Snow erases everything.Solo
Murmures Sylvestres
Blanc. Froid. Calme.
Dans la forêt avec Prince et Kleis, nous étions sortis couper du bois. L’hiver n’était jamais fini, ici. Moins rude que le réel hiver. Mais la météo ne voulait pas se montrer clémente. La vie ne voulait pas se montrer clémente. J’avais les yeux dans le vague tandis que j’avançais, Prince traînant derrière lui le convoi qui contiendrait le bois coupé dans l’après-midi.
Sa voix résonnait encore en boucle dans mes oreilles. J’avais l’impression de revivre le même scénario en boucle. Je manquais de sommeil, et je n’étais pas prêt de le retrouver.
***
“Mr Óneiros Neos, asseyez-vous, je vous prie.”
Une convocation. Seulement quelques jours après avoir été interrogé par Masha Pristi. Une femme très haut placé qui me donnait froid dans le dos. Et seulement quelques jours après avoir appris la disparition d’Haru, retrouvé peu après dans le coma, et la mort de Stitch. Autant dire que je n’étais pas vraiment au meilleur de ma forme. Perdre deux proches en si peu de temps, je n’avais pas réussi à l’encaisser. Je ne dormais plus et mangeais très peu.
Les convocations avaient le don de m’angoisser. Surtout que là, je ne le sentais vraiment pas. Ce responsable de recherche qui était aussi un ancien professeur avait des idées très arrêtées. Un pro-orga’, pour le dire familièrement. Pour lui, les Pokémons étaient dangereux et devaient vivre loin. Proches, uniquement s’ils sont inoffensifs, ou susceptibles de faire avancer la recherche. Je m’attendais à tout entendre de sa bouche, alors que je répondais un timide “Oui. Veuillez m’excusez.”, en exécutant ses ordres, anxieusement.
“Honnêtement, Monsieur. Savez-vous à quel point vos théories peuvent être dangereuses, mh ? Surtout lorsqu’on constate ce qu’il s’est déroulé récemment, n’est-ce pas ?”
Il m’avait ressorti ma thèse au complet, réimprimée, avec de nombreuses annotations et suggestions de modifications. Je ne le sentais vraiment plus. Je voulais sortir très rapidement de la pièce. J’étais en train de récupérer tout ça et de lire en diagonale les corrections apportées en me décomposant.
“Pas un mot, mh ? Vous manquez d’assurance, mais vous êtes capable de convaincre n’importe qui de se radicaliser du mauvais côté. Cela serait très dangereux si votre… travail, venait à se retrouver entre les mains de n’importe qui. Vous pourriez même être suspecté comme dangereux, si votre thèse venait à être complètement exploitée par des criminels. Je ne dis pas que c’est du mauvais travail, au contraire. Mais c’est assez loin de la réalité que nous vivons actuellement. Vous ne pouvez pas me contredire là-dessus.”
Je hochais la tête, même si j’avais l’impression qu’un épais brouillard s’était installé dans mes synapses. Je… j’allais devoir tout recommencer ? Trouver un nouveau sujet ? Allais-je être renvoyé tout de suite ? Je tremblais alors que je ne pouvais m’empêcher de lire toutes ces corrections qui me dégoûtaient et me déplaisaient plus les unes que les autres.
“Ainsi… Je vous propose… Même si le terme exact serait plutôt que j’impose, que vous preniez en compte les modifications que mes collègues et moi-même avons apporté à votre travail. Bien entendu, si vous refusez, vous pouvez prendre directement la porte. En acceptant, cependant, vous auriez une place privilégiée dans nos laboratoires, et vous conserverez votre titre de professeur. Il faudra simplement que vous acceptiez et que vous signez juste ici. Nous modifierons votre thèse pour qu’elle soit plus acceptable et moins dangereuse pour la population. Prenez le temps de prendre connaissance des changements proposés.”
Je m’étais arrêté de respirer. Je n’arrivais plus à penser à autre chose qu’au fait que cet homme était une personne horrible. Modifier mon travail…? Et me menacer d’accepter pour garder ma position et grimper les échelons ? J’étais… Qu’est-ce que j’étais supposé dire ? Je ne voulais pas perdre tout ça. j’avais travaillé tellement dur depuis neuf ans. Je voulais vomir de dégoût. Et pourtant…
“J’accepte. Modifiez ce qui ne convient pas. Je serai plus rigoureux la prochaine fois. Veuillez m’excusez.”
Un maigre sourire de la part de mon supérieur, alors que je continuais à me décomposer, sans même avoir pris le temps de tout relire. Avais-je fait le bon choix ? Est-ce que finalement, Sūrya avait raison lorsqu’il m’avait assuré qu’il fallait que je change de sujet ? Plein de questions tournaient en boucle dans ma tête. J’étais déçu. J’étais décevant. Je me détestais. Je détestais l’Académie et ces abrutis qui réfutaient tout ce qui n’allait pas dans leur sens.
“Parfait. Je suis rassuré. Perdre un bon élément tel que vous aurait été du gâchis. D’ailleurs… Des rumeurs couraient sur vous et votre famille. Il semblerait qu’elles soient faussées, et tant mieux.”
“P-pardon…?”
“N’y faites pas attention, ce sera mieux ainsi. Profitez de vos vacances, nous vous recontacterons.”
***
Blanc. Froid. Calme.
Les paysages sauvages Tôkanois m’avaient toujours apaisé dans les pires moments. Les pires moments. Foutus pires moments. Les mots ne suffisaient pas décrire cette période que nous traversions tous en ce moment. Depuis le Festival de l’Aube, tout avait dégringolé. Si seulement il n’y avait que ma thèse, qui n’allait pas. J’aurais pu l’encaisser. Être simplement déprimé d’avoir dû la modifier, sous peine d’être viré si je ne le faisais pas. L’autre solution avait été de la retirer entièrement. Et adieu le doctorat. J’avais dû ravaler ma fierté. J’étais dégoûté. Mais ça n’était pas le pire de mes tracas.
Je donnerais n’importe quoi pour que toutes les autres catastrophes ne soient pas arrivées. Un échec de carrière ou une déception immense causée par la fermeture d’esprit du comité scientifique de l’Académie, ça n’était rien. Rien du tout. C’était juste une goutte de trop en plus, alors que le vase avait déjà explosé en mille morceaux sous la pression quelques jours auparavant.
Plus rien ne m’animait plus que la peur. Le désarroi. Le désespoir. Je voulais crier, pleurer à quel point tout est injuste dans ce monde qui s’était mis à devenir de plus en plus cruel.
D’abord Stitch. Il n’était pas présent au Festival. Ce n’était pas trop son truc, je crois… Et son corps avait été retrouvé, mortellement blessé par un de ces Pokémons Paradoxes, alors qu’il parcourait la Jungle Trompeuse, comme à son habitude. Nous n’étions pas si proches, mais j’avais passé quelques bons moments à apprendre de nouvelles choses. Pourquoi… Ces créatures s’en prenaient à nous comme ça…? Il était fort. Il n’aurait pas dû mourir comme ça…
***
“Niko… On s’inquiète beaucoup pour toi. Tu ne veux pas aller couper du bois pour ce soir ? Sortir un peu ça t’aidera à avoir les idées plus claires, tu ne penses pas ? Emmène toute ton équipe et nos Pokémons avec toi. On ne sait jamais. Les Paradoxes n’ont pas encore été aperçus dans le coin, mais on ne peut rien prévoir…”
***
Blanc, froid, calme.
Devant mes parents, je faisais bonne figure. J’étais déprimé. Ils le voyaient. Mais j’avais encore beaucoup d’émotions tourbillonnantes en moi. Je ne voulais pas les inquiéter. Eux aussi étaient inquiets et affectés par ce qui était arrivé à Haru.
Haru… Je voulais tellement me rapprocher de toi et qu’on s’entende comme une famille. Malgré nos différends et nos incompréhensions. Est-ce que c’est de ma faute, ce qu’il t’est arrivé ? Je t’avais encouragé à aller t’entraîner régulièrement. Je t’avais encouragé à revoir tes parents et donc à revenir à Tôkan. Et pourtant… Et pourtant, cela t’avait mené à ta perte. Rien n’est perdu pour toi, mais t’avoir vu dans cet état… Seule la culpabilité me rongeait. J’espère qu’un jour, tu te réveilleras. Mes excuses ne suffiront jamais et ne te rendront pas les semaines, mois ou années manqués… Vas-tu seulement te réveiller...?
Je n’avais pas la force de couper ce bois. Je ne savais plus ce que je ressentais. De… de la colère ? J’étais terriblement en colère, oui. C’était injuste. J’avais envie de me défouler. Pour une fois, dans ma vie, j’avais envie de montrer ce que je ressentais, sans filtre.
Avec rage, je m’étais attaqué à un des arbres qu’il fallait que je coupe. Me défouler en accomplissant cette tâche ne faisait de mal à personne, même si je voyais bien dans les yeux de mes Pokémons qu’ils avaient du mal à me reconnaître.
La colère me rendait efficace. Ma force était… plus marquée que d’habitude. L’adrénaline montait toujours plus, à chaque coup de hache. Je comprenais pourquoi mes parents m’avaient demandé de sortir. Ils savaient que j’aurais besoin d’extérioriser.
***
Rouge, chaud, colère.
Je n’avais plus à cacher ce que j’avais au fond de moi.
Mes yeux et mes joues étaient rougies et chauffées par la tristesse.
Une tristesse mêlée à de la colère.