▉« … Bon, on y va. »

Rien à faire. Malgré l’insistance de son Dresseur, le Furaiglon ne voulait pas bouger. Pour faire bonne mesure, il se mit même à secouer le bec sur le sol, s’emmitouflant ainsi dans un léger manteau de sable et de cendres, pour bien faire comprendre ses intentions.

Un Furaiglon qui avait peur, on aura tout vu ! Mais oui, il l’admettrait sans détour, s’il avait été doué de la parole. Il n’aimait pas les Sables d’Agate ; chaque plume de son corps était hérissée par la crainte. Depuis qu’il avait quitté sa Poké Ball, il l’avait senti, cet endroit sentait la mort à plein les narines. Et il était terrifié de croiser à nouveau ces horribles, comment les humains les appelaient-ils déjà, Pokémon Paradoxes. Terrifié de ces coquilles vides hurlantes et de leur brûlure, la douleur encore vive dans le souvenir de l’oisillon. Ses ancêtres auraient peut-être honte de lui, fiers qu’ils étaient de leur puissance, de leur règne sans partage sur leur territoire, mais, ah ! Ils n’avaient pas connu ces monstres. Sans doute, s’ils avaient pris la peine de vivre pour lui, n’auraient-ils pas faits les fiers.

Il l’avait bien compris, son Dresseur ; et sa langue claquait d’exaspération contre son palais. Autant contre le Furaiglon que contre lui-même. Lorsque les autres Dresseurs du Groupe Victini combattaient, tout cela semblait si … facile. Vici ne le comprenait pas. Il fallait dire que les Pokémon, à Ath Urbà, étaient une rareté. Le seul qu’il avait pu voir de près avait laissé ses marques dans sa chair, des nœuds dans ses doigts ; et ce qui semblait si simple pour ses — collègues ? Collaborateurs ? — lui était insurmontable. Toucher son propre Pokémon, pour le réconforter, faisait remonter la bile dans sa gorge. Pff. C’était un cul-de-sac. Si seulement il pouvait rentrer chez lui … Baste-Agate n’était pas si loin d’ici, d’ailleurs, peut-être à une demi-journée de marche …

Non. Il n’y avait rien de mieux qui l’attendait à la maison. S’il y avait seulement encore une maison. Mais …

En face d’eux se trouvait la Cité Ensevelie. Ou, du moins, les quelques pierres qui subsistaient en surface de la Cité Ensevelie. Vici n’avait guère l’intention de s’aventurer trop près. Il était peut-être un tout petit peu intrigué, certes, mais il savait ce genre d’endroits dangereux, comme n’importe quel autre kalaharien ; le sol n’était pas stable, et tomber dans un trou de sable et de se noyer — ce qui aurait été un trépas particulièrement ironique — n’était pas un risque qu’il voulait prendre. Il avait juste prévu de s’entraîner, aussi loin que possible de la capitale. Avait-il oublié les restrictions en place ? Un peu, oui. De toute façon, ça n’aurait pas changé grand-chose ; puisque pour l’instant, son Furaiglon refusait de faire le moindre pas, l’oisillon l’observant sous sa cape de sable avec l’air le plus colérique qu’il pouvait conjurer.

 

▉Vici avait envie de hurler. Ce n’était pourtant pas son genre, aussi surprenant que cela puisse paraître. D’ailleurs, il ne se souvenait même pas de la dernière fois qu’il l’avait fait. Peut-être à ce moment-là, mais ses souvenirs étaient flous et fragmentés, tels des Magicarpe idiots — il se souvenait, cependant, de la main ferme de son paternel sur sa bouche, donc peut-être … Il était plutôt de ces colères froides, qui ne laissaient présager des coups à venir, et qui avaient pourtant laissée une marre indélébile sur ses traits ; des formes qui en avaient oublié d’autres.

Les montagnes de Kalahari, même s’il les aimait — faute d’avoir connu autre chose, il préférait ça à une Lapis-Cité qui promettait l’Eldorado à ses ombres comme une carotte pendue devant le nez d’un Bourrinos —, n’avaient guère cultivé une faculté à être aussi … Démonstratif. Ce n’était pourtant pas comme si quelqu’un pouvait l’entendre, en plein milieu du désert. Quelques Pokémon sauvages, quelques roches millénaires paresseuses, peut-être des fantômes. Et pourquoi pas ? Il paraîtrait que c’était bon, pour évacuer la frustration. Il l’avait vu dans des films. Des héros, jetant leur colère par-dessus les falaises comme le kalaharien jetait ses pieds dans le vide à l’occasion. Et puisque son Furaiglon semblait imperméable à la parole douce — tout du moins aussi douce que la sienne puisse être —, et puisque pour l’oisillon, la colère était préférable à l’indifférence …

Vici essaya.

« Pu—! Tain … »

Mais l’énergie l’abandonna dès la première syllabe. Son corps se tassa, s’accroupissant sur le sable, tête rentrée dans les épaules ; essayant de se reconcentrer. Il savait qu’il aurait dû être capable de moins que ça ; se faire obéir d’un piaf juvénile. Quelle honte. Quel idiot. Pauvre con pathétique.

« Vahàrd, a màla— »

Un soupir lui échappa, alors qu’il releva lentement la tête.

Au travers de ses mèches, il vit près de la Cité Ensevelie, il y avait … Un Balbuto ? Oui, c’était bien ça, un Balbuto, qui semblait danser sur son unique pied plus loin dans le sable. Il avait l’air … Un peu teubé, et pas trop agressif. Une bonne cible, s’il voulait s’entraîner avec son Furaiglon. Du moins, si celui-ci se décidait à bouger. Vici étira son corps — il lui semblait particulièrement lourd, et il aurait été incapable de dire si ce n’était que l’engourdissement dû au soleil, ou autre chose qui pesait sur ses épaules — et commença à s’approcher prudemment du Pokémon.

 

▉Le kalaharien avait fait quelques pas en direction du Balbuto. Pas trop près, pour rester à bonne distance des possibles trous de sable, mais il semblait que la poupée d’argile ne faisait de toute façon pas attention à lui. Il n’était pourtant pas spécialement discret. Il n’était pas particulièrement grand, mais il devait être de loin la créature la plus imposante à la surface des Sables d’Agate, seulement rivalisé par les montagnes au loin et les pierres de la Cité Ensevelie. L’Organisation n’arrêtait pourtant pas de leur répéter — et il l’avait cru, et une partie de son cerveau devait toujours le croire un peu, pour ne pas croire à la place que la colère de l’Airmure n’était pas injuste — que les Pokémon sauvages étaient tous dangereux. Celui-là n’avait pas l’air trop concerné. Il n’avait probablement jamais vu un être humain de sa vie.

Vici se retourna à moitié là où il avait laissé son Furaiglon, pointant le Balbuto. « … Même pas ça ? »

L’oisillon avait levé la tête, observant au bout du doigt de son Dresseur la silhouette dansante du Pokémon. C’est vrai qu’il n’avait pas l’air trop coriace, celui-là. A le voir aussi instable sur son pied, un seul battement d’ailes d’un Gueriaigle cadet l’aurait fait s’envoler par-dessus la montagne … Non ! Il enfouit à nouveau son bec sous le sable. Ce n’était pas que la peur du combat. Il fallait tenir une position ferme pour se faire entendre ! Wa-iou.

… Bon, inutile d’insister. Vici commença à se retourner fouillant d’une main dans son sac à la recherche de la Poké Ball. Et dire qu’il avait pris sur ses économies pour acheter des Poké Ball neuves, quand il était arrivé à Lapis-Cité, croyant qu’il allait pouvoir commencer une véritable équipe. Excès d’ambition infantile, et surtout une grosse perte de temps et d’argent—

Un arc électrique lui traversa la jambe.

Figé sur place, il vit seulement le Balbuto s’immobiliser, puis derrière lui les yeux de son Furaiglon s’écarquiller de surprise, eux aussi. Il n’osa pas regarder — peut-être qu’une partie très primitive de son cerveau pensait qu’il suffisait de ne pas voir la blessure pour l’ignorer, de la même façon que certaines proies se sentaient invisibles immobiles face à leurs prédateurs —, mais son esprit lui envoya une image mentale très, très nette, la sensation de l’acier sur sa peau trop familière pour être ignorée.

Quelque chose venait de le mordre. Quelque chose enfoui sous le sable.

 

▉Ce qui l’avait mordu devait avoir un certain sens du suspense. Ou peut-être est-ce que ça n’attendait juste qu’un mouvement de sa proie, pour s’assurer que sa prise était bien assurée et qu’elle ne risquait pas de lui échapper. En tout cas, ça sembla attendre que ce que ça tenait dans sa gueule ne tente de se soulever, pour tirer d’un coup sec, le traînant dans les profondeurs …

Ou tout du moins, un généreux mètre sous la surface, car les Mysdibule n’étaient pas très doués pour creuser le sable. Ça suffit cependant à déséquilibrer Vici, qui s’affala lourdement en travers du trou où le Pokémon sauvage s’était enterré. Le Furaiglon, une fois la surprise passée, ignora la peur qui hérissait encore ses plumes, bondissant vers le trou. C’était son Dresseur, après tout, le garçon qui l’avait élevé depuis l’œuf ; ou tenté de le faire, ce qui était, malgré ses fautes, déjà mieux que ses ancêtres.

Il sentit le premier l’électricité qui soulevait les minuscules grains de sable, comme flottant sur un tapis d’air.

Le kalaharien le sentit aussi, inconsciemment, mais était un peu trop occupé pour s’en rendre compte. Par réflexe, sa jambe libre se mit à donner des coups secs, forçant le Pokémon relâcher sa prise sur sa cheville. Le Mysdibule était un opportuniste, et abandonna aussitôt. Il n’était pas prévu que sa proie oppose une telle résistance ; et un humain, en plus ! Depuis combien de siècles les humains n’avaient parcouru entre les murs de leur ville antique, il savait encore parfaitement ce que les humains avaient été capables de créer. Oh, le boss de la té-ci n’allait pas aimer ça … Pas du tout !

Vici regarda, un peu hébété, le cœur frappant sa poitrine comme un Pijako en cage, le Pokémon s’enfuir sous le trou de sable — dans ce qui devait être sans doute une ancienne veine des ruines, et il n’aurait pu qu’être content de ne pas avoir été traîné plus bas encore, sans quoi il aurait eu du mal à remonter. Et là où il disparut, dans les ombres … Il y eut une lueur. Un éclat jaune éblouissant. Comme une pépite, s’il ne pensait pas que la Cité Ensevelie, si elle n’avait jamais possédé de l’or, avait été vidée des années et des années auparavant de ses trésors par les colons.

Puis, un deuxième éclat.

Un troisième, et une multitude de lueurs qui s’étirèrent en soulevant le sable autour d’elles comme une seule main gigantesque. « —Heroh ! »

Le Furaiglon réagit sans réfléchir, repoussant le sable contre la créature enfouie. La main du géant se referma à quelques centimètres du kalaharien avec un cri sourd — il se dira plus tard que ça ressemblait beaucoup au cri des Pyrax mécaniques, quelque chose d’à la fois primal et artificiel, comme un écho dans un tuyau de métal —, s’abritant le visage. Sans doute était-ce son visage, son œil. Quoi que ce soit, Vici n’allait pas s’attarder pour voir à quoi ressemblait le reste de la créature. Il en profita pour pousser sur ses coudes, se hissant urgemment en-dehors du trou de sable.

Son Pokémon n’attendit même pas que le Dresseur se retourne et ne le regarde pour comprendre ce qu’il pensait, et anticipa : on se barre !