Heureusement qu'il plaisantait. Même en me lavant les mains, ça restait gênant de faire des tresses à un type que je ne connaissais pas vraiment. N'empêche que ça lui irait bien, maintenant que j'y pense. J'étais assez motivé à essayer de me laisser pousser les cheveux, quand j'aurai terminé ma troisième année. Jusque là, les classes étaient assez réduites. Les gens moins matures, aussi. Tout ira mieux quand on sera en cours magistral avec une bonne centaine d'inconnus.

Ah oui, une selle. C'était mieux. Il y avait des gens qui n'en utilisaient pas. Mais c'était tellement rare. Je n'avais aucune idée de ce que pouvait être un licol, mais je le suivis quand même. Ça devait être le truc qu'on leur met sur la tête pour les traîner en laisse.

C'était à moi de guider la jument, et j'avais un peu peur de trop la tirer. Les coups de sabots, ça devait pas être très agréable. Pas du tout encaissable comme les coups de griffes des Miaouss errants…

"Euh… je vais essayer. Je pense que j'ai compris. Peut-être."

Avec mes troubles de l'attention, il m'arrivait de complètement décrocher quand on m'expliquait des choses. Et là, ça commençait à être le cas avec la journée qui était bien avancée. Heureusement que Lysandre était encore là pour m'aider. Seule, ça serait compliqué de faire quelque chose de correct.

Ensuite, il m'avait aidée à grimper. Il avait de la chance que je sois légère. En tout cas, ça faisait… très haut. Je caressais le cou de la Bourrinos, espérant que ma présence ne la gêne pas. Moi, ça me soulerait qu'on me grimpe dessus et qu'on me tripote, perso. Erk.

"OK. Marche pas trop vite,  pour l'instant.", lui demandais-je histoire qu'elle ne se mette pas à détaler sans prévenir. On va éviter une chute stupide. "Trotte…?"

Ça secouait déjà un peu plus pour moi. Je m'agrippais à elle, plutôt confiant, et sans avoir réellement peur de tomber. Et si j'essayais le galop, quand on sera dans une plus grande zone ? C'était peut-être une mauvaise idée quand on n'était pas habitué à la cavalerie. Mais je commençais à m'éloigner de Lysandre, et la tentation des grandes vitesses m'avait convaincu d'essayer. "Galope, pour voir ?" Je sentais que j'allais regretter. Et c'était ça, qui était bon, dans le fond. Faire des expériences.

Le galop secouait énormément. Bien plus que ce à quoi je m'attendais. J'avais peut-être un peu trop sous-estimé le danger dans lequel ça pouvait me mettre. Mais pour l'heure, je profitais de ce frisson de nouveauté, de cette gorgée d'adrénaline qui venait emplir tout mon être. C'était presque revigorant.

Jusqu'à ce que je vois un obstacle. Elle allait pouvoir sauter, non ? Si quelqu'un de mentalement stable serait en train de chialer de peur et de supplier la jument de s'arrêter, moi, j'allais laisser le hasard décider. Qu'elle saute ou fasse demi-tour, on verra bien. Je restai pourtant bien accrochée à elle, lui faisant aveuglément confiance.

Mathurin ? Connaît pas. Pas vu, pas entendu. J'étais beaucoup trop pris par le frisson de l'action pour y faire attention. Jusqu'à ce qu'un Pokémon commence à voler tout proche de nous. Fais chier. Il était à présent droit devant nous, ce qui contraint la jument à un freinage en se hissant sur ses pattes arrières. J'avais lâché prise.

Boom.

Je m'étais rétamé. Rien de cassé, pas de mal à respirer… juste très très mal aux fesses et aux genoux qui allaient sans doute saigner pas mal, sans non plus être hémorragique. Je levai tout de même le pousse en l'air à l'intention de Lysandre malgré une grimace et un râle mécontent.

"Gnhgnh... Saloperie de piaf…", marmonnais-je.

J’avais mal aux fesses, évidemment, puis aux genoux, puisque ça sanguinolait un peu, mais psychologiquement, j’allais bien. L’adrénaline, tout ça. Je m’étais bien amusé, même si j’aurais tout de même préféré ne pas me rétamer par terre, de préférence.

“O-ouais, tranquille. Je serais moins débile, la prochaine fois, je tenterai pas le galop sans entraînement. Au moins, j’apprends de mes conneries…-”

Mais je venais de me faire couper la parole par un Mathurin mécontent. Je grognais dans ma non-barbe, sans lâcher son regard. J’assumais complètement ce qu’il venait de se passer. Et j’allais lui répondre sans broncher, me relevant avec un petit de difficulté et de douleur, mais bien décidé à lui répondre. Sauf qu’il était déjà parti.

“Même pas possible de s’expliquer ? On a rien fait de mal, c’est bon, là.”, grommelais-je avec mécontentement. “Désolé, Lysandre. Quel caractère de merde, putain.”, jurais-je, en m’assurant qu’il ne m’entende pas. “Princess est super jolie comme ça, je vois pas où est la maltraitance. Encore qu’il soit fâché pour ses piafs, je comprends, mais bon. Je leur juste offert une sieste gratos, c’est pas si mal.”

Je soupirais, un peu déçu qu’une journée pas trop pourrie s’annonce finalement complexe sur la fin. Mon daron allait me priver de sortie, encore, même si je comptais lui expliquer ma version des faits lorsqu’il viendra me chercher à la fin de la journée. Fais chier, quand même.

“Je pense qu’il va m’engueuler un peu, mais quand je lui explique les choses, il se calme. Tranquille. Je lui expliquerai dans la voiture. J’ai passé une bonne journée, à part ça. C’était cool, surtout les moments avec les Pokémons, genre.”

Une vingtaine de minutes plus tard, mon père était arrivé, s’excusant longuement aux côtés de Mathurin en lui expliquant que j’étais perturbé suite à une enfance difficile - dont je ne me souvenais pas, au passage - et qu’il était prêt à réparer mes fautes de quelconques manières.

“C’est bon, j’ai juste envoyé des piafs à la sieste et rendu son canasson encore plus beau… L’accident à la fin, c’était ma faute, mais personne n’est blessé, et Princess a l’air contente.”

“Fēi, ça suffit ! Rassemble tes affaires et monte dans la voiture. Inutile de répondre à nouveau, n’aggrave pas ton cas !”

Quand il me lançait son regard bleu-gris sévère, je savais que je devais la fermer et l’écouter. Il n’usait jamais de violence - encore heureux - mais vu comme l’air semblait se refroidir, autant filer droit.

En faisant clairement la gueule, je récupérai mes affaires grâce à Lysandre, m’excusant à nouveau auprès de lui une fois éloigné des deux vieux cons qui ne comprenaient rien.

“Désolé, je sème la pagaille partout où je vais, j’ai l’impression. C’est chiant. J’ai vraiment fait quelque chose de mal…?” De l’inquiétude pouvait se sentir dans ma voix. Signe que je me remettais quand même un peu en question. “J’avais des a priori sur le monde rural, mais maintenant, j’espère qu’on pourra se revoir.”

Sinon, tant pis, mais il était vraiment sympa, ce Lysandre.

Mon père, pas trop dur ? Ça dépend de son humeur, en vrai. Et même s'il est dur à un moment donné, je trouvais toujours un moyen de lui expliquer mon point de vue. Il fallait juste que j'encaisse la tornade qui allait arriver sans trop rechigner. C’était pas facile, de rester docile alors que j’avais mon mot à dire.

"T'inquiète, je vais survivre. En soi, j'ai blessé personne. Faudrait que Mathurin apprenne à s'amuser des fois. Pas notre faute s'il est vieux et aigri."

Une petite pique qu'il ne pouvait pas entendre, même si j'aurais aimé que ce soit le cas. Je me serais pris une énième engueulade, si c’était parvenu à ses oreilles, mais j'assumais complètement ma pensée !

“Je connais pas trop la mer, ça serait cool.”

Je m’arrêtais pour lui filer mon numéro d’holomontre après l’avoir rallumée. Ce sera plus simple, si un jour, on venait à se recontacter. Perdre contact à tout jamais, ça serait juste dommage. Il y avait des gens qui n’étaient que de passage, dans la vie, mais je n’aimais pas trop ce concept.

“Tiens. Je vais retrouver mon père, maintenant. Encore merci pour cette journée, c’était cool, genre.”

Je le pensais vraiment, étonnamment. Moi qui pensais qu’il n’y aurait que des ploucs pas trop funs, dans ce trou paumé. Finalement, j’avais appris des trucs. Ce que je tentais d’expliquer à mon responsable légal sur le retour. Il s’était définitivement détendu quand je lui avais expliqué mon point de vue. Je m’étais ensuite rapidement endormi dans la voiture, peu habitué à tant d’efforts physiques.