C'était le milieu de la nuit. On ne pouvait pas vraiment dire que c'était le matin, mais il aurait été facile de contester que c'était toujours le soir. À 4h, personne ne se couche. À 4h, personne ne se lève. C'est une constante pour la plupart des gens, ou en tout cas, ça devrait. Pourtant, ça ne l'est pas toujours. Une soirée qui traîne en longueur, des obligations qui requièrent un réveil anticipé... Ou simplement une insomnie. Insomnie inexpliquée à lutter pour trouver le sommeil, ou insomnie à ignorer le repos tant on se prend à cogiter, parfois contre notre gré. Dans le fond, peu importe la raison, ça ne changeait rien. Car au bout du compte, c'était toujours le milieu de la nuit. Et Letyh était réveillée.

Cela faisait quelques minutes qu'elle regardait son plafond. Il n'avait rien de spécial, il était vide de sens même. Juste blanc, nu de toute particularité. Il y avait bien un poster accroché au mur, mais il faisait trop sombre pour pouvoir l'admirer. La chambre était principalement rangée, et donc aussi vide d'intérêt. Seule une bouteille de Vodka vide traînait par terre, ce qui n'était pas exactement une vision plus agréable. Au final, il n'y avait rien à faire, son plafond était tout ce qu'il y avait de mieux à regarder. Cela faisait bien quelques minutes qu'elle le regardait. Et au fond, cela faisait peut-être bien quelques heures.

Lumine était là. C'était réconfortant de la savoir à ses côtés. Elle avait l'air de dormir paisiblement, de ne pas être assaillie de toute part par des émotions qu'elle aurait préféré renier. De ne pas se soucier de qui elle pouvait être ou de comment elle devrait agir. De ne pas regretter sans cesse ses actions passées. Non, elle se contentait de dormir. Comme si demain était gage d'une journée meilleure. Comme si sa famille n'avait aucune sorte d'importance pour elle. Comme si les événements de la veille n'avaient jamais existé et que rien de grave ne se passait. C'était peut-être elle qui avait raison au final. Elle, qui dormait si paisiblement que sa dresseuse en ressentit presque de la jalousie. Oui, Lumine était là. Mais c'était à se demander pourquoi.

Le regard vide, elle se gardait de regarder dehors. Il était là, posé sur une chaise de ce côté de la pièce, à attendre la première opportunité qui lui serait accordée pour pouvoir insulter la rose. Elle ne le savait que trop bien, il voulait lui cracher son mépris, lui dire à quel point elle le répugnait, qu'il ne voulait pas la voir, et tout ce qui l'en empêchait était son inaptitude à transmettre sa pensée. Un œuf, ça ne parle pas après tout. Un putain d’œuf, ça ne parle pas. Pourtant, dans ce petit jeu de soumission qu'elle s'était auto-imposé, Letyh était bien loin de pouvoir se prétendre victorieuse. Alors, le regard vide, elle se gardait de regarder dehors. À quoi bon lutter ?

Elle soupira et, dans un bête pyjama qu'elle n'avait même pas voulu récupérer à l'époque, ainsi que ses vieilles pantoufles, sortit. C'était ce même foutu couloir. Celui qu'elle connaissait tellement par cœur que, même dans l'obscurité, elle aurait pu traverser sans peine. Certes, il aurait été plus facile de se mouvoir dans la lumière, mais c'est justement la lumière qui l'aurait tétanisée. La couleur des murs, les fissures dans le parquet, les portes qu'elle n'oserait même pas ouvrir. Oui, il est évident que c'est bien car elle ne pouvait que les imaginer qu'elle pu se rendre dans ce maudit couloir. Pourtant, lumière ou pas, elle étouffait quand même. Car malgré tout, avec ou sans lumière, c'était ce même foutu couloir. Le même qu'il y a 6 mois, 2 ans, ou encore 16 ans !

Letyh... Qu'est-ce que tu fous ?


La libraire, comme si elle venait de passer les dix dernières minutes en apnée, inspirait et expirait à plein poumons, les yeux toujours fermés, et sa bouche haletant à la recherche d'un oxygène qui lui serait tolérable. Elle en arrivait presque à se demander si boire n'avait pas été contre-productif. Lentement, mais sûrement, elle regagnait son calme, et sa respiration redevenait régulière. Un pas... Puis un autre... "Allez Letyh, tu peux le faire !" - pensait-elle, cherchant désespérément à fuir une maison d'ordinaire paisible. Instinctivement, elle déchaussa ses pantoufles, comme si elles l'empêchaient d'avancer, et elle continua de marcher dans l'herbe, pieds nus.

Son regard se précisa. Oui, elle savait où elle se trouvait, mais une part d'elle n'avait pas encore réalisé. Quand elle était arrivée hier soir, cette pelouse, ce petit chemin en pierre, ce Pachirisu en brique crue d'un mauvais goût terrible, elle ne les avait pas vus... Elle reconnaissait tout ça, bien évidemment. C'était pour ça qu'elle était venue d'ailleurs, pour les voir... Enfin... Elle baissa les yeux. Bien sûr que non, ce n'était pas pour ça. Si elle était là, ce n'était pas pour des imbécilités pareilles ! Elle serra les poings, énervée mais sans vraiment savoir pourquoi, sûrement frustrée de ne pas elle-même savoir.

Elle lui faisait face. Cette maison qui lui avait tant donné, mais aussi tant pris et qui, aujourd'hui encore, la maintenait prisonnière. Mais bien qu'en colère, elle ne put rediriger cette émotion vers cette demeure. Alors, incapable de mieux faire, elle s'assit parterre, la regarda, et comme elle l'avait fait pendant des heures dans son lit plus tôt, elle se perdit dans ses pensées... Les souvenirs de la veille commençaient à lui revenir.
   

Assise au pied de sa porte d'entrée, Letyh se tenait la tête, fatiguée. Elle avait tout essayé, tout, mais rien n'y faisait... Elle était coincée dehors. Lumine, à ses pieds, était bien désemparée également. Enfin, elle l'aurait été si elle avait été réveillée. À côté d'elle, un sac de course, ainsi qu'une Vodka mal dissimulée, révélatrice de l'état de sa soirée. Ses joues mal séchées n'arrangeaient pas non plus son cas. C'était juste une de ces nuits. Une de ces foutues nuits, hantée par ses cauchemars du passé. Elle enrageait silencieusement, ne voulant pas alerter ses voisins. Comment pouvait-elle être aussi sotte !?

Elle s'était résignée à appeler un serrurier, et avait même accepté qu'il découvre le piteux état de cet appartement, mais ça ne lui était pas permis. Il était trop tard pour qu'un serrurier au tarif décent se ramène. Défaite, elle s'apprêtait à chercher un hôtel qui pourrait la loger pour la nuit, et ses yeux se posèrent sur des notifications qu'elle avait reçues... Elles commençaient à dater, et la libraire ne savait pas vraiment pourquoi elle ne les avaient pas juste supprimées... Mais à ce moment, c'était comme si elles l'avaient attirée. Et machinalement, sachant pourtant très bien ce qui se cachait derrière, elle appuyait sur l'écran de sa montre.

"Vous avez deux messages vocaux. Premier message."

"Oui bonjour ma puce, c'est maman..." Sa mère laissa involontairement un temps de pause, cherchant ses mots, ce qui plongea Letyh dans un certain inconfort. Le ton était donné. "Je sais que tu es très occupée avec le travail... Mais j'aimerai vraiment que l'on se voit cette semaine si tu trouves le temps..." La libraire ne put contenir son léger rictus en se remémorant la date. Dimanche, 23h18... C'était peut-être un peu tard pour écouter ce message. Encore fallait-il que le message date de ladite semaine. Le silence était gênant. Sa mère ne trouvait pas comment exprimer ce qu'elle voulait, et ça se ressentait. "Rappelle-moi quand tu reçois mon message. Je te fais des bisous."

Il est vrai que Letyh n'était pas du genre à beaucoup tenir ses parents au courant de sa vie, et la mort de son frère n'avait pas arrangé les choses. En fait, elle n'avait jamais donné aussi peu signe de vie depuis ce moment-là. Si ce n'est pour quelques échanges de SMS, rien. Tu parles d'une fille indigne... Elle réfléchissait. Était-il trop tard pour s'y rendre ? Tss, voilà qu'elle hésitait à leur rendre visite, c'était la meilleure. Il y avait encore à peine un moment, elle voulait tout oublier, et maintenant elle songeait à plonger au cœur de ses problèmes.

Sans qu'elle ne s'en rende compte, le message suivant avait déjà entamé sa lecture. "Allo, c'est papa." Les harceleurs, bordel. En même temps, qui d'autres ? Les seules personnes dont elle avait ignoré les appels, c'étaient eux. À ce moment-là, Letyh regrettait vraiment de ne pas avoir pris de tire-bouchon avec elle. Sa bouteille lui donnait vraiment envie.

"Dis, ta mère s'inquiète beaucoup pour toi et... Elle aimerait te voir... Je pense que ça lui ferait très plaisir si tu pouvais passer quand tu trouveras le temps." Elle le reconnaissait bien là. Il n'était pas du genre à parler vraiment de lui, mais Letyh l'avait bien compris... Il avait beau essayer d'être subtil, son désir de la voir semblait clair comme de l'eau de roche. Comment le blâmer ? L'un de ses deux enfants est mort. Ça aurait été presque bizarre qu'il ne veuille pas la voir. Enfin, qu'ils. Ça lui fit un coup au moral... Combien de temps leur avait-elle refusé cette requête pourtant si simple... ?

"Aussi, j'aimerai que l'on discute de quelque chose que l'on a retrouvé dans l’appartement de Loïs... Je pense... Qu'il sera mieux entre tes mains." A-Attends, quoi ? Sa question ne reçut évidemment aucune réponse. Pire encore, c'était la fin du message. Letyh s'insurgea. C-Connard ! - gueula-t-elle sans réfléchir. Pour quelqu'un qui voulait rester discret, c'était raté. Comment avait-il pu conclure son message là-dessus !? C'était bien le genre de son père ça, d'être trop con ! Était-il trop tard pour les rappeler ? Putain, fait chier ! Elle était libre. Ça devrait être derrière elle tout ça ! Alors pourquoi !?

Pourquoi... Est-ce qu'elle avait envie... D'y aller... ?

Des images floues se succédèrent. Elle se souvenait avoir pris son sac, rappelé Lumine, et reprit son vélo qu'elle avait utilisé pour faire sa course nocturne. Un souvenir malencontreux d'elle traversant la ville, son Pokémon feu dans le même panier que son alcool, tel un Cocktail Molotov de fortune prêt à exploser, ainsi qu'une embrouille avec un guichet de la station. Le doux vent, le bruit des freins, le wagon vide, la vitre froide, le vide du temps seulement comblé par plus de regrets. Le temps, le temps, et encore le temps...

Les images finirent par s'arrêter...




Sur l'herbe, elle ne pouvait que s'imaginer il y a quelques heures, arrivant à la maison, exténuée. Mais à quoi bon ? Un Papinox brisa cette rêverie dans laquelle elle s'était plongée, flânant au-dessus de la route où son image d'elle aurait dû fouler le pied. La rose soupira. Ce soir, la rêverie n'était pas pour elle, elle aurait dû le savoir. Et pourtant, comme tant d'autres choses dont elle n'avait pas ou plus le contrôle, elle ne pouvait que le regretter.

Elle le remarqua immédiatement. Une lumière s'était allumée au rez-de-chaussée. Qui était réveillé à une heure pareille ? Un bête soufflement de nez accompagna cette question. Évidemment que ça ne pouvait être que lui. Son père souffrait d'insomnie depuis qu'elle était née. Était-il parti se chercher son médicament ? Pendant un temps, Letyh resta juste là, assise parterre. Elle n'était pas sûre d'avoir envie de bouger. Son corps finit par prendre cette décision à sa place, et c'est machinalement qu'elle s'appuya sur son genou droit pour se relever.

Un pas après l'autre, regagnant petit à petit la maison, l'esprit de Letyh acceptait de plus en plus la décision de son corps. Elle devait lui parler, ne serait-ce que quelques minutes. Après tout, ils n'avaient pas fini leur discussion d'hier soir. Enfin, pouvait-elle vraiment dire "hier" ? Elle ne savait plus trop. Elle se pencha pour ramasser ses pantoufles, toujours perdue dans ces réflexions dont elle n'était pas sûre de l'intérêt, et regagna petit à petit le sol de la maison.

Cette fois-ci, pour une fois, elle ne s'enfuirait pas.

Quelques gouttes d'eau projetées par un Magicarpe atteignirent son pantalon de pyjama. Sur le pas de la porte, son regard se bloqua sur ce Pokémon. Cette espèce était souvent associée au potentiel caché. Une espèce faible mais qui, avec assez d'efforts, peut devenir bien plus forte et impressionnante. Était-elle censée y voir un signe ? Non, c'était idiot. Elle n'était pas croyante, et ne l'avait jamais été. Ce Magicarpe n'avait probablement aucune idée de ce qu'il faisait non plus.

Letyh était rentrée, sa main toujours sur la poignée alors qu'elle fixait le dessous de la porte mal fermée menant au salon. Sans surprise, de la lumière s'enfuyait de l'interstice. Elle resta statique. Était-ce une bonne idée ? Sans briser son silence, elle se laissait doucement tenter par l'idée de rendre visite à son père et, lentement, elle ferma la porte d'entrée, avant de finalement pousser celle de la pièce baignée de lumière.

Personne. Dans cette pièce, il n'y avait personne. Elle finit par remarquer une pilule - sûrement un médicament - sur la table basse, ainsi qu'une bouteille d'eau juste à côté. Les coussins du fauteuil d'en face avaient aussi été laissés en bordel, ce qui était typique de l'homme qu'elle était venue voir. Alors, à défaut de le voir, elle se rapprocha de la table basse, toujours silencieuse. Ce silence était… Étrange. Ça faisait un moment qu'il le suivait, mais c'était différent comme silence. C'était comme si désormais, il pouvait être interrompu à n'importe quel moment... Et c'est exactement ce qui se produisit.

Elle eut un sursaut en entendant un vrombissement lourd et bruyant, et elle se cogna le talon contre l'un des fauteuils. Elle le reconnut immédiatement, c'était celui d'une machine à café. Elle connaissait cette mélodie presque par cœur désormais, et même si chaque machine avait sa petite touche, ça ne rendait jamais ce son méconnaissable. Par contre... Son regard se porta sur la cuisine qui, elle ne le remarqua que maintenant, était également éclairée. Une ombre bougeait dans la cuisine, jusqu'à ce que finalement, son créateur se montre.

La vision de son paternel dans son éternel vieux peignoir ne semblait pas surprendre la rose, bien que ses yeux s'humidifièrent légèrement, repensant brièvement à leur discussion de plus tôt. Lui ? Il était juste là, le visage impassible. C'était comme s'il s'attendait à la voir. Il marmonna des mots que Letyh ne comprit même pas, et s'avança vers elle. Ou plutôt vers les fauteuils ? Instinctivement, la grande enfant s'assis sur celui qu'elle avait poussé, dégageant un coussin qu'elle était en train d'écraser de sous son coxis tandis que son père gagnait sa place habituelle.

Pas un mot ne fut prononcé durant la minute qui suivit. D'un geste lent, son père remplissait son verre d'eau et y noya son médicament. Letyh, de son côté, s'était contentée de le regarder faire. Pourquoi est-ce qu'il faisait ça ? C'était son médicament contre l'insomnie, non ? Et il comptait prendre un café après ? Elle serra les dents. Il n'avait pas changé. Trop con, incapable de réfléchir, voilà bien son père... À moins que... Suivait-il un autre traitement ? Son expression affichait maintenant de l'inquiétude.

...

Je ne sais pas si je veux le garder...

C'est Letyh, qui brisa le silence en premier. Elle avait le regard bien triste, plongé dans le tapis, presque comme si elle était apeurée de croiser celui de son père.

Tu parles de l’œuf ?

Bien sûr qu'elle parlait de l'œuf. Il y a quelques heures, elle lui aurait sûrement gueuler dessus d'avoir osé poser la question, mais elle n'avait plus la force. L'alcool avait perdu de ses effets, et la fatigue l'avait atteint au point que se disputer lui paraissait trop difficile. Alors elle se contenta d'hocher faiblement la tête. Oui, elle parlait de cet œuf. De cette chose intéressante qu'on lui avait vendu, et qui au final n'était rien de plus que du chaos prêt à tout ravager dans sa vie.

Tu ne veux plus le garder ?
Ce n'est pas ça. C'est juste que... Ça aurait été plus simple s'il vous l'avait juste donné à toi et à maman... J'ai l'impression que je ne devrais pas l'avoir. Je me dis qu'il sera sûrement mieux ici...

Elle le fixait maintenant, attendant une réponse de son paternel, comme si sa question était claire et qu'il saurait trouver les mots. Il l'avait d'ailleurs très bien compris. Son père profita de ce silence pour vider son breuvage fait-maison, puis le posa sur la table basse. Il lui adressa un regard, mais pas de réponse. Il se contenta de gratter sa barbe, le regard pensif.

Ton frère voulait que tu aies ce Pokémon.

Ces mots... Étaient décevants. Elle aurait pu en pleurer. Alors qu'il se levait, elle acceptait doucement que cette discussion touchait à son terme. C'était une erreur de lui parler de ses doutes au final...

Donne-lui une chance, tu as toujours été très débrouillarde, je suis sûr que tu en es capable. Et si un jour tu ne veux plus t'en occuper, j'en prendrais soin à ta place.

La bouche entre-ouverte, elle le regardait sans trop savoir quoi répondre. Lui donner une chance ? Le prendre sous son aile, et voir ce que ça donnerait ? Mais... Mais, mais, mais ! On parlait d'elle, elle qui ne savait pas s'occuper d'un seul Pokémon, qui avait failli se tuer au Festival de l'Aube, qui était la plus distante de toute sa famille. En voyant son père se diriger vers la cuisine, elle le stoppa.

Pourquoi moi !?

Si ce n'est un geste de la main qui aurait pu paraître désintéressé, il ne lui accorda aucune réponse. Il ne prit même pas la peine de la regarder... Ça l'agaçait, mais il avait toujours été comme ça. Il ne parlait pas pour ne rien dire... Est-ce que ça voulait dire qu'il ne le savait pas ?

...

La rose, toujours assise dans son fauteuil, se gratta l'index au travers sa vision floue. Y avait-il seulement la moindre réponse à sa question ? Pourquoi lui, qui se disait haïr les Pokémons, aurait voulu lui offrir à elle, sa sœur avec qui il ne s'entendait pas, un œuf de Pokémon. Ça ne faisait pas sens... À moins qu'il voulait renouer contact avec elle ? Mais pourquoi ? Et pourquoi maintenant ? Non, ça ne pouvait pas être ça... Mais en même temps, elle peinait à trouver une autre réponse. S'il avait voulu offrir simplement un Pokémon, ne l'aurait-il pas plutôt proposé à ses parents ?

Elle finit par se relever. Elle avait besoin d'un peu de temps seul, et si son père lui aurait certainement accordé du silence, ce n'était pas la même chose. Il voulait qu'elle récupère cet œuf. Comme tout le monde dans la famille en fait... Et bien que ça la dérangeait, elle faisait partie de cette famille. Fille d'une mère trouillarde et égoïste, d'un père passif et bête... Et sœur d'un rêveur prétentieux... Qu'elle le veuille ou non, elle était une Braem. Et elle avait beau essayer de prétendre le contraire, à cet instant, quand cette impression que toute sa famille voulait qu'elle prenne soin de cet œuf la frappa... Une part d'elle était aux côtés de ses parents. Oui, au fond d'elle, ce Pokémon, elle le voulait...

...

Traversant le couloir dans le noir, elle regagna sa chambre. Rien n'avait changé, même Lumine qui dormait déjà beaucoup en journée n'avait pas fini sa sieste. Et l’œuf... Elle soupira. Bien sûr qu'il était toujours là, lui. Esquivant son vélo qu'elle avait jeté parterre quand elle était arrivée hier soir, elle s'approcha de la fenêtre avant de l'ouvrir en grand, laissant de l'air frais remplir ses poumons. Elle espérait secrètement que ça puisse réveiller Lumine pour qu'elle puisse lui parler, mais seule sa flamme répondit. Alors, à nouveau seule, elle transféra l’œuf sur son lit, prit la chaise sur laquelle il était précédemment posé, s'assis dessus et s'accouda au rebord de sa fenêtre.

On avait quitté le milieu de la nuit. Il était clair qu'on approchait du matin, et il était facile de contester que ce n'était plus le soir. À bientôt 5h, seuls les couche-tard s'en vont au lit. À bientôt 5h, le monde commençait timidement à en sortir. C'est une constante un peu partout dans le monde, ou en tout cas, elle se l'imaginait. Pourtant, la rose n'était pas couchée, une rose qui aurait peut-être pu faner si quelques conditions supplémentaires avaient été réunies, mais la rose avait de toute évidence encore beaucoup de beaux jours devant elle. Oui, on avait quitté le milieu de la nuit, et c'était une bonne chose.

Le regard rivé sur l'horizon, elle se satisfaisait d'une vue qui l'embêtait autrefois. À quoi bon vivre près d'un lac si ce n'est pas pour avoir une vue dessus ? Elle soufflait du nez, amusée par cette pensée. Fut un temps, elle jalousait son frère pour cette exacte même raison. C'était lui qui avait hérité de la meilleure chambre... En fait... C'était toujours lui qui héritait des meilleurs trucs... Elle baissa le regard sur l'herbe dans laquelle se reflétaient les prémices d'une nouvelle aube.

...

Tu as toujours été le préféré...

Sa bouche s'était ouverte toute seule alors que ses pensées commencèrent à se diriger vers son frère...

Depuis la mort d'Eliott, ils t'ont toujours couvé. T'étais avec maman quand c'est arrivé... Je comprends qu'ils aient voulu te protéger, mais... Ce jour-là, ils m'ont abandonné. Tu as eu droit à tout, car tu étais traumatisé. C'était mon frère autant que le tien, mais ce jour-là je vous ai perdu tous les deux...

Elle n'avait même pas envie de pleurer. Ça la déprimait juste. Elle se retourna et se pencha en arrière.

Tu m'as menti, au final... ? Ta haine des Pokémons... C'était du bidon, ou t'étais sérieux ? Pourquoi il est là, lui ?

Elle fixa l’œuf.

Ouais... J'imagine que c'est bête de te demander. C'est pas comme si tu pouvais me répondre. C'est dingue le temps qu'il m'a fallut, tu sais ?

Elle regardait Lumine en coin.

Quand j'étais petite, j'arrêtais pas de dire "J'en aurais un quand je serais plus grande !", et j'en aurais même pas adopté avant que tu meurs... Au final, rien n'a changé, pas vrai ? Tu faisais un truc, et je marchais dans tes pas. Même quand t'étais parti de la maison, j'ai suivi le mouvement dans les mois qui ont suivis...

...

Pour être tout à fait honnête, je ne suis même pas sûre de te détester...

Elle se grattait à nouveau l'ongle de l'index, sans même y réfléchir. Elle n'était même pas vraiment sûre de pourquoi. Elle soupira et finit par s'arrêter.

Je t'en ai toujours voulu d'avoir tout abandonner et de t'être renfermer après l'incident... Mais je crois que je n'aurais pas fait mieux si nos rôles avaient été inversés. Enfin, j'aurais peut-être vécu un peu plus longtemps si j'avais été toi.

C'était censé la faire rire, mais sa gorge s'était nouée. Elle l'avait entre la gorge, et n'avait que sa fierté pour se retenir de pleurer.

Putain, mais je me moque de qui ? Je suis pas aussi précautionneuse que tu l'étais... Rien que l'autre jour, j'ai failli crever au Festival...

Ça y est, des larmes l'avaient gagnées.

Loïs... Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Comment t'as pu leur faire ça... ? T'avais tes projets, tu comptais rendre le monde meilleur, et même si j'étais pas d'accord avec tout, tu restais mon frère, je rêvais que ça que tu réussisses...

Contrainte par son nez qui coulait, Letyh se leva, à la recherche d'un mouchoir. Cherchant dans les différents tiroirs de sa chambre, elle continuait de monologuer.

Regarde-moi. J'ai fuit la famille, j'ai gardé ma distance avec vous tous, fait comme si vous n'existiez plus, et j'ai aucun projet d'avenir aussi altruiste que toi !

Elle s'arrêta brièvement dans sa recherche.

Des fois, je... Je...

Elle n'était pas fière de ce qu'elle était sur le point de dire. Et au moment où elle s'était finalement motivée à le dire, tel un signe, quelque chose vint l'en empêcher.

...

Un Yanma rentra fond-de-balle dans la chambre à travers la fenêtre ouverte. Letyh, d'abord paniquée, ne faisait que l'observer. Le boucan qui avait été créé ne semblait même pas avoir ôté Lumine à son précieux sommeil, ce qui décrocha à la rose un sourire qu'elle n'avait pas eu depuis le début de la soirée. Enfin, pour l'heure, il y avait tout de même un Yanma qui se cognait dans tout le mobilier.

Les yeux de la libraire s'écarquillèrent. Le Pokémon sauvage, dans un de ses déplacements, bouscula l’œuf sur le lit, qui se mit à rouler. N-Noon !! Elle se jeta sur son lit immédiatement. Sans même se poser de question, elle tendit son bras, et réussit à stopper l'œuf dans sa course quelques secondes avant qu'il ne s'écrase au sol. La respiration saccadée, Letyh ne s'autorisa que quelques instants de répit, avant de ramener le cadeau de son frère à son corps, l’enlaçant de ses deux bras.

Le Yanma continuait de voler de manière chaotique, et pendant tout un temps, la rose était démunie. La vue toujours floue, elle ne regardait même pas la source du problème dans les yeux, trop préoccupée par la santé de l'œuf... En fait, elle n'avait même pas peur pour elle. C'était un Pokémon, mais tant qu'elle ne le brusquait pas, elle n'avait rien à craindre, si ? Cependant, quelque chose la dérangeait... Pourquoi n'était-il toujours pas sorti ? Rapidement, elle déporta son regard sur la chambre, et constata le problème... En entrant, il avait percuté la fenêtre qui s'était refermée !

C'était pas bon... Pas bon du tout ! Si seulement Lumine était réveillée, peut-être qu'elle... Qu'elle... Elle s'arrêta dans sa réflexion, et jetant un regard à l'œuf qu'elle tenait fermement, elle se posa une question. À travers tout ce chaos et ces coups de vent... Peut-être que la seule personne qui pouvait se sortir de cette situation, c'était elle, justement ? Mais elle n'était pas un Pokémon, elle n'avait pas de capacités hors-norme. Elle avait juste ses bras, ses jambes, et son cerveau... Mais qu'aurait pu faire Lumine ? À part blesser le Pokémon et détruire son ancienne chambre ? Rien. En fait, si Letyh voulait se sortir de cette situation pacifiquement, elle ne pouvait compter... Que sur elle.

Elle sauta de son lit, et rangea rapidement l'œuf sous son lit. Je reviens, ne bouge pas ! - Eut-elle à peine le temps de dire alors qu'elle se relevait déjà. Le Yanma la vit faire, et probablement paniqué car il n'arrivait pas à sortir, la bouscula avec une attaque Charge. L'attaque percuta son épaule gauche, et la poussa contre la table de chevet derrière-elle, manquant de faire tomber la lampe qui se tenait dessus. Letyh s'était mise à trembler. Le Pokémon commençait à devenir violent... Il fallait agir vite !

Aussi vite qu'elle le put, elle se jeta vers sa fenêtre, l'agrippa d'une main et l'ouvrit grande ouverte. Le Pokémon sauvage, ne réalisant probablement qu'un changement dans la pièce venait de s'effectuer, continua de prendre la rose en cible. Celle-ci le remarqua très vite, et s'attendant à une autre attaque, jeta un coup d'œil dehors... Il y avait peut-être une solution... Elle mit un pied sur la chaise sur laquelle elle était assise plus tôt, puis, appuyant sur sa jambe, elle se donna une impulsion et arriva sur le rebord de la fenêtre, les deux pieds à moitié dehors. Se retournant pour s'assurer que le Pokémon ne la ferait pas tomber, elle sauta et tomba dans l'herbe un petit mètre plus bas.

Sa chute fut rapidement suivie par un son de battement d'aile. Redressant la tête, elle put apercevoir le Pokémon s'envoler au loin... W-Woah... Elle n'avait pas les mots. À genoux dans l'herbe, elle essayait de procéder ce qui venait de se passer. Un Pokémon sauvage l'avait attaqué, et elle avait résolu la situation. Elle avait sauvé un Pokémon sauvage ! Non, attends... Il y avait plus que ça. L’œuf !! Elle avait sauvé l’œuf !!

Une pensée la tétanisa. L’œuf, est-ce qu'il allait bien !? Elle se releva brusquement, sautant dans sa chambre par la fenêtre, remerciant la vie qu'elle n'avait pas eu droit à la chambre de son frère au premier étage, et redescendit par son escabeau de fortune fait à base d'une bête chaise. Presque en se jetant au sol, elle jeta un œil à sous son lit et... L’œuf semblait intact. Pfiou...

Elle le ramena à elle, le redéposa sur son lit, non sans s'assurer de sa stabilité en le protégeant avec des coussins, puis ferma sa fenêtre. Une fois suffira... En la fermant, elle aperçut du coin de l'œil un bout de plastique... C'était un paquet de mouchoirs déjà ouvert. Elle ne savait pas de quand il datait, mais elle était soulagée d'au moins avoir quelque chose pour se moucher. Ce qu'elle fit sans se gêner d'ailleurs, avant de se rasseoir sur sa chaise.

Elle passa les quelques minutes qui suivirent à penser, essayant toujours d'accepter ce qui s'était passé. En fait, ce qui la perturbait, c'était sa réaction. Letyh était comme sa mère normalement, trouillarde. Quand il y avait un problème, c'était toujours quelqu'un d'autre qui s'en chargeait. À l'époque, son père et son frère, voir les voisins l'aidaient beaucoup. Plus récemment, Lumine et ses collègues étaient très sollicités. Et... Le jour du Festival de l'Aube... Elle avait fui ses responsabilités et avait tenté de fuir le combat.

En fait, elle avait toujours fait ça, fuit ses responsabilités... Mais pas ce soir. Elle avait eu envie d'appeler Lumine à la rescousse, mais pour une fois, elle ne l'avait pas fait. Elle avait vu le problème, et avait décidé de le confronter plutôt que de le fuir... Au fond, elle savait déjà pourquoi... Son regard se reporta sur cet œuf barricadé. Oui, c'était bien car elle avait peur pour cet œuf qu'elle s'était battue... Et qu'elle s'était fait mal, aussi... Elle mit sa main sur son épaule, ce n'était rien de grave, mais c'était, en effet, douloureux.

...

Dans ce qui aurait dû être un silence, Letyh rit. Elle rit bêtement, le nez coulant à nouveau, et ne pouvait s'en empêcher. Elle n'était pas croyante, mais était-ce un signe ? Un Pokémon insecte qui l'empêchait de prononcer l'impensable, lui offrait un mouchoir, et lui montrait qu'elle était capable de mieux que de chialer... Non, c'était impossible, mais à ce moment-là, elle s'en foutait. Y croire la faisait rire. Pleurer même, mais surtout rire.

Et pendant une longue minute, elle rit, sans vraiment s'arrêter...
Et dans celles qui suivirent, elle finit par trouver le sommeil...
Et quelques heures plus tard...




Elle traversait ce couloir. Il était éclairé de la douce lumière du matin, mais ça ne la dérangeait pas. Elle avait bien un petit pincement au cœur, mais rien d'insurmontable. Lumine était réveillée, sur un petit drap au fond du panier vélo. À ses côtés, un œuf. Le fameux œuf. Letyh marchait, faisant rouler les roues de son vélo à l'intérieur. Arrivée à la porte d'entrée, elle l'ouvrit, et sortit récupéré cette dose d'air frais de campagne qu'elle aimait tant.

Son père était là, en train de jardiner. Les deux s'échangèrent des salutations silencieuses. Elle espérait qu'il essaye de la retenir d'une manière ou d'une autre, son séjour ayant été de courte durée, mais à part une tape dans l'épaule qui réveilla une douleur dont elle se serait bien passée, il ne lui souhaita que de prendre soin d'elle.

Je vais faire ce que je peux. - Lui répondit-elle, accolant sa tête à la sienne un court instant. Je suis désolée, j'ai mis un peu de bordel dans ma chambre, maman est déjà au courant. Évidemment, aucune réaction de la part de son père. Enfin, il acquiesça, mais rien de plus. Alors, Letyh poursuivit son chemin.

Arrivée à la route principale, elle se retourna. Elle le salua du bras, et après quelques secondes d'hésitation, éleva la voix. Je... Je t'aime ! J'essayerai de vous tenir au courant ! Elle n'était pas sûre de tenir cette promesse, mais elle avait beaucoup réfléchi. Elle avait décidé d'arrêter de fuir ses responsabilités, et de devenir plus forte. Si son frère ne pouvait plus s'occuper de ses parents, alors elle le ferait, même si elle avait du mal avec ça.

...

Au final, c'était peut-être ça, la raison de pourquoi il voulait lui envoyer cet oeuf. Son but n'avait peut-être jamais été de renouer les liens avec elle... ? Peut-être qu'il espérait juste qu'elle puisse accepter de redonner une chance à leur famille... ? En tout cas, c'était la réponse qu'avait fini par trouver Letyh. Leur redonner une chance, hein ? Et pourquoi pas ?Au fond d'elle, oui, ça lui convenait bien.