnêtement.

"Ah...?" Un détail me fit seulement tilter maintenant, concernant le visage du policier. Je m'approchais un peu pour admirer la blessure de guerre qu'il arborait. "Tu t'es fait ça au travail ?" Ou alors il s'était mangé un coin de table, mais c'était moins sexy, d'un coup.

Avoir plusieurs Pokémons était normal… Je commençais à en avoir quatre. C’était assez nouveau pour moi. Je craignais un peu que l’Organisation trouve ça louche, pour être honnête. Même si c'était pas des grosses bêtes dangereuses. Je n’étais ni champion, ni féru de combats. Je n’étais pas non plus un anarchiste rêvant de semer le chaos sur la région pour détruire l’hégémonie Bedwyroise, mais… J’avais tout d’un fouteur de merde. Donc suspect.

“J’espère qu’elle t’entend, depuis sa Pokéball. Je pense que c’est bien pour elle. Elle pourra attaquer autre chose que mes affaires !”

Elle ne détruisait rien, avec ses petits bras inexistants, mais en évoluant, si tant est que ça arrive un jour, les dégâts pourraient être assez problématiques. Ma caution pourrait me passer sous le nez, si un jour je déménageais.

Je me remis à rire quand il se posa des questions à propos du surnom de mon Cacnea. C’était pas si connu que ça, mais il était quand même dans la police. Ils devaient apprendre toutes les substances pour agir en conséquence, quelle que soit la situation.

“Oui, comme le petit cactus globuleux qui pousse ici. …J’en ai jamais consommé, me regarde pas comme ça~ C’est juste une variété de cactus, à la base ! ”

Puis, on pouvait en faire des sédatifs, des antibiotiques, antifongiques… Mais bon, ça, on s’en fiche. Je n’allais pas lui parler de plantes pendant des heures, il allait s’ennuyer.

De toute façon, il n’avait pas préféré creuser davantage. Il était habitué à mes conneries, depuis le temps. Quel temps ? Voyons, on ne se fréquentait pas depuis si longtemps que ça ! Pourtant, c’était si fort, de mon point de vue. Je craignais que ça ne soit aussi puissant que de mon côté, par moment.

Ravalons ces angoisses pour le moment et profitons plutôt du moment présent.

J’avais été de toute façon bien déconcentré par les deux fauteurs de troubles de type fruits. Sûrya connaissait déjà les prérequis d’évolution de la grosse pomme, ce qui n’était pas étonnant, mais… Bon, je devais passer pour un clown. Les Pokémons, je ne m’y intéressais pas depuis si longtemps, moi.

“Faudra que j’essaye de filer un gland ou une noisette à l’autre, juste pour voir si ça fonctionne.”

Je me doutais que ça serait plus complexe que ça. De toute façon, j’allais regarder les caractéristiques de chacun sur Internet, comme tout le monde, et apprendre sur le tas. Pour l’heure, j’avais envie de me bourrer la gueule une bonne fois pour toute.

Je commençais à me mettre au travail, mes mains tremblant un peu, puisque j’avais trèèès envie de boire dans les bouteilles. Mais pas maintenant. Trop de témoins. Alors je mélangeais juste de la vodka, du curaçao bleu et du rhum, me servant de base pour le Swimming Pool que j’étais en train de créer. Je mettais peut-être des doses trop fortes pour les inhabitués. …Tant pis. Une cuite, ça faisait jamais de mal.

Je haussais un sourcil lorsqu’il mentionna le bloc de glace. Il était allé où, au juste ? Au ski ? Truc de riches, ça. La neige, à part à Tôkan ou plus au centre d'Ahovu en hiver, c’était assez rare, pour ne pas dire inexistant.

“T’as pas failli y rester, quand même ?”, lui demandais-je avec une once d’inquiétude dans la voix. “Bon, au moins, t’es entier. Je vais pas faire le daron surprotecteur, mais… te mets pas trop en danger.”

Je tiens à toi, avais-je envie de laisser échapper, mais j’optais plutôt pour quelque chose de plus neutre et de plus amusant : “Qui va s’occuper de tes poissons, sinon ? Ils vont être tristes. Sois prudent.”

Alors que personne ne regardait, je me mis à boire dans le verre que j’étais en train de préparer. “Ouah, ça arrache la gueule… Tu me passes les jus d’ananas et de coco ? Puis les glaçons. Y’en a bien besoin.”

Se dépenser, ça l’aiderait sûrement à se détendre, c’est vrai. Mais le combat, ce n’était pas trop mon truc. Je haussais simplement les épaules : “Je devrais essayer de la faire combattre, mais je connais pas le nom de toutes ses capacités. Au moins, là-dessus, je suis comme un Bedwyrois lambda. Je combats pas.”, plaisantais-je, faisant référence au fait que la possession de Pokémons potentiellement violents était déconseillée. C’était déjà plus acquis à Kalahari, les combats. Pas trop le choix, vu ce district inhospitalier.

“Je te propose pas de combattre contre moi, je vais pas tenir une minute face à toi ! Ce sera plus humiliant qu’autre chose.”

Mais d’un côté, ça me ferait une occasion de plus pour le voir. Autre que prétendre que l’électricité ou l’eau ont été coupées dans mon immeuble. C’était encore à réfléchir. Je voulais également faire plaisir à ma petite olive.

Ces blessures, elles m’inquiétaient, même si je tentais de ne pas trop le montrer. Mais ma voix m’avait un peu trahi plus tôt, ce qui était assez embarrassant. Heureusement que ça ne se voyait pas beaucoup, quand je rougissais. Lui, avec sa peau blanche, on voyait bien quand il prenait quelques couleurs. Je n’avais pas envie de le relever, mais… C’était très plaisant à voir. J’avais l’impression que quelque chose serait possible, dans quelques mois, par exemple. J’étais patient. J’avais besoin de temps, de toute façon. Prendre son temps pour savourer le fruit de ses convoitises, c’était quelque chose que je ne connais pas encore. Mais j’avais tout de même hâte d’y être, si jamais cela arrivait.

Il avait cependant souvent le chic pour casser tous mes élans de romantisme naissants. D’une mine inquiète, mon visage fut tout à coup légèrement dépité, blasé.

“Je sais ce que c’est la police. Vous voulez jouer les héros et faire vos gros durs, mais je crois pas que se prendre un bloc de glace dans la gueule à Tôkan, ça fasse partie du taff.”

Qu’il me prenne pas pour un jambon. Pourquoi il aurait été envoyé en mission là-bas ? Y’avait rien de spécial à part… du froid et des gens un peu bizarres. Je n’y étais jamais allé, après, je ne pouvais pas savoir s’il y avait de quoi intervenir, pour un flic.

Puis… des mots à propos de sa mère. J’étais déjà un peu moins grognon. Il s’excusait d’en parler, mais moi, ça ne me dérangeait pas. S’il se confiait un peu, c’était qu’il en avait besoin. De mon côté, je ne lui avais encore jamais parlé de mes parents. C’était trop tôt, et je préférais garder ça personnel pour le moment.

“Mouais. Bof. Ils ont des sentiments derrière leurs écailles. Ta mère doit leur manquer, même s’ils le montrent pas. Ils doivent être comme toi, pas très expressifs. Mais ça veut pas dire qu’ils se sentent pas parfois déprimés.” Puis j’ajoutais un peu plus joyeusement : “De toute façon, on s’en fout. Tu vas pas crever. Je te l’interdit. Et si t'es déprimé, je viens t'emmerder un peu, ça t'occupe l'esprit, au moins.”

C’était un peu gay, ça, non ? Après, je suppose qu’on peut aussi tenir ce genre de propos à un ami. Je pense. Pour l’heure, ma seule amie proche, c’était… ma patronne. Un peu bizarre, mais ça fonctionnait bien, jusque-là, entre quelques menaces de cisailles.

Oups, j’étais cramé, il m’avait vu, lui. Est-ce que j’en avais quelque chose à foutre ? Nope. Je continuais pour le provoquer et me débarrassai du verre, ni vu, ni connu.

“Ouais. Je referai le même mais avec le reste de la recette, parce que là, juste les alcools… C’était violent.”

Rien à faire de ses réprimandes, il ne va de toute façon rien faire. Il n’était pas en service et, j’étais certain que je pouvais le faire boire un peu en scred.

“C’est pour tester ! Je ne vais quand même pas servir de la merde aux clients. Personne m’a vu.”

Je recommençai ma boisson en ajoutant cette fois tout le reste, histoire qu’il soit complet. Je versai un peu de la boisson dans la verre que j’avais mis de côté, à l’abri des regards, pour continuer à picoler plus tard.

“Tu veux goûter ? Je t’assure, je gère super bien les cocktails~”

Et s’il refusait, je n’aurai qu’à forcer un peu, ou alors… Non, trop risqué, ici. Je ne pouvais pas lui faire goûter mon cocktail en l’embrassant devant tout le monde, même si mon cerveau me hurlait de le faire rien que pour le plaisir de le voir rougir comme une jouvencelle. Pourquoi ? Car Vitaly pouvait me stalker n’importe où, le connaissant. J'étais parfois pris de paranoïa, mais avec ce type, c'était normal. Il savait que je voyais quelqu’un, mais je ne lui avais donné aucune info à ce sujet.

"Alleeeez~ Amuse-toi un peu pour une fois dans ta vie...~"

Par contre, j’étais assez proche de lui, avec le verre, et j’avais ce petit sourire habituel de prédateur enjôleur qui attendait son moment pour bondir sur sa proie et obtenir d’elle ce qu’il voulait. D'ailleurs, je commençai à être assez torché pour perdre ma bienséance.

Des Pokémons peu entraînés… Cela me donnait déjà un peu plus envie, si je ne me faisais pas trop casser la gueule. En plus, ça me faisait une occasion pour le voir, et peut-être squatter son appartement. Un repas gratuit et très bien cuisiné, aussi… Forcément ça m’attirait. Mais moins que de passer du temps avec lui, pour être honnête. J’étais plus intéressé par le confort, la première fois. Mais maintenant… c’était davantage pour être avec lui. Désolé, les steaks. Vous passez seconds.

“Allez, pourquoi pas. Peut-être que tu me feras aimer le combat. Par contre, je ne connais pas beaucoup de capacités. Je suis resté aux basiques. Charge, Tranch’Herbe… Puis la boule verte. Je sais pas ce que c’est, mais ça fait mal.”

De toute façon, quand je disais “boule verte”, elle comprenait. C’était tout ce qui comptait.

“En plus, ça a l’air de te faire plaisir.”, finis-je par dire, les lèvres étirées en un sourire, avant que je ne me reprenne et tente de faire comme si rien n’avait de sous-entendu mielleux.

Ce n’était rien… Alors pourquoi cet air monotone lui collait autant à la peau ? Cela crevait les yeux, qu’il souffrait de mélancolie, au minimum. Une mélancolie qui disparaissait très bien pour donner ce petit sourire caractéristique, après nos ébats. …Et me revoilà rougir, et à avoir envie de sourire béatement. L’amour, hein…? Non, pas maintenant. C’était bien trop tôt. On ne se connaissait pas depuis si longtemps. Ce n’était pas l’envie qui me faisait défaut, mais aller trop vite me faisait peur. Et ça lui ferait sans doute peur à lui aussi. Peut-être qu’il ne voulait qu’une personne avec qui passer du temps. Un peu de réconfort pour mieux supporter sa mélancolie. Je ne lui en voudrais pas trop, si c’était avéré. J’avais séduit de nombreuses personnes juste pour m’amuser et oublier mon malheur, après tout.

J’avais bien sûr été observateur. Cette lueur dans ses yeux. Elle me donnait envie d’y croire. Et sa main venue me frôler me fit frissonner. Comme une adolescente prude et innocente. Mon juge intérieur devait bien se marrer. Heureusement que j’étais tout seul dans ma tête, sinon, ce serait gênant. …Et anormal.

Ce moment à l’eau de rose passé, j’étais là, à boire, alors que je n’avais pas le droit. De toute façon, j’avais toujours préféré le côté gauche…

“T’as aucune preuve, c'est dommage~”

Mais je n’allais pas le mettre en colère en continuant à boire tout ce que je touche, puisqu’il avait raison. On devait se remettre à la tâche. J’étais tout de même content qu’il soit influencé par mes conneries et qu’il ait accepté de boire un petit peu. Je terminai le reste, sachant que ça allait me desservir, niveau alcoolémie. Mais… comme si j'en avais quelque chose à foutre. J’étais en vacances !

“J’aurai peut-être dû faire barman… Ou pas. C’est nul d’avoir tout ça sous les yeux sans pouvoir y toucher.”

Un peu comme quand j’avais Sûrya sous les yeux et que je devais faire comme si nous ne nous étions jamais touchés, mh-mh. Très nul, même.

Oh ! Vous savez ce qui est encore plus nul ?

Alors que je tentais d’être sérieux dans ma confection de cocktails, une jeune femme vint le déranger. En réalité, ça n’était pas si étonnant, puisqu'il était comme… un genre de célébrité. C’était juste une groupie, rien de spécial, alors je gardais juste un visage assez neutre, voire blasé.

…Moi aussi, je voulais que des jolies filles me reconnaissent ! Mais non. Quand on me reconnaissait, c’était toujours pour m’insulter, dans ce district. Mérité, certes. Cependant, je commençais à ne plus avoir l’esprit clair à cause de la boisson, et je n’avais qu’une envie, de lui dire de ne pas le trouver trop beau non plus, et de lâcher son bras immédiatement. J’étais assez raidi, physiquement.

Je ne comprenais pas ce sentiment. J’étais… jaloux ? Depuis quand j’étais jaloux, moi ? Je commençais à devenir out-of-character. Assez pour être étonné de mes sentiments. En plus, ce n’était qu’une fan. Jamais elle ne connaîtra la chaleur de ses bras. …Sinon je vais câbler et faire une scène. Là, devant tout le monde. Encore heureux que je savais me tenir. Par contre, j’étais sombre, et c’était assez visible. Je n'avais pas du tout envie de m’en cacher.

Je finis par poser le verre que je venais de terminer assez brusquement sur la table. Bruyamment. Au moins, ça ramènera le champion sur terre, si jamais il commence à avoir des élans de “Oh ! Moi, Champion de Bedwyr et mon gros Milobellus, je suis si populaire auprès des filles !”. Il n’avait pas besoin de ces filles, si j’étais là.

“Bon, tu redescends ? Je croyais qu’on devait s’y remettre.”, fis-je sèchement, avant de me montrer un peu provocateur : “Dommage que je n’ai pas le droit à des selfies, moi…~ Après tout, on est en public.”

J’allais regretter mon comportement. Sûr et certain. J’étais à la fois sec et rieur. Sarcastique, en fait. C’était ça, le terme. Je montrais peut-être un peu trop mes sombres côtés, mais… la faute à l’alcool. J'assumais jamais mes comportements, moi. Même. Sans ça, je n’aurais probablement que réagi d’une petite boutade sans méchant fond.

Je laissais échapper un rire cynique, quand il me dit que j’aurais fini alcoolique. J’avais même pas besoin de ça pour l’avoir été. Je l’étais même encore, sûrement, car ça ne partait pas si simplement. J’arrivais tout de même à me limiter. C’était un gros progrès. L’arrêt complet ? Pas possible. Mais comme tout le monde buvait un peu le weekend, ça ne faisait rien.

“Ou viré. Pas le droit de boire en service. Et comme je prends toujours le gauche…~”

La rencontre avec la fan m’avait mis hors de moi et rendu très amer. Détestable, même. Au fond de moi, je regrettais un peu de lui faire une scène de ménagère jalouse. Il n’avait pas l’air de trop comprendre, le pauvre ! Forcément, on était rien. On baisait, c’était tout.

…Mais mon coeur battait fort. Je ressentais des choses bien trop fortes pour accepter docilement de n’être qu’un passe-temps du weekend. Je voulais quelque chose d’authentique. De vrai. Et pourtant, je n’osais pas faire avancer les choses. Trop tôt. Tout était toujours trop tôt. Je ne me lançais que lorsqu’il était trop tard. Je bouillonnais intérieurement. Je ne voulais pas replonger dans mes travers.

Jusqu’à ce qu’il appelle mon nom.

Je baissais les yeux. Je n’avais pas envie d’être comme ça avec lui. Les explosions de rage, on voyait où ça menait. Plus jamais je ne voulais me montrer aussi violent. Icare avait déjà bien assez souffert. J’avais tout saboté alors qu’on aurait pu conclure notre relation proprement. Sans toutes ces larmes.

Sa question… Je serrais le poing, ayant du mal à le regarder directement. Comme si j’allais répondre honnêtement ! Pour autant je répondis tout de même. La voix grave, bien que mon regard soit toujours aussi fuyant.

“De toute façon, c’est moi qui te connais le mieux…”

Comme pour prouver que j’étais mieux que cette groupie, alors que ça n’était pas la peine. Sobre, je n’aurais rien dit. J’aurais été léger, moqueur. Pas jaloux comme un Sovkipou à vouloir chialer comme une gamine de seize ans. J’étais encore très immature, et ça m’énervait. Travers que l’alcool mettait en relief. Je pouvais pas avoir l’alcool rigolo, au lieu de l’avoir triste ? Bah non, sinon, c’était pas drôle.

“Je sais. Laisse tomber je sais pas ce qui me prend. Je devrais arrêter de boire. La jalousie, ça me ressemble pas vraiment. Je suis un connard.”

Je relevai les yeux. Ses yeux étaient plantés dans les miens, ce qui fit battre mon cœur autrement que de colère, au moins. J’avais de la chance qu’il ne se soit pas mis en colère. Apaiser les choses aurait été compliqué.

Sa main était douce. J’avais l’impression que mes sens étaient en exaltation. Je détournais à nouveau le regard, gêné. On était en public. Moi je m’en foutais mais… c’était pour lui, quoi. On allait nous voir. Des paparazzi pouvaient traîner dans le coin. Je profitais tout de même de cet instant de proximité. Avant que ce ne soit ses lèvres, qui se posèrent sur les miennes.

J’aurais peut-être pas dû le faire boire. Mais avec une gorgée et sa carrure, il n’était certainement pas atteint par l’alcool. Alors pourquoi… Il se dévoilait en public, maintenant ?

J’étais assez frustré que ça n’ait pas duré plus longtemps. Si personne n’avait été là, les choses auraient bien dérapé du côté… charnel de la chose. Je plongeai mes yeux dans un des cocktails que j’avais préparé auparavant, avant de les rediriger vers mon… amant ? Non, trop bizarre.

“J’aime pas non plus être… comme ça. J’y travaille. Désolé.”, promettais-je, tout en reprenant mon travail pour essayer de fixer mon esprit sur autre chose que des envies qui n’avaient rien à faire ici et maintenant. “O-ouais. Le travail. Non rémunéré.”, tentais-je pour plaisanter, ne sachant pas si ça allait le faire rire, tellement mon humour été rouillé.

Après avoir bien avancé, je tentais quelque chose. J’étais encore très peu sûr de ce que j’allais proposer, mais autant tenter. S’il refusait, c’était pas grave.

“Euh… Je squatte la villa de mon oncle, en ce moment, pour le Festival. Il est pas là pendant quelques semaines. Si jamais… tu veux visiter une maison kalaharienne. Ce sera peut-être mieux que l’hôtel. Le repas est déjà prêt en plus...”

J'étais méconnaissable. Rendez-moi mon assurance habituelle, avant que je ne me transforme en espèce de guimauve.

Tous ces tourbillons d'émotions me donnaient la tête qui tourne. Promis, cette fois, ce n'était pas tant l'alcool qui me mettait dans un état second. Pourtant, ce manque… c'était si caractéristique d'une drogue dure. Mais sans les côtés négatifs. Il y en avait bien un, pourtant, mais il était moindre. Assez pour que je puisse l'ignorer un minimum. Le fait que je ne me reconnaisse plus. Où était passé cet enfoiré qui ne pensait qu'à son propre plaisir ? Parti ? Pour de vrai ? Mon travail avait peut-être porté ses fruits. Je pouvais peut-être créer une relation saine. Malgré ma crise de jalousie digne d'un enfant, je veux dire. J'étais parvenu à m'excuser et à me reprendre facilement. C'était assez satisfaisant d'avoir un semblant de comportement normal.

Et quand je disais que c'était moi qui le connaissais le mieux, j'avais l'impression de mentir un peu. Enfin, oui et non. Je le connaissais mieux que ses fans. Je ne connaissais pas ses prouesses au combat, ni ses interviews par cœur. Mais moi, je connaissais ce sourire, ce regard si particulier qu'il avait dans l'intimité. Cette mélancolie aussi, lorsqu'il regardait au loin, les yeux embrumés, à sa fenêtre, le soir.

"Pas grave, peut-être. Mais je veux pas être chiant avec toi."

Sous-entendu : je l'avais été dans mes anciennes relations. Depuis le temps, je devais me pardonner. Et surtout m'en tenir à ne plus recommencer. Mes partenaires ne devaient plus jamais subir ma frustration et mes travers.

J'avais droit à sa main, à nouveau. Si demain, aucune photo de nous n'apparaissait sur Internet, il allait pleuvoir à grosses gouttes dans le désert. Mais bon, je m'en foutais. Personne ne disait rien quand c'était deux femmes qui le faisaient.

"Aucune tâche ménagère, ça fait rêver, hein~ ? Tu vas pouvoir rendre ton tablier de mère au foyer pour un soir."

Je devrais peut-être l'aider un peu plus lorsque je suis chez lui. J'étais quand même un branleur, à la base, mais… soyons reconnaissant parfois, quand même.

"Ouais, au boulot. On se reposera plus tard.", concluais-je en souriant.

J'étais assez inspiré alors, j'avais fait un genre d'Aqua Velva en essayant de reproduire la couleur de ses yeux, quitte à être complètement nunuche jusqu'au bout.

D’un naturel assez causant, je ne restais pas complètement silencieux longtemps. J’y pensais un peu, mais la maison de mon oncle était loin d’être du même genre que mon appartement à Bedwyr. Une villa et… un truc de banlieue. Rien à voir. Peut-être qu’il allait me prendre pour un profiteur, à toujours squatter chez les autres sans jamais inviter. En même temps, profiter des gens plus riches que soi, c’était très tentant. Mais pouvait-on réellement parler de profit, lorsqu’on parle de la famille ? Bon, ça dépend du contexte, évidemment. J’avais tout de même besoin de préciser quelques trucs.

“J’espère que ça va pas t’intimider. Ils ont pas mal de fric, dans ma famille. C'est ça, les ingénieurs.”

Je ne regrettais pas du tout de ne pas avoir écouté mon père, concernant mes choix d’études supérieures. Ingénieur ? Trop chiant. Même si de base, j’avais de bons résultats scolaires, je n’avais jamais été attiré par tous ces domaines. J’avais besoin d’un métier plus tranquille et épanouissant.

Il regardait beaucoup autour de nous. Normal, s’il voulait pas s’afficher devant cette multitude de fans qui rêvaient sans doute pouvoir juste lui parler au moins une fois. On allait finir par m’envier. C’était assez satisfaisant d’être envié, je l’admets. Mais la pudeur, c’était bien aussi. Je voulais au moins respecter cette volonté de Sūrya. Être discrets. Ce n’était pas la mort. Je me rendais compte que je n’étais pas spécialement fan de… m’afficher, contrairement à avant où je me pavanais. Ma vie ne regardait pas les autres.

“T’en as besoin, parfois. Laisse un peu de travail aux autres !”

Je crois que je ne l’avais jamais vu prendre de vacances encore, mais notre relation sans nom ne durait pas depuis si longtemps que ça. Les congés estivaux étaient pour bientôt, et je crois que j’aimerais beaucoup que les miens coïncident avec les siens, si possible.

Lutter pour ne pas boire, c’était quand même assez compliqué. J’avais techniquement déjà bu. Mais parfois, la gourmandise (et surtout l’alcoolisme) revenait au galop. Je ne me sentais pas spécialement en manque, mais… c’était comme avoir une corbeille de fruit sous les yeux en ayant faim. On bavait littéralement devant, et on avait envie de tout consommer. …Ou alors j’avais juste des problèmes d’accumulation, à force de manquer d’argent, de nourriture, et cetera. Ce sera une question pour le Docteur Rutak, ça, hop.

“Je pense que c’est un minimum important. Vivre dans un bel endroit, bien placé, ça donne des points de bonne humeur !”

Mes petites plantes seraient plus heureuses, ailleurs que dans la banlieue. Souvent éclipsées par la Haute-Uthyrgham, il était parfois difficile d’obtenir de la lumière naturelle, selon l’heure de la journée. C’était rageant. Comment mes tomates allaient pousser ? Le district n’était pas le meilleur pour certains légumes, mais quand même.

Tout ce travail était terminé, et on avait réussi à passer plutôt inaperçu, ce qui n’était pas gagné. Surtout lorsqu’on avait fini par se diriger en fin d’après-midi vers la villa pour éviter une nuit à l’hôtel à Sūrya. Et surtout m’éviter une soirée tout seul dans une si grosse maison…~