Allez, espèce de lâche. Il faut vraiment que tu arrêtes de tout remettre à demain. Surtout quand ça fait dix ans que tu remets ça à demain. C’était ça, que je me répétais en boucle, assis à une table dans le Quartiers des beaux arts, les pieds surélevé sur une sorte de barre, même si ça n’était pas trop une façon de se tenir. J’aimais bien jouer à The Floor is Lava, même si j’avais vingt-sept ans, à mes heures perdues. Surtout quand j’étais stressé, anxieux, angoissé, en fait. Absinthe le Rozbouton dormait sur la table, assez peu soucieux de ma détresse mentale.

“Bonjour ! Avez-vous fait votre choix ?”

“La vie, c'est comme une boite de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.”, avais-je répondu d’un ton sarcastique.

“P-pardon…?”

“Excusez-moi. je vous aurais bien demandé plusieurs shooters chargés aléatoirement, mais la petite voix dans ma tête risque de me faire les gros yeux. Je veux bien quelque chose qui aurait des vertus… relaxantes ? Pour des retrouvailles familiales apaisées après dix ans d’absence, quelque chose du genre.”

Bon, je prenais peut-être cette pauvre Kôyôïte pour une psy, mais j’étais dans une détresse mentale aberrante, et je me refusais de prendre des calmants. Sinon, j’allais dormir ou avoir l’air défoncé devant ma mère, et ça n’était pas souhaitable. Je m’étais mis sur mon trente-et-un exprès pour donner bonne impression. Je ne pouvais pas tout gâcher.

“Je… Peux vous proposer un thé vert à la vanille, associé à de la fleur d’oranger avec un peu de safran. Cependant, il est dans nos prix les plus élevés… Une demi théière vous conviendrait ?”

“Ahahah~ Vous avez lu en moi comme dans un livre. Bon, qu’importe le prix. Une demi théière et un pourboire pour vos conseils de qualité.”, avais-je décidé sur un coup de tête, même si mes économies, aussi maigres soient-elles, étaient sans doute en train de m’insulter.

J’avais fait rougir cette jeune employée, mais je n’en avais pas tenu rigueur. J’avais bien changé, décidément. Avant, j’aurais fait des pieds et des mains pour la charmer davantage, mais je n’en ressentais ni l’envie, ni le besoin pulsionnel. C’était donc ça, d’être sain avec son rapport aux autres ?

Je buvais donc ce thé en observant les feuilles automnales tomber, toujours les pieds sans toucher le sol. Pas toucher la terre… Donc la réalité. C’était tellement plus simple de ne pas y être ancré et d’affronter ses problèmes. Pourtant, il allait bien falloir que je bouge mon cul. J’avais son adresse. Il ne tenait plus qu’à moi d’aller frapper à sa porte quand j’aurai réussi à faire disparaître ces pensées parasites et paralysantes.

Défis d'écriture :

- Facile : Gross Kultur
- Moyen : The Floor is Lava

“J’ai répété cette scène en boucle, encore et encore, et depuis presque dix ans. Pourtant, c’est un drame ! Une comédie tragique ! Je perds mes moyens dès que j’entre en ces terres vermeil. Mon cœur se serre, mon front perle de sueur et tout mon être tremble. Mon âme est parcourue d’une angoisse indescriptible !”

Salomon se lève de sa chaise et fait les cents pas, jusqu’à se rassoir, puisque sa tasse n’étant pas encore terminée.

“Comment cela pourrait-il bien se passer ? Je vous le demande ! J’ai son visage, ses yeux, ses cheveux, tout ! Je ressemble en tout point à un être qu’elle exècre sans doute plus que tout. Un ennemi commun, vous me direz ! Allait-elle l’entendre. Comment faire en sorte qu’elle ne pense pas à un leurre pour la faire revenir ? Ah ! Que de tourments qui m'assaillent de toute part. Elle est si proche, et pourtant, elle semble si loin. Me reconnaîtra-t-elle ? A-t-elle de bons souvenirs de moi ? Peut-être que tout cela n’était qu’un mensonge, une pièce de théâtre absurde où les faux-semblants sont maîtres.”

Il rit sur son sort d’un gémissement sarcastique.

“Si j’en fais tout un foin ? Oh, oui. C’est très certain. Dans tous les cas, je ne pouvais pas me dégonfler, maintenant que j’avais trouvé un peu de force et de réconfort. Un homme, le roi de mon cœur, en particulier m’insufflait la force que je n’arrivais pas à trouver tout seul. Cette force que l’on appelle Amour, j’y retrouvais finalement foi. Je n’étais pas qu’un Destructeur, nous. Je pouvais aussi être le Créateur de relations saines, en changeant drastiquement ma psychée !”

Il arrête son regard sur un Mimantis aux couleurs inhabituelles et décide de la prendre dans ses bras. Absinthe semble le juger.

“Infinie étendue du ciel et des océans ! Inaccessible, éternel ! Serait-ce un mauvais présage que l’on m’envoie ? Non, ce que tu viens me murmurer, c’est que dans cette vie ou dans une autre, nous serons réunis. Et c’est dans cette vie que j’ai décidé d’agir.”

Bien décidé, il garda le Mimantis dans ses bras et se mit en route après avoir terminé sa tasse.

Défis d'écriture :

- Difficile : Dramaqueen

J’étais devant sa porte. Absinthe dans les bras, puisque ce petit Prince refusait de retourner dans sa Pokéball. On va dire que ça me donne un petit air tendre et délicat… J’avais aussi Curaçao (oui, je l’ai appelé Curaçao, ce Mimantis de tout à l’heure) qui me suivait de prêt. Je n’avais pas de Pokéball sur moi, alors… J’allais le ramener à la maison avant de le capturer. Les Pokéballs, au pire, c’est tellement surfait…

J’avais finalement sonné. La petite maison semblait charmante. Je ne savais pas qui allait m’ouvrir. Elle-même ? Son mari ? Je ne savais pas ce que je préférais. Une confrontation directe ? Ou un intermédiaire pour que les retrouvailles se fassent en douceur. C’était un peu la loterie. La métaphore de la boîte de chocolat fonctionnait très bien, dans ce cas précis.

Et… je dus baisser la tête pour observer celui qui m’avait ouvert.

Un mioche. De genre huit ans. Devais-je en conclure que j’avais un petit frère ? J’étais attendri par cette nouvelle, bien qu’un peu jaloux. Peut-être qu’il m’avait remplacé. Mon coeur se serra finalement, mais je ne pouvais plus reculer.

“T’es qui ?”

“Je suis euh…” Probablement ton grand-frère de vingt ans de plus ? Est-ce qu’il était au courant que j’existais ? Visiblement non. Je n’avais pas pu répondre, qu’il brailla déjà avec malveillance.

“Papaaaaa ! Y’a un Monsieur bizarre avec des Pokémons moches à la porte !”

La gueule que tirait Absinthe était masterclass, mais je n’en revenais pas du toupet de ce gamin. je l’adorais déjà, même s’il semblait particulièrement difficile à appréhender. Bon, au moins, j’allais tomber nez-à-nez avec mon… beau-père ? Ouais, un truc comme ça. Il venait d’arriver, et… je crois que lui, il savait qui j’étais.

“Bonjour, pardonne le langage de mon fils, il est…”

“Pas de souci, il est adorable au quotidien, je parie ! Je suis Salomon. Est-ce que…”, j’étais anxieux. Je ne savais pas ce qu’il pensait de moi, ni ce que ma mère lui avais dit à mon sujet, en fait. Est-ce que j’étais dans le même panier que mon père ? Mystère.

“Oui, je t’ai reconnu. Tu peux entrer boire un thé, mais… Ce sera sûrement un peu délicat pour elle… Cela fait si longtemps, elle pensait que tu ne voudrais plus jamais la revoir. Elle a essayé, mais elle n’en a jamais trouvé la force. Je pense qu’elle a peur que tu lui veuilles ou que tu la rejettes…”

“Ah, c’est marrant, j’ai les mêmes peurs ! Je pensais que vous alliez me chasser dehors avec des coups de balai~ Enfin marrant… Ouais, bref, vous voyez. Merci de votre hospitalité, je vous en suis extrêmement reconnaissant.”, le remerciais-je en me courbant légèrement comme on le faisait souvent à Kôyô.

J’entendais le gamin dire que j’étais moche et que mon nom sonnait mal, en plus de se demander qui je pouvais être. Son père lui promettait qu’il allait lui expliquer lorsque je serai seul avec ma mère.

Une fois assis dans la pièce principale, je la détaillais. Ils m’avaient laissé seul, à attendre que ma Mère arrive. L’appréhension commençait à remonter, même si je trouvais rassurant qu’elle soit aussi anxieuse que moi, en fait. Je devais beaucoup tenir d’elle, bien plus que ce que je le pensais.

Elle était apparue dans le pièce, assez hésitante, d’un peu loin d’être sûr. Elle était comme dans mes souvenirs. Elle était d’une grâce difficile à décrire. Je comprenais que mon père ait pété un plomb en apprenant qu’elle l’avait trompé. Elle était magnifique. Même dix ans après, c’était comme si avec l’âge, elle gagnait en prestige. J’avais les larmes aux yeux. Je n’arrivais pas à dire quoi que ce soit.

“Je… Je suis tellement désolée… Je suis une mère horrible, p-pardonne-moi.”

Elle était restée dans un coin de la pièce, debout, ayant beaucoup de mal à me regarder dans les yeux.

“Non, pas du tout ! Tu avais peur. Comme moi. Je ne t’en veux pas, Maman. C’était horrible sans toi, oui… Mais maintenant, tout va bien pour moi et… Je suis heureux que tu aies pu construire une nouvelle vie, tu as l’air heureuse, maintenant.”

Je n’arrivais pas à endiguer mes larmes. Elle avait fini par s’approcher et me prendre dans ses bras, peinant à trouver les mots. Mais est-ce qu’il y avait besoin de mots entre une mère et son enfant ?

“Et… ton père, il va comment ?”

Silence. Puis je la regardais dans les yeux, un peu embêté.

“Aucune idée. Je l’ai pas vu depuis… Neuf ans, peut-être. Un peu moins. On s'entendait plus.”

J’étais encore mineur. Je voyais à son visage qu’elle avait fait le calcul et semblait terriblement inquiète. Et pleine de regrets. Elle avait dû comprendre que je m'étais ans doute démerdé par moi-même assez rapidement.

“Tu aurais voulu vivre avec moi ?”

J’avais hoché la tête et pleuré toutes les larmes de mon corps. Toute cette douleur, je l'avais extériorisée d'un coup, dans ses bras. Et j'en avais cruellement besoin depuis toutes ces années. Si j’avais pu la rejoindre à dix-sept ans, quand j’avais fait cette tentative de suicide, peut-être que je n’aurais pas sombré dans toutes ces addictions. Peut-être que j’aurais fait des études plus poussées, et que j’aurais pu avoir une vie stable, loin de la misère et de la souffrance.

HRP :

- Utilisation d'un Charme Chroma sur le Mimantis !

Les discussions s'étaient ensuite enchaînées. Je lui avais parlé de ce que j'étais devenu, depuis son départ. À cœur ouvert. Je lui avais demandé de ne pas s'en vouloir, surtout. Mais je savais qu'elle s'en voulait quand même. Elle était comme ça. Toujours très attentionnée. Je lui avais tout dit. Mes addictions, mes troubles… mes problèmes avec l'illégalité du Quartiers des Ombres. Je savais qu'elle ne me jugerait pas. Et j'avais raison.

J'avais ensuite continué en lui disant que depuis plus d'un an, je m'étais repris en main. J'étais en apprentissage pour devenir fleuriste d'ici un an. Je lui avais aussi parlé des amis que je m'étais fait. Et surtout, je lui avais parlé de Sūrya. J'avais sans doute des étoiles dans les yeux tout comme j'avais des Prismillons dans le ventre quand je parlais de lui. J'étais heureux, avec lui. Il me faisait progresser. Sa stabilité me plaisait. Je connaissais ses secrets. Il ne connaissait pas encore tous les miens, mais ça viendra.

"C'est… c'est formidable que tu t'en sois sorti. Ça doit être encore difficile… J'ai entendu dire que les risques de rechute sont très importants et que ça reste à vie."

"Oui, c'est possible. Mais quand on est entouré et suivi, ça se passe bien. Les personnes qui s'en sortent pas, c'est ceux qui sont… seuls et isolés. Et qui arrêtent le suivi. Y'a des groupes de parole, aussi, pour tous ces sujets. Ça aide pas mal, au bout d'un moment."

Il y avait encore beaucoup de préjugés au sujet des addictions. Beaucoup trop. Même s'il y avait une part de vérité et que ça faisait des dégâts aussi bien sur le consommateur que son entourage. On peut s'en sortir.

"Tu voudrais rester manger ce soir ? Même dormir, si tu es trop fatigué pour rentrer…"

"Ta nourriture m'a manqué, je pourrais jamais refuser~ ! Mais… je pense que je vais rentrer à Uthyrgham. Je travaille tôt, demain."

Je craignais de perturber mon petit frère qui semblait extrêmement hostile. Enfin, il s'y habituera ! C'est qu'un gosse.

"Il s'appelle comment, mon frère surprise, du coup ?", plaisantais-je avec un sourire amusé.

“Aki, c’est son père qui a choisi.”, me répondit-elle d’un sourire apaisé et apaisant.

Plus tard, mon désormais beau-père et mon demi-frère nous avaient rejoint. Il lui avait expliqué que j’étais son grand-frère, mais d’un père différent. Ce à quoi il avait répondu que c’était impossible, puisque j’étais vieux. Aïe. Vraiment, il tapait là où ça faisait mal. Il me malmenait un peu, mais ça ne me dérangeait pas. Il allait s’y faire avec les mois. Même s'il venait de dire que mon Rozbouton était moche. Parce que je comptais bien venir plus souvent que prévu à Kôyô. Pour rattraper le temps perdu et profiter de la famille que j’avais retrouvée.

Une étape de faite.

La dernière me semblait beaucoup plus complexe, et je ne savais pas si j’étais prêt. Renouer avec mon père, mon destructeur. J’avais surtout envie de lui cracher au visage et de l’accuser de bien des maux. Or, je n’étais pas forcément le plus malin à faire. Je décidai de laisser ça de côté, pour le moment.