Difficile de dire si Zaya cherchait à humilier Jameson Arkeley ou si elle désirait simplement le voir loin d'elle parce-qu'elle manigançait quelque chose et qu'elle n'avait aucune confiance en lui... Toujours est-il qu'il se retrouvait à l'autre bout d'Oma-oma, loin de sa ''cheffe'', dans le légendaire et malfamé quartier des Ombres. Armé d'un unique Stalgamin fraîchement acquis qui ne lui permettait guère de se défendre. Sa carrure était cependant suffisamment imposante pour que les quelques racailles du coin s'écartent en le voyant approcher. Il n'avait pas encore eu d'informations sur les objectifs qu'il devait remplir dans ce coin d'Ahovu, probablement allait-on le laisser moisir là-bas quelques semaines le temps qu'il se renforce... ou qu'il se fasse poignarder dans le dos parce-qu'il aurait regardé le mauvais gars de travers.

       Toujours est-il qu'il fulminait, recherchant un coin sordide où il pourrait se saouler la gueule sans qu'on vienne trop l'emmerder. Il jeta finalement son dévolu sur le même bar où il s'était rendu le premier jour de son arrivée. Il descendit un petit escalier qui s'enfonçait dans le béton gris et froid de la ruelle et qui menait vers une lourde porte de bois striés d'impacts et de griffures qui laissait très bien entrevoir le bouge sordide qu'elle abritait en son sein. Il poussa cette dernière pour se retrouver dans un bar crasseux dont le plafond était invisible ; camouflé derrière un épais rideau de fumée ; et prit place sur l'un des tabourets en bois du bar, là où un barman antipathique lui demanda le poison qu'il désirait consommer sans même le gratifier de la plus élémentaire des formules de politesse.

       –Ton plus mauvais Whisky, On the Rocks, grommela le vieux dresseur

       Inutile de commander un bon alcool dans ce lieu. L'odeur suffocante de tabac allait complètement en gâcher le goût... Mais ce n'était pas plus mal car, même si la fumée était en mesure de brûler les bronches d'un non-fumeur, c'était une fragrance toujours plus agréable que celle du vomi, de la pisse et du sang qu'elle devait probablement camoufler. Bien sûr, Jameson n'était pas un fumeur, mais à force de fréquenter ce genre de coin, qu'il affectionnait étrangement et justement pour ce genre d'ambiance, il en venait à croire que ses bronches étaient probablement dans le même état que celui d'un dépendant à la nicotine. Son Whisky lui fut finalement servi dans un verre rond spiralé, rendu si opaque par le calcaire qu'il était impossible de voir ce qu'il contenait à moins de tremper ses lèvres dedans. Cela ne le dérangea pas. Il resta là, pendant de longues minutes, à siroter plusieurs verres de son poison favori quand cela commença à devenir bruyant derrière lui, au niveau du billard, là où se tenait une table de poker. Il ne se retourna pas plus pour admirer la scène que pour intercepter un éventuel pécore et broyer son crâne entre son unique main et le comptoir. Un type, un grand gaillard barbu, était en train de pester contre un gamin plus jeune qui n'était pas étranger au vieux guerrier. Il prétextait que le gamin avait triché aux cartes, et bien que l'autre démentait (sur un ton néanmoins provocateur), l'agresseur monta vite dans les tours avant de tenter de s'en prendre physiquement à l'autre joueur. Jameson avait le regard fou, amusé, devant cette scène : un collègue de l’agresseur rejoint le combat, mais le jeune homme parvenait à mettre les deux en difficultés sans grande difficulté... ''Pas étonnant venant d'un flic'' pensa-t-il. Le barman, lui, se contentait de soupirer probablement trop familier avec ce genre de rixe dans son établissement. Une troisième racaille attablé lui aussi au bar, un tabouret plus loin de celui de Jameson, hurlait de manière hystérique en agitant ce qui semblait être une arme de poing en direction du flic. Nonchalamment, Jameson se saisit du tabouret qui le séparait du lâche et le fracassa avec force sur le crâne de la pauvre âme qui s'écroula au sol sans demander son reste. Il poussa ensuite un rugissement en direction des trois bagarreurs. Les deux agresseurs virent alors leur collègue, inconscient sur le sol immonde du bar. Jameson souriait à grandes dents.

       –Ramassez votre p'tit copain et fichez l'camp, les menaça-t-il, sinon j'fais en sorte d'égaliser l'équilibre du nombre !

       Les deux comparsent se fixèrent brièvement dans les yeux... Avant de pester, de ramasser leur pote et de se tirer rapidement, non sans jurer de se venger de cet affront bien évidemment. Bien. Des ennemis, ce n'est pas ce qu'il manquait à Jameson. Mais pour l'heure, c'est tout autre chose qui le préoccupait. Il commençait à comprendre pourquoi Zaya l'avait envoyé ici. Pour garder un œil sur un petit gars. Un petit poulet un peu trop téméraire au goût de la parraine.

       –Vitaly Osborne... Ça alors ! Quel hasard de retrouver un bougre comme toi en ces lieux ! souriait-il faussement en direction du jeune homme qui essuyait un filet de sang perlant de sa bouche.

       ''Le hasard, se mit-il à penser, mon cul... Zaya, espèce de salope sournoise...''

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       –Reprononce ce nom et j'arrache ta gorge avec mes dents, chuchota Vitaly à l'oreille de Jameson avant de prendre un ton plus amical

       Lorsque cette petite menace fût proférée, un sourire carnassier irradia le visage de Jameson, comme enjoignant le jeune homme à mettre sa menace à exécution, mais il comprit bien vite que ce n'était que de belles paroles quand il le vit grimacer en se dirigeant vers le bar. Il avait plus dégusté qu'il ne voulait bien le faire croire.
Jameson prit place à ses côtés tout en acceptant sans aucune vergogne l'offre que venait de lui faire son ennemi : un verre est toujours meilleur quand il à le goût du gratuit. Ce n'est donc qu'une fois un nouveau whisky infâme servi sur ses glaçons qu'il continua la conversation, en ayant bien vérifié au préalable que le barman, parti nettoyer les quelques tables, ne tende pas l'oreille.

       –Alors gamin, comment dois-je te nommer ? demanda-t-il, M. L'flic en couverture ? M. Gueule cassée ? L'banni d'Oma-Oma ? C'est que j'voudrais pas m'retrouver avec tes canines dans la gorge. Faudrait me donner ton matricule ''secret''.

       Pouvoir changer d'identité... C'était quand même drôlement pratique. Le vieux dresseur était officiellement déclaré comme mort et n'était plus vraiment une menace pour les deux grands groupes qui régissent ce monde... Mais il savait pertinemment que si la survit du ''Manchot fou'' devait remonter dans les petits papiers de l'administration du gouvernement, alors il ne pourrait plus dormir tranquillement. Trismegis ne prendrait jamais le risque de lui laisser se refaire une santé et de le voir redevenir une menace. Il se ferait éliminer avant sans aucune forme de procès.
        Il lui restait désormais à comprendre pourquoi il était dans ce quartier à la demande de la patronne. Évidemment, il se doutait qu'il allait recevoir d'un moment où l'autre l'ordre de garder un œil sur Vitaly Osborne et le fait qu'il le rencontre avant n'était qu'un curieux concours de circonstances... Ou bien devait-il lui ôter la vie ? Ce serait si simple... Il était affaibli après son altercation, et l'écart de puissance jouait en sa faveur. Il pourrait profiter de l'effet de surprise pour lui éclater le crâne sur le bar sans qu'il n'ait le temps de dégainer ses pokémon qui ne lui laisserait, à l'heure actuelle, aucune chance... il savait que buter ce gosse ferait plaisir à l'autre grognasse... et c'est pourquoi il ne le ferait pas.

       –Sans rancune pour la dernière fois, ricanait-il, mais tu sais : les ordres, le boulot. Travailler pour l'autre pétasse défigurée rendrait n'importe qui violent crois-moi !

       Évidemment qu'il se foutait de sa gueule. Cogner sa belle petite mouille fût un véritable plaisir du début à la fin... Mais il préféra quitter les lieux lorsque l'heure du grand tabassage vint. Il ne pouvait  supporter cette méthode de Zaya : si un homme doit payer, alors il doit payer en combattant ! Pas en se faisant molester par une dizaine de gorilles sans honneur et à l'intellect inexistant. Le jeune Osborne, ce jour-là, avait montré une grande combativité qui avait forcé l'admiration du manchot.

       –Dit moi, en prime... Qu'est-ce que tu fous dans ce coin ? ajouta-t-il, c'est que si tu cherches à mettre un peu d'ordre dans la ''cité des ténèbres'' tu n’en auras pas assez d'une vie héhéhé... Je m'ennuie, cela fait plusieurs jours que je prends la poussière et un vieillard comme moi a besoin de se dépenser. Tu sais... Je peux te filer un coup de main sur ton coup, gratuitement, à partir du moment où ça inclut de devoir cogner sur du monde.

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     -Appelle-moi Mike, finit-il par dire.

       L'espace d'un instant, Jameson se demanda ce que pouvait bien signifier ce prénom pour le jeune flic, mais cette pensée fugace fut vite balayée par l'attitude de Vitaly qui sembla s'apaiser alors même qu'il était en sa présence. ''Curieux'', se dit-il, ''normalement même les gens à qui je suis normalement loyaux sont tendu en ma présence. Est-il naïf ou confiant ?''. Toujours est-il qu'il ne semblait pas lui en vouloir pour les événements du passé. Un bon point qui lui permettrait de le trahir prochainement.
       Son ami de circonstances répondit finalement à sa dernière demande en lui mentant éhontément, et en soulevant à son tour plusieurs questions quant au comportement du guerrier. Jameson sourit en se retournant vers lui, portant son breuvage à ses lèvres de son unique main pour en déguster les arômes.

       –Le goût de ce whisky sont comme tes mots : ils puent la pisse de chat, le provoqua-t-il, tu veux me faire croire que tu es ici, dans le quartier des ombres, parce-que tu es un homme futurible ? Peuh ! A d'autres ! Je vais répondre à ta première question : je ne t'ai pas sauvé, je t'ai aidé. Tu avais l'air de gérer comme un grand garçon. Et donc, si je t'ai aidé, c'est justement par la plus pure et plus simple des curiosités, pour cette information que tu me caches : ''Qu'est-ce que tu fous ici ?''. Tu sais, je suis bien plus dans mon milieu dans cette cité que tu ne le seras jamais. Peut-être ai-je des informations que tu recherches ? Peut-être que je pourrais t'être utile ? Après tout, vivre dans le monde du ''dessous'', c'est un peu mon truc on va dire. Sois coopératif : je m'emmerde.

       Il prit une courte pause, finissant d'une traite le poison contenu dans son verre... Qualifier ce liquide de pisse de chat, c'était insulté cette dernière. Il se resservit malgré tout un nouveau verre, se penchant au-dessus du bar pour se saisir d'une bouteille tandis que le barman s'affairer à frotter une tâche de vomie sur l'une des tables. C'était du vol, en face d'un poulet, mais qu'est-ce que le poulet allait faire ? Causer des vagues et risquer de compromettre sa couverture ? Nan... Certainement pas. Jameson le provoquait délibérément, pour s'amuser.

       –Pour ta dernière question, continua-t-il, je vais y répondre par une autre question rhétorique : tu connais beaucoup de gens qui s'entendent avec Zaya ? Je veux dire, de vraies personnes, pas des pions au cerveau matrixé par des idéologies qui ne sont pas les leurs. Bingo mon p'tit Mike. Je m'entends avec Zaya comme je m'entends avec le service des impôts : on se crache mutuellement au visage, mais on à chacun besoin l'un de l'autre pour fonctionner. Tu piges le délire ?

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