Aujourd'hui, j'avais osé. Et j'avais très vite regretté. Pourtant, il y en avait, des personnes assignées garçon à la naissance, qui portaient du maquillage, à Uxie. Je n’étais pas le seul. On avait même un prof - Óneiros Neos - qui en portait de temps à autre. Alors pourquoi je m'en prenais systématiquement plein la gueule quand je m'affirmais ?!

Rouge aux yeux. Rien que ça. Et rien d'autres. Assez asymétrique, mais passable. Boucle d'oreille à droite, à frange. Un piercing que je m'étais fait moi-même avec une aiguille, il y a quelques jours. Comme ça, sur un coup de tête ! Sinon, je portais des vêtements classiques. Jeans noirs, T-Shirt blanc neutre, et veste à capuche verte émeraude. Rien de notable.

Alors pourquoi ces connards étaient là à m'encercler après m'avoir asséné d'insultes en tout genre ?!

J'avais envie de le faire.

De les frapper.

De les saigner.

Pourquoi je ne pouvais pas être tranquille une seule putain de journée dans cette école ?!

Il fallait que je remette tout ça dans son contexte, tout de même. Je marchais simplement dehors, un livre à la main. À cause de mon trouble de l'attention… j'avais des moments d'hyperfocus. Des fois. Et plus rien autour n'existait. J'avais bousculé un gars. Et j'avais refusé de m'excuser. Puis les autres avait accouru.

J'avais évidemment reçu des insultes en tout genre. Sur mon maquillage. Des insultes qu'on pourrait qualifier d'homophobes ou de transphobes. Ça m'avait déstabilisé. Mais j'étais trop fier pour en pleurer, alors j'avais voulu en frapper un ou deux.

Maintenant, ils m'encerclaient. J'avais été rué de coups. Et j'avais continué à les insulter et à les traiter de lâches, pour s'y mettre à autant sur moi, ça avait vivement attisé leur volonté de me nuire.

Quelqu'un d'autre était arrivé. Super. Encore une qui allait m’humilier, j'imagine ?

Mais j'avais reconnu Lydia. Elle les engueulait. Je ne la connaissais que de loin, et d'après moi, elle était… correcte. Pas une harceleuse. Mais une fille populaire. Rien à voir avec moi, quoi.

J'affichais un air surpris lorsqu'elle les fit se barrer à toute allure. Je soupirais, commençant à sentir les larmes me monter aux yeux. J'étais en colère ! J'aurais pu leur balancer un de mes Pokémons à la gueule, mais le risque d'être viré et de me retrouver confisqué était trop grand.

Je n'arrivais pas à répondre à sa question. À la place, je baissai les yeux. Je n'aimais pas qu'on me touche, même sur c'était minime.

Je finis par me relever et dire simplement : "O-ouais. Faut… aller en cours. On est en retard."

Je tremblais, j'avais envie d'éclater en sanglots. Chose que je ne faisais jamais en public. Les larmes montaient pourtant à une vitesse fulgurante. J'avais fini par me recroqueviller sur moi-même, au sol, respirant très fort. Une crise d'angoisse. C'était pas le moment. Merde. Elle allait forcément se foutre de ma gueule !

Aller en cours était de plus en plus compliqué. Les emmerdes augmentaient chaque semaine, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Et là, j'avais tout gâché en me mettant à pleurer. J'avais craqué complètement.

Je m’en voulais un peu de pleurer, alors que j’aurais pu tout simplement encaisser et rester blasé le reste de la journée. Attendre le soir pour m’effondrer et pleurer jusqu’à l’épuisement. Mais parfois, le corps craquait avant l’esprit. Je m’étais effondré, et le psychologique avait suivi.

Elle ne se moquait pas de moi. je tremblais un peu. Ouais, j’en avais gros sur la patate, là. Beaucoup trop gros. Et pas seulement à cause de l’école. Je n’en pouvais plus de tout. Je voulais tout envoyer bouler ! Tant pis pour l’absence, j’allais rentrer chez moi. Je prétendrai que je suis malade, comme c’est déjà arrivé. Surtout qu’elle m’assurait qu’une fille de notre classe prendrait les notes. Je ne comptais en général sur personne pour le faire, puisque je travaillais en solitaire. Ou alors je demandais le cours directement aux profs. En général, ils me le filaient. C’était bien un des rares avantages de mon trouble de l’attention.

J’avais levé les yeux sur elle, ayant du mal à reprendre la parole. Comme si on m’avait cousu les cordes vocales et qu’il fallait que je force dessus pour que le moindre son sorte de ma bouche.

Je sentais que je pouvais au moins lui faire un peu confiance. Elle m’avait aidé à me sortir d’une bagarre déloyale, puis elle était restée malgré mon effondrement. J’étais un peu gêné. Puis elle venait de me relever avec force ! J’étais un poids léger, donc aucun souci pour elle, mais je ne supportais pas qu’on me touche…

“Je veux pas y retourner. Pas maintenant. Je vais faire un meurtre, c’est une très mauvaise idée.”, grommelai-je avant d’entendre sa seconde proposition qui animait en moi un petit feu de rébellion adolescente. “On va grailler. J’ai pas mangé non plus. Et je t’invite pour acheter ton silence. J’ai besoin de me confier, mais je refuse que ça se fasse savoir. Ce serait comme donner le couteau pour me faire planter, et je pense que j’en bave assez comme ça.”

J’avais retrouvé mes airs blasés et sombres habituels. Est-ce que je pouvais réellement lui parler de la raison pour laquelle on me tapait depuis que j’étais entré à Uxie ? Bon, en fait, il y avait plusieurs raisons, dont certaines qu’elle connaissait déjà. Parce que les profs faisaient trop attention à moi. Surtout M. Umalei. Parce que j’étais adopté depuis que j’avais dix ans. Parce que j’avais des troubles de l’attention et de la dyslexie. Parce que je participais beaucoup pour être certain de tout comprendre, quitte à parfois remettre en question le cours du professeur avec mes propres connaissances. Et surtout, parce que je n’étais pas un garçon et que je ne savais pas encore comment le dire. J’avais mis du maquillage, aujourd’hui. un jour, peut-être que je mettrai des vêtements plus féminins ? J’aimerais bien. Mais je craignais le regard des autres et tout ce qui pouvait m’arriver.

“Tu connais quoi comme café pas trop proche d’Uxie ? Qu’on tombe pas sur les autres s’ils sortent pendant la pause de midi.”

Je voulais plus les voir, je les détestais. Je ne voulais pas me décomposer à nouveau devant eux.

Eviter le meurtre… C’était mieux. Je n’avais pas forcément pour objectif de devenir un criminel. Cela reviendrait à finir comme ma mère et… non, je ne voulais pas y penser. Je ne me rappelais presque pas de son visage, de toute façon.

Je grognais donc pour seule réponse, juste avant qu’elle ne rechigne quant à ma proposition… ou plutôt mon ordre de payer à sa place pour acheter son silence. Elle était puérile, c’était presque agaçant, en fait. Je soupirais. J’avais mal à la tête. Normal avec les coups que je m’étais pris et le stress que je ressentais.

“Bah… si, je peux.”, finis-je par répondre en haussant les épaules. Pas besoin d’acheter son silence ? Je restais méfiant. Mais de toute façon, même en lui payant un coup à boire, rien ne me garantissait qu’elle ne dirait rien. Mh… “Chacun paye sa part, alors. Ça m'arrange, j’ai presque plus d’argent de poche.”

J’avais tout dépensé dans des livres et du maquillage. C’était affreusement cher, mine de rien. J’attendis un instant qu’elle se décide sur le lieu où on irait boire et… j’étais surpris. Les mangas, c’était parfois mal vus. Soit vu comme quelque chose de bizarre, soit enfantin. Je pense qu’elle avait dû remarquer ma mine étonné. Bien sûr, j’étais un grand consommateur de manga et d’anime…

“Nan, c’est bon. Je connais le manga café, j’y vais souvent avec des amis.”

Mes amis IVL quand ils passaient à Bedwyr, c’était ce que je sous-entendais. Parce que je n’avais pas d’amis à Uxie, sinon, ce serait trop simple. Je ne me sentirais pas aussi seule.

“On y va, du coup. Faut pas trop traîner. Si des surveillants nous voient, on est foutus.”

J’avais séché mes larmes, et je semblais aller légèrement mieux, même si j’avais encore les yeux rouges et l’air maussade. Je restais assez silencieux sur le chemin, même si je repensais d’un coup à sa tactilité qui me dérangeait un peu. Et juste avant d’entrer dans le manga café.

“Au fait. Me touche plus comme tu l’as fait plus tôt. J’aime pas qu’on me touche.”

Et sur ces bonnes paroles, j’entrai dans le bâtiment, me rendant à l’accueil pour payer mon entrée, dans un premier temps. Normalement, j’avais droit à une boisson offerte. Encore heureux, vu le prix de l'entrée… Ils se faisaient plaisir.

C'est vrai, ça. Pourquoi je n'acceptais pas de me faire inviter ? Parce qu'elle était une fille ? Non, je m'en foutais complètement du genre des gens. Même si je craignais un peu plus des garçons que les filles, très honnêtement. On se demande bien pourquoi !

"J'ai pas envie d'être redevable. En plus, mon père gagne bien sa vie. Au pire je lui demanderai plus d'argent de poche si je suis dans le mal."

Je n'avais aucune honte à l'affirmer. C'était le cas de beaucoup d'étudiants à Uxie. Soit t'étais riche. Soit t'étais un gros cerveau. Parfois les deux, quand on a de la chance, mais ce n'est pas donné à tout le monde, quand on voit le troupeau de Capumains qui composent notre classe.

"Ah t'y es jamais allée ? Vu comme t'en parlais, on croirait que si." Bon. Maintenant, plus qu'à courir et éviter les regards des surveillants, tout aussi bien appelés gardiens de prison par quelques étudiants… "Je cours pas, j'ai mal partout. Tu me porteras si ça arrive.", plaisantais-je, trouvant ça fun dans l'idée mais assez gênant dans la pratique, en fait. "Je plaisante, me touche pas.", ajoutais-je au cas où elle m'aurait pris au mot.

D'ailleurs, j'avais jamais eu d'heures de colle, avant. Juste des avertissements parce que j'oubliais parfois de fermer ma gueule et d'éviter de remettre en question les contenus des cours de mathématiques, par exemple. En même temps, c'était chiant. Ça et les sciences, ça se mélangeait dans mon cerveau. Je devais passer énormément de temps dessus pour espérer avoir la moyenne ! Vivement l'année prochaine que j'en sois débarrassé à vie !

"...Bah je suis pas ta copine, justement. Ça tombe bien.", répondis-je d'un ton sarcastique en esquissant un léger sourire. Après tout, pourquoi pas. Je ne réalisais que trop tard que je n'étais pas embarrassé par l'usage du féminin dans ma propre bouche. Peut-être que de son point de vue, en effet, je ne pouvais pas être sa copine. Et pourtant…

Je devais lui expliquer comment ça marchait. C'était pas compliqué. Mais avant ça, je ne dis pas un mot et je réservai ma place ainsi que notre salle privatisée. C'était un peu cher, mais ça valait le coup, quand on y a passait du temps et qu'on se gavait de boissons et de livres.

"Viens payer ta part.", lui dis-je. Et un fois cette chose faite, je lui montrai là où nous allions passer le reste de la journée. Les murs externes de la pièce étaient à moitié transparents, légèrement opaques. De sorte à ce que personne de pervers ne fasse de choses trop privées, ni qu'on puisse trop nous percevoir non plus. "C'est là. Je vais chercher des boissons, installe-toi. Tu veux quoi ?"

Une fois sa requête acceptée, je partis chercher tout ça et revins sans trop tarder non plus. Pas assez de bras pour aller chercher des manga… je verrai ça plus tard.

Fallait maintenant que je lui raconte pourquoi j'avais déclenché une énième bagarre. Je soupirais avec lassitude. C'était compliqué.

"Je suis pas normal. C'est ça qui va pas.", avais-je avoué en détournant le regard. Je n'arrivais pas dire directement ce que j'avais à l'esprit. J'étais encore assez perdu à ce sujet. Je savais que je n'étais pas un garçon. Mais je ne savais pas non plus si j'étais une femme. J'étais sans doute quelque chose entre les deux, ou de complètement à part. Ça changeait par période, ce qui rendait la chose encore plus complexe.

"On m'a frappé parce que je porte du maquillage, ces derniers jours. Ils sont cons et je leur ai fait savoir. Ils m'aiment pas de base, donc le moindre prétexte est bon. Le fait que je sois adopté, amnésique, dyslexique, atteint de troubles de l'attention… Je suis une cible facile. Mais je me laisse pas faire ! J'ai de quoi me défendre. Je veux pas être une proie facile, moi.”

J’avais pourtant le cœur qui battait très vite, et une grosse boule d’angoisse dans le ventre dès que j’allais à l'école. Des crises d’angoisse et des pleurs, parfois. Puis, je me rappelai de cette fois au salon de thé avec Asgeir, où des étudiants m’avaient insulté de “vieille pute” et autres insultes homophobes parce que je portais du maquillage.

“J’ai peur qu’ils aient compris que… je suis pas un garçon, en fait. J’ai pas envie que ça aille plus loin, ce harcèlement.”

Voilà, c’était dit. Je me recroquevillai sur moi-même, triturant le tissu de ma veste entre mes doigts.

Mieux apprendre à gérer mon argent… J’en avais de côté, mais je n’y touchais juste pas pour avoir des réserves pour quand je vivrai par moi-même. En attendant, je pouvais bien profiter un peu de mon argent de poche, non ? Je n’en demandais pas énormément à mon père, en temps normal. Je n’étais pas un gamin trop embêtant, j’crois.

“T’inquiète, j’ai des réserves. J’ai bossé cet été, en plus. Normalement, je ferai des stages rémunérés pour l’Organisation l’été suivant aussi. Je me débrouille.”

J’étais loin d’être un assisté comme l’étaient certains ahuris de l’Académie. Après, s’ils avaient des parents blindés de la Haute-Uthyrgham, tant mieux pour eux.

Pas le temps de sortir avec ses amies ? Pourtant, on était encore qu’en troisième année. C’était une année plutôt tranquille, bien que décisive, comparé aux années d’études supérieures qui nous attendaient ensuite…

“T’as d’autres occupations à part les cours, ou tes parents t’empêchent juste de sortir ? Y’a des parents super chiants qui laissent aucune liberté, ça doit être pénible. Le mien il est strict mais du moment que je le préviens et que je sors pas trop tard la nuit, je fais un peu comme je veux.”

Si on se faisait choper avec moi sur son dos…? Selon le surveillant, je pense qu’il trouverait ça tellement loufoque qu’il serait trop occupé à rire pour nous arrêter. Bref, je ne dis rien de plus à ce sujet, de toute façon nous avions réussi à sortir de l’Académie sans encombres.

“C’est pas que j’aime pas, mais… c’est trop bizarre.” Entre camarades qui ne se connaissaient pas, en tout cas, je trouvais ça anormal d’être tactile, mais c’était peut-être juste parce que les contacts physiques me ramenaient à un profond sentiment d’angoisse lié à mon amnésie.

Quand j’avais commencé à me confier, elle avait demandé plus de détails, évidemment. Détails que j’avais fini par lui apporter, même si ça n’était pas très agréable et que j’avais la boule au ventre, et surtout, très envie de me cacher de honte. C’était la première fois que je me confiais à une camarade. Et… ça se passait bien. De toute façon, si je l’avais sentie hostile, je n’aurais jamais avoué ça comme ça. Je n’étais pas débile. Il ne manquerait plus que ça, que je tende le bâton pour me faire battre…

Je grognais. Éviter de leur rappeler qu’ils sont cons ? C’est pas évident, quand je les vois ricaner comme des demeurés en se moquant de moi dès que je commets la moindre erreur, lorsqu’on m’interroge en classe. Ou lorsque, justement, c’est moi qui corrige les profs quand ils font des erreurs ou que je trouve que leur cours a quelques défauts. Se moquer de moi parce que je ne me fonds pas dans la masse, c’est débile. Me rabaisser parce que je suis adopté ou dyslexique, c’était pas mieux non plus.

“Avant, j’ignorais. Mais quand ça commence à taper, je peux plus. Mon sang ne fait qu’un tour, je commence à répondre et à me défendre. J’ai pas le choix.”

J’avais aussi un certain attrait pour l’adrénaline et le sang, mais je me gardais de le dire. Il fallait que je trouve le moyen de me défouler autrement qu’en me bagarrant. Les combats Pokémons pourraient m’aider là-dessus.

“Je vais essayer. Mais faudrait qu’on fasse tous des efforts, et pas que moi. Sinon, ça marchera jamais et les conflits vont perdurer. C’est ce qu’on remarque en histoire quand on étudie les anciens royaumes en guerre. Y’en a toujours un qui ne respecte pas ses engagements, et ça part systématiquement en guerre, à la fin.”

Bon, après avoir lâché la bombe du “je suis pas un garçon, je crois, mais je suis pas sûr, en fait”, je baissais les yeux, le coeur battant lourdement. Elle semblait surprise, mais pas écoeurée. Moi par contre, j’étais écarlate. Puis, selon elle, ils avaient probablement pas compris la raison pour laquelle j’étais maquillé ces derniers temps.

“Ils… me catégorisent comme une personne bizarre qui sort des normes… Mais ça, c’est depuis le début. Là, c’est juste… de pire en pire. J’ai pas choisi d’être comme ça. Si je pouvais être normale, je le ferais, mais ça marche pas.”

On ne peut pas lutter contre sa vraie nature. Même en essayant de toutes ses forces, c’est beaucoup trop douloureux. Je ne savais plus trop quoi dire, plongeant mon regard dans le contenu d’un des verres que j’avais ramenés plus tôt.

“J’arrive pas à en parler. Sauf à mes amis. Je sais pas comment mon père pourrait réagir, et ça me fait peur. En attendant, je dois juste faire semblant d'être un garçon, mais plus le temps passe, et moins j'y arrive.”

“Euh… oui. Il ne sera pas toujours là pour me payer des trucs, puis il est certes aisé, mais il est pas nous plus blindé.”

Je ne m’en plaignais pas, tant qu’on avait quelque chose à manger et un toit, en vrai… Puis que je pouvais m’acheter des livres régulièrement, aussi. Après, dans le pire des cas, j’empruntais quand je commençais à être à sec, mais j’aimais bien accumuler les livres, en fait.

J’étais étonné par la multitude d'activités qu’elle faisait. Elle devait être crevée, à faire autant de sport, non ? Moi j’étais déjà complètement épuisé après une journée de cours alors que j’étais loin d’être sportif… Je comprenais pas comment on pouvait faire autant d’exercices, c’était surhumain. …Des Pokémons ? Tout de suite, j’étais plus intrigué. J’avais des étoiles dans les yeux, emplis de curiosité.

“Et t’as quoi comme Pokémons ? C’est rare les Bedwyrois qui en ont. Ou alors c’est que des petits Pokémon inoffensifs et faibles, généralement. C’est chiant.”

Les plus intéressants, c’était ceux aux capacités psychiques et astrales, selon moi. Capable de jouer sur le cerveau des adversaires. Et peut-être qu’un jour, je trouverai un Pokémon capable de me rendre ma mémoire perdue. Tout seul, avec la thérapie, je n’y arrivais pas, alors je devais trouver d'autres solutions, vu que personne ne voulait me raconter les dix premières années de ma vie.

Je fis non de la tête. “T’es pas obligée de leur en parler. C’est mon souci, ça. Je pense que le plus mature à faire, c’est d’en parler à un prof, ou quoi… J’pensais à Umalei, vu qu’il fait grave flipper. Il m’aime bien en plus. D’ailleurs, je l’ai vu presque à poil cet été, pendant mes vacances à Kalahari, c’était abusé, genre. Les jambes, le ventre et le torse à l’air, un truc de dingue.”, souriais-je discrètement, sachant pertinemment que cette information allait la faire rire.

J’avais un peu changé de sujet pour essayer de faire descendre la pression, autour de mon coming-out et de mon mal être, même si c’était pas facile. Elle avait évoqué les amis dont j’avais parlé un peu plus tôt. J’avais pas précisé qu’ils vivaient loin, d’où le quiproquo.

“Ils m’aident psychologiquement, mais le truc c’est qu’ils sont pas à l’Académie. D’autres sont même pas à Bedwyr, en fait. Du coup c’est compliqué. on se voit parfois, le weekend ou pendant les vacances c’est déjà bien.”

En parler à mon père… je savais que je devais le faire, mais c’était tellement angoissant. Il était tellement fier d’avoir un fils. Peut-être qu’avec une fille, il ne saurait pas trop comment s’y prendre. Alors… avec une personne qui n’était même pas trop certaine de qui elle était ? J’avais mal au ventre.

“Je vais déjà voir avec Umalei, et… Mon père, ce sera quand je serai prête. Là, j’ai besoin de temps, encore. Je manque de courage, mais c’est pas évident. Après je pense qu’il se doute d’un truc, il me connaît bien. Il me mettra jamais à la porte, non plus… Mais je pense que ça va être le malaise, au début.”

L’avantage, d’être adopté, c’est qu’on est choisi, j’ai envie de dire… Donc souvent aimé, peut-être plus qu’un enfant biologique pas forcément désiré à la base, dans certains cas.

Me maquiller ? Je rougis un peu mais je voulais bien tenter. Tenter d’être un peu moi-même avec quelqu'un, même si ça signifiait ouvrir mon cœur et risquer d’être blessé. Je voulais essayer de faire confiance à quelqu’un. Avoir une alliée dans sa classe me semblait rassurant et chaleureux.

“J’veux bien. T’as de quoi me faire les ongles, aussi ? Je suis pas encore très douée, je m’entraîne des fois, mais je suis maladroit. Puis je gâche toujours tout avant que ça sèche,ça me saoule !”

Inoffensifs… et en plus, c'est des piafs. Pas vraiment mon genre de Pokémons. Mais bon, au moins, ils avaient du potentiel, même s'ils étaient tout petits, pour l'instant. "C'est juste des oisillons, pour le moment. Tes parents doivent s'inquiéter parce qu'ils ont pas fini de grandir, je pense."

De mon côté j'avais… Soleil, ma Absol qui était extrêmement docile puisqu'elle venait d'un élevage de l'Organisation. Puis une Munna que mon père m'avait offert pour apaiser mes nuits de troubles… Puis le reste, je les avais capturés moi-même. Mon père ne disait pas grand chose, tant qu'ils écoutaient et ne semaient pas le trouble. En tout cas, il essayait de ne pas s'inquiéter. Même si j'avais un Abra voleur de cuillère et une Mesmérella qui faisait de la divination en plein milieu du salon avec des cailloux trouvés dans la rue. Puis une Goupilou noire qui mettait des poils sombres partout, aussi.

Revenons-en au nudisme d'Umalei. Sujet d'une importance capitale. Si là je plaisantais, j'étais extrêmement gêné cet été.

"Nan. C'était pas un maillot de bain, même si on dirait. Des vêtements traditionnels du passé, je crois. Qu'on trouvait à Alola. Mais à première vue, on aurait dit un cosplay. J’ai aussi d’autres rumeurs à son sujet, mais je sais pas si c’est vrai.", laissais-je supposer, en espérant qu’elle veuille en savoir plus pour continuer les potins.

Est-ce qu'il était cosplayer ? Ce serait étonnant. Plutôt un amateur d'anciennes tenues et de traditions antiques.

"Je suis son élève préféré, t'inquiète."

Il me l'avait presque dit, même s'il s'était retenu, puisque ce ne se disait pas trop. J'hésitais presque à faire des études d'histoire. Pour être archiviste, les études combinaient la littérature et l'histoire, techniquement, alors c'était du pareil au même.

"Euh… OK. Normalement ça met du temps à se construire, l'amitié. Mais si on passe du temps ensemble, ça se développera tout seul, j'imagine."

Elle me proposait même de dormir chez elle si jamais ça n'allait pas avec mon père… un peu gênant, mais au moins, j'avais un plan de secours. Un autre que des personnes de plus de cinq voire dix ans de plus que moi. Parce que j'avais des connaissances dans cette tranche d'âge. Chose qui n'était pas toujours rassurante pour les parents.

La quantité de vernis à ongle qu’elle possédait m'impressionnait. “Je pense que ça a dû te coûter une fortune… Je préfère acheter des livres, donc le budget vernis et maquillage passe souvent en dernier.” Vivement que je travaille ! Ce sera plus simple quand je serai majeur, en mars prochain.

Au niveau de la couleur je répondis sans aucune hésitation : “Noir pour les ongles. Rouge pour les yeux. C’est ce que je fais d’habitude.”

Et non, je ne savais même pas que les sèche-ongles existaient, alors je me contentais de hausser les épaules.

“Je veux bien de l’eyeliner aussi. Celui que j’ai mis ce matin s’est un peu effacé. J’ai du mal à faire des traits droits, je pense que t’as dû remarquer.”

Je me laissais faire, même si je me sentais assez peu à l’aise, quand on me touchait. C’était comme si on me “salissait”. Je ne savais pas vraiment pourquoi j’avais cette idée-là en tête. Pourquoi avoir peur d’être sali, au juste ? Est-ce que cela avait un lien avec ma perte de mémoire ?

Elle m’avait retourné la question. Il n’était pas autorisé de sortir ses Bǎokěmèng (Pokémon), ici, alors je ne pouvais que lui lister ceux que j'avais en ma possession avec quelques photos à l’appui.

“Mon premier Pokémon, c’est Soleil. Une Absol très docile, même si elle fait flipper les mamies de la Haute, quand je la promène.”

Et ça m’amusait, de leur faire peur, honnêtement. C’était méchant, sans doute, mais je m’en foutais un peu. Ils étaient comme des péngyǒu (amis), pour moi, alors je ne voyais pas pourquoi je n’aurais pas le droit de les balader !

“Ensuite, mon père m’a offert une Munna qui sert à rien. Enfin, si, elle m’aide à faire moins de mauvais yume (rêves).” Je lui montrai une photo de la créature qui dormait les pattes de mon Absol confortablement. “Sinon, j’ai une Mesmérella qui fait des rituels astrologiques dans le salon, un Abra voleur de cuillère et une Goupilou noire qui adore dormir dans mes chaussettes et me les cacher n’importe où.”

C’était tanoshii (amusant), des fois, mais à la longue, quand on avait plus de chaussettes, ni de cuillère et qu’on marchait sur des galets en plein milieu du salon, c’était vraiment pénible.

Maintenant, c’était le moment de raconter les petites rumeurs secrètes que j’avais pu entendre au détour d’un couloir, alors que je n’étais pas censé le savoir. C’était sans doute complètement faux, mais ça m’amusait.

“Askip’, y’a un truc entre Umalei et le prof de bio.” Je ne disais pas Óneiros Neos lǎoshī (professeur) par simple flemme, mais de toute façon, elle saurait de qui je parlais. “Quelqu’un les aurait déjà vu aller boire un verre ensemble. De sources moins sûr, il y avait une certaine proximité physique.”

J’avais un sourire malicieux. Même si la romance me mettait assez mal à l’aise quand elle me concernait, je trouverais ça marrant qu’on ait deux profs qui se côtoient intimement. On se croirait dans un scénario de yaoi (boy’s love), où forcément, deux collègues se mettant en couple.

J’étais content de me faire une amie, en vrai. C’était un peu rapide, mais c’était souvent le cas, à notre âge, je crois.

“Et si tes parents te saoulent un jour, tu peux venir. Mon daron est plutôt cool. Il me refuse pas grand chose.”

Sauf de me dire la raison de mon amnésie, ce qui était extrêmement frustrant ! Mais je voulais mettre tout ça de côté, même si ça m’obnubilait.

Avant qu’elle ne se mette à la tâche j’avalais le reste de mon chá (thé) au lìzhī (litchi). Ensuite, je tentais de rester parfaitement immobile, même si c’était pas très kantan (facile). Elle ne me touchait qu’avec ses pinceaux, ça restait supportable même si ça chatouillait.

“C’est… J’adore. Trop stylé. Merci.”, déclarais-je, un léger sourire sur les lèvres alors que j’observais mon kao (visage) avec satisfaction. Je paraissais un peu plus androgyne, même si au fond de moi, j’avais tout de même l’impression d’être un peu ridicule, comme un clown… C’était sûrement que dans ma tête, vu la matinée de merde que j’avais passée, là.

“Tu veux grailler quoi ? Sur leur carte, j’ai vu qu’ils faisaient des onigiri et des sando. Par contre, faut manger à l’endroit prévu pour ça, histoire de pas salir les livres.”

J’allais vraiment manquer d’argent à la fin du mois, mais tant pis. Fallait bien reprendre des forces après tant d’émotions. Je m’étais levé et j’avais montré à Lydia la carte. Il y avait aussi des desserts traditionnels et différentes boissons. De mon côté, j’avais juste pris deux onigiri et un Bubble Tea. J’étais un énorme consommateur de thé, ce qui allait pas m’aider à dormir…

Défis d'écriture :

- Moyen : En Immersion :

Bǎokěmèng :  Pokémon (Mandarin)
Péngyǒu : Ami (Mandarin)
Yume : Rêve (Japonais)
Tanoshii : Amusant (Japonais)
Lǎoshī : Professeur (Mandarin)
Yaoi : Boy's Love (Japonais)
Chá : Thé (Mandarin)
Lìzhī : Litchi (Mandarin)
Kantan : Facile (Japonais)
Kao : Visage (Japonais)

Même si nos Pokémons nous causaient des petits soucis, ils restaient assez sages. J'avais conscience que certains Pokémons étaient des créatures sanguinaires, mais ça n'était pas si différent d'un Humain, je suppose. Moi aussi, je pourrais mortellement blesser quelqu'un. Pourtant, j'étais bien élevé, et j'étais un Humain. Difficile d'établir qui était le véritable monstre, parfois. Mais je gardais ce débat interne pour moi.

"Si tu chopes des détails sur leur relation, ça m'intéresse. Je suis en train d'écrire une fanfic', pour m'entraîner à écrire des romances. C'est mon point faible. J'y connais rien."

À part ce qu'on voit dans les fictions, je n'avais pas de couple autour de moi. Mon père adoptif était célibataire, et je n'avais jamais eu de relation. Pas si rare à mon âge. Et je ne cherchais pas spécialement à en avoir. J'étais trop pudique pour partager mon jardin secret et me laisser toucher. Ce sera un problème pour plus tard, la romance. Pas que je sois complètement inintéressé, mais pour l’instant, bof.

“Ah ? Tes parents sont pas de Bedwyr ? C’est cool, ça. Tu dois te sentir libre. J’aimerais bien vivre toute seule, des fois. Mais vu que mon père est à Uthyrgham, ce serait débile de gaspiller de l’argent pour un logement étudiant.”

Rester immobile, c’était parfois compliqué, surtout quand on me touchait et que ça chatouillait. Puis, les troubles de l’attention, entre autres. Même si là, ça ne durait pas assez longtemps pour que je m’impatiente. Si un jour on me maquillait des heures durant, j’allais devoir prendre de quoi me shooter, c’est pas possible…

Mais maintenant, c’était l’heure de se remplir le ventre. Si elle était extrêmement hésitante et survoltée, moi, j’avais vite fait mon choix. Deux Onigiri et un Bubble Tea à la fraise. Simple, efficace. Sa boisson m’intriguait, aussi. Je tenterais bien de lui en boire une gorgée, pour voir… Mais avec ma propre paille, sinon, c’est bizarre.

Et ce que je voulais faire plus tard… J’avais pas mal réfléchi, et j’avais un début de piste, depuis quelques semaines.

“Archiviste pour l’Organisation. Je sais pas encore dans quelle branche exactement, mais probablement en Histoire. Je pense que c’est Umalei qui m’a donné envie de faire un truc lié à l’Histoire. Puis être entouré de livres et de documents, c’est cool. Pas besoin de parler à des gens.”

C’était reposant, d’être seul, parfois. Et quand je travaillais, je préférais être tranquille. Les amis, c’est mieux quand c’est pour les loisirs. J’étais vraiment nulle dans les travaux à plusieurs.

“Et toi, t’as une idée ? C’est quelles études qui t’intéressent ? Peut-être qu’on aura toujours des cours communs, on sait jamais.”

J’aimerais bien conserver le peu d’amitié que j’étais en train de me faire, même si nous nous séparons après cette dernière année de premier cycle.

J’étais assez étonnée qu’elle ne connaisse pas les fanfics, mais je pouvais bien lui partager mon savoir, au risque qu’elle trouve ça cringe et se moque gentiment de moi. Mais bon, c’était pas comme si j’allais lui donner mon nom de compte. Là, ce serait vraiment gênant.

“En gros c’est un récit posté sur Internet qui met en scène une histoire alternative entre des personnages de fiction ou… Les profs. Bien sûr, je change les noms, sinon, c’est pas cool pour eux. J’ai pas encore beaucoup réfléchi à ce que j’allais faire entre les deux-là.”

Sans doute une interprétation de la rumeur qui circulait parmi les étudiants. Deux amants qui bravent les interdits et se retrouvent dans la salle des profs, vide. Je n’expliciterai pas la suite, le cerveau était très doué pour le faire tout seul.

“Ah ouais, je vois. Tu vas continuer à Uxie l’année prochaine ? Ce serait cool. On a énormément de choix, ici. Bien plus qu’ailleurs. Enfin, à la limite, Agapé est mieux pour les arts, mais c’est tout.”

J’imagine que rentrer le weekend chez les parents, ça devait être le quotidien de beaucoup d’étudiants qui habitaient dans un autre district. Une chance que je n’ai pas à faire ça. Je pense que ça me saoulerait.

Lorsqu’on en était venu à manger et à parler de ce qu’on voulait faire plus tard… je sentis mes joues se teinter légèrement de rouge. Je ne voyais pas en quoi c’était si incroyable. J’avais galéré à trouver une idée, mais les archives, ça me parlait. Peut-être que comme ça, je trouverai un indice sur mon passé oublié.

“Toi aussi t’as un TDAH ? Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité, si jamais. Moi j’ai ça. Je galère à me concentrer longtemps, et j’ai envie de bouger. Enfin, juste marcher et faire des trucs de mes mains ça me suffit. Mais certains ont besoin de faire du sport. Un truc qui demande pas trop de cerveau. Pour ça que j’ai pas une grosse patience et que j’ai tendance à m’emporter.”

Même si je me retrouvais avec des bleus, agir selon mes pulsions, ça me semblait plus agréable que de contenir ce surplus d’énergie que j’avais parfois.

“Y’a des métiers sportifs, je pense que ça t’irait bien. De toute façon, ne pas savoir, c’est pas grave. Y’a même des étudiants qui se réorientent en plein milieu de leur cursus, apparemment. Les adultes ils devraient pas foutre la pression alors qu’ils ont été dans le même cas que nous, c’est bon, quoi !”

C’était un peu révoltant. Je m’estimais assez chanceux que mon père adoptif ne m’ait jamais vraiment mis la pression, tant que je travaillais bien en classe et que j’étais sage. …Sage, c’était relatif.

Eh… Leur tête s’ils tombaient dessus ? Ce serait beaucoup trop drôle à voir, mais un peu moins si jamais ils découvrent qui l’a écrite. Là, j’allais me coltiner des heures de colle à l’infini et mon père allait être mis au courant. Or, je ne voulais surtout pas que mon père lise ce que je faisais. Je n’avais aucune honte, mais j’étais pudique.

“Je te ferai lire quand j’aurai écrit, mais sois discrète. Je veux pas que les gens de la classe le sachent. J’ai envie de garder mon pseudo secret. Puis tu pourras me donner des idées et enquêter sur leur vraie relation.”

Je tenais beaucoup à mon anonymat sur Internet, je pense qu’elle pouvait comprendre.

On en était venu à parler de ce qu’on voulait faire plus tard et elle semblait encore assez perdue, ce qui était normal. Mais elle savait au moins qu’elle était mieux à Uxie qu’ailleurs, ce qui était un très bon début. Je ne m’inquiétais pas trop, on était beaucoup à ne pas savoir quoi faire. Quoique les plus aisés faisaient souvent le même boulot que leurs parents, à savoir des trucs de riches : médecin, ingénieur, avocat… Des trucs qui m’intéressent pas du tout.

Quant à son hyperactivité, j’avais touché juste. En même temps, je l’étais aussi, alors je comprenais un peu ce que c’était, même si ça se manifestait sous des formes très différentes selon les individus.

“Ouais puis tu parles beaucoup, aussi. C’est souvent le cas, même si de mon côté, moins. Par contre je comprends, je tiens pas en place. J’ai tendance à triturer des bouts de papier et à jouer avec mes fournitures, moi. Puis tu te rappelles la fois où j’ai lancé impulsivement une boulette de papier sur M. Óneiros Neos ? C’était parce que j’avais besoin de faire un truc. Je supportais plus d’être immobile. Je visais la poubelle, mais visiblement, je sais pas viser.”

Il m’avait sermonné, le prof de biologie, mais je m’en étais simplement sorti avec un devoir supplémentaire et cinq minutes de plus dans la salle de classe avec lui pour lui expliquer mon geste. J’étais doué pour argumenter, au moins. Heureusement que ce prof était cool. Sa matière, moins.

…Euh, elle avait des idées et des contre-idées, au moins, c’était un bon début. Je commençais un peu à fatiguer, à force parler. J’avais pas l’habitude d’être avec une pipelette, mais ça avait le mérite de me sortir de ma zone de confort.

“Y’a des assistants sociaux avec qui tu peux en discuter, au pire. Ils ont des bases de données. Tu réponds à un questionnaire et à la fin ils mettent les métiers avec lesquels tu as le plus d’affinité. Je pense que ça peut te donner des idées.”

J’avais fini de manger assez rapidement, puisque je parlais beaucoup moins que Lydia. Il fallait pas trop traîner. Histoire qu’on aille en cours cet aprem, quand même. Elle devait toujours me faire les ongles, en plus ! Mais avant ça, je devais me laver les mains, c’était mieux.

Je ne perdis pas mon temps à lui donner mes coordonnées d’holomontre. J’étais - comme beaucoup de monde - un peu accro à la technologie. On faisait tout avec celles-ci. Depuis plusieurs siècles, en fait. Il y avait toujours des gens chelous qui ne s’en servaient presque pas, comme notre prof d’Histoire, mais bon. Je devais arrêter de critiquer ce prof, il était sympa, en vrai.

“Je devrais répondre vite aussi, je suis réactif. Je pourrai t’envoyer des photos de mes Pokémons ou de mes essais de maquillage, peut-être.”

Je faisais bien ça avec mes autres amis, alors pourquoi pas avec elle ? L’idée me semblait bonne.

Elle continuait à parler malgré ma remarque de toute à l’heure, c’était bien le signe qu’elle ne l’avait pas trop mal pris. Perso’, ça me dérangeait pas. Tant que l’écouter me demandait pas une grande concentration. Fallait me maintenir en état de focus, maintenant.

“Après ça va, il est pas trop vénère longtemps, il est plutôt cool, en fait, puis il est Champion d'arène, c'est stylé. Il est ouvert à la discussion et prend en compte les ressentis des étudiants. C’est pas comme les vieux croutons qu’on a dans d’autres matières et qui disent que la jeunesse fait n’importe quoi, qu’il y a que l’ancienne génération qui connaît comment marche la vie. Eux, c’est des gros cons. Même mon père le dit.”

Je n’allais pas m’amuser à les insulter en face, même si j’en mourais d’envie et que mon regard blasé et exaspéré à propos de leurs discours voulait tout dire.

Son sandwich avait enfin été entamé. Je regardais régulièrement l’heure, pour être sûr qu’on loupe pas les cours de l’après-midi, ce qui serait con. Encore, rater ceux du matin, je m’en foutais, c’était trop tard, maintenant. Mais on va éviter d’exagérer. Là, on pouvait faire passer notre escapade pour un moment nécessaire pour que je me détende suite à mon agression. Mais fallait pas que ça dure.

“Toi aussi, tu vois une psy ?” J’avais surtout relevé ce détail, pensant que seuls les ados comme moi en voyaient. J’en voyais un depuis mon enfance, musique j’avais de l’amnésie suite à mes traumatismes, faisant que mes plus anciens souvenirs datent de quand mon père m’avait adopté. “J’espère que c’est rien de trop grave.”

Elle finissait enfin de manger. Je refermai le manga que j’étais en train de feuilleter, et le rangeai bien à sa place. Je me nettoyai les mains avec du gel hydroalcoolique, puis me réinstallai.

“Noir, ça va avec tout, au moins. Faudra pas trop tarder à revenir en cours, après. Ils aiment pas les retards, dans cette école.”

Et si je me reprenais encore un avertissement, j’allais me faire coller immédiatement.