J’avais fini par me secouer concernant ma thèse. Puisque les scientifiques, chercheurs et autres dresseurs de Bedwyr n’étaient pas intéressés par mon sujet, autant aller interroger des personnes d’autres districts ! Bon, à Tôkan, je pourrais le faire très facilement, en interrogeant mes pères qui sont d’excellents dresseurs. Mais interroger ses parents, ça n'était pas très professionnel. D'ailleurs, le sujet de ma thèse était encore un peu flou il n’y a pas si longtemps que ça. J'avais, disons, du mal à faire en sorte que ça colle avec mon domaine, puisque j’ai tendance à facilement m’éparpiller, ahah…

Quoiqu’il en soit, même si beaucoup de monde à Bedwyr n’allaient pas forcément valider mes propos, j’allais tout de même aller jusqu’au bout. Prouver que les Humains ont non seulement besoin des Pokémons sur le plan pratique, affectif, émotionnel, biologique aussi, d’ailleurs… Mais que l’inverse était probablement vrai aussi. Et que la façon dont on les traite influe énormément sur notre mode de vie. L’inverse étant également vrai. Et il fallait que les Pokémons soient traités comme avant. Comme nos égaux.

C’est pour cette raison que j’étais parti pour Oma-Oma, et plus précisément sa capitale : Mahina. J’avais des questions à poser au Champion d’arène de la ville. Déjà, j’allais lui présenter mon projet de thèse, puis… Comme il est secouriste, il doit certainement avoir un avis sur la question ! Oma-oma est sans doute l’un des districts les plus dangereux de la région. Puis comme sa spécialité est… Basée sur les Pokémons prédateurs, je pense que son point de vue pourrait être intéressant.

Du coup, je ne savais pas trop où aller, dans cette ville puisque je ne connaissais pas du tout le coin. Je n’étais pour ainsi dire jamais venu. Alors je m’approchais de l’arène en croisant les doigts. Que je ne sois pas obligé de parcourir toute la jungle tropicale si jamais il n’était pas en ville. Ayant cruellement besoin de me détendre, nerveux à l’idée de parler avec un champion plus expérimenté que moi (c’est pas compliqué), je consumais une cigarette à l’extérieur.

Quelqu’un venait de sortir de l’arène, alors que j’éteignais ma cigarette pour la jeter dans mon cendrier de poche. C’était Stitch Ianuali ! Le Champion d’Oma-Oma. Je ne l’avais jamais vu d’aussi près, mais je n’allais pas le laisser partir sans rien dire. j’avais fait beaucoup de chemin pour venir ici !

“Euh, excusez-moi ! Vous êtes bien le champion d’arène, Stitch Ianuali ?”

Je posais la question, mais je savais très bien que c’était lui, puisque tous les champions s’étaient rencontrés à un moment donné, lors de réunions. Je n’en avais assisté qu’à une seule, pour l’instant, mais j’avais pu retenir le visage de tout le monde. Probablement car tout était médiatisé, en plus.

“Est-ce que… vous auriez un peu de temps à m’accorder ?”

J’étais en train de vouvoyer une personne plus jeune que moi, oui. Après, l’écart n’était pas énorme… Mais j’étais comme ça. A ne jamais savoir si je devais tutoyer ou non, donc dans le doute, c’était comme ça. Même si je risquais de passer pour un drôle d’énergumène.

“Ah, euh… Je ne me suis pas pas présenté, mais je suis Niko Óneiros Neos, le champion de Tôkan…”

J’étais encore assez peu habitué à ce titre, bien que ça fasse un an. J’étais là depuis moins longtemps que tous les autres, d’où mon appréhension à communiquer avec les plus grands.

Le champion n’avait pas l’air de me reconnaître. Aïe. Mon ego en prenait un bon coup. Même si le mien n’était pas vraiment élevé à la base… Mais ça n’était pas le moment de s’auto-flageller.

Il finit pourtant par se souvenir de m’avoir vu au moins une fois de loin. Puis il commença à me parler des… témoins d’Amonita…? Oulah. Je connaissais ces énergumènes, mais je ne pensais pas qu’ils étaient aussi virulents dans la vraie vie… Je n’y avais été confronté que sur Internet, dans ma vie…

“Ah, euh… non ! Ni d’aucun autre culte. Je pense que tu le sais déjà mais…”

Je passai instantanément au tutoiement puisqu’il ne s’était pas gêné pour le faire de son côté. C’est plus simple comme ça.

“Je suis également étudiant, enfin, je suis sur ma thèse, actuellement, donc je ne suis plus vraiment de cours. J’ai beaucoup de mal à avancer, alors j’ai décidé d’interroger des dresseurs d’autres districts que ceux de Bedwyr qui ne prennent pas vraiment au sérieux ce sur quoi je travaille en ce moment…”

Je marquais une pause et trouvai un prétexte pour bouger d’endroit, assez mal à l’aise vis-à-vis de tous les passants, fans et journalistes qui nous observaient. Deux champions au même endroit, ça attire souvent les regards…

“...On pourrait en discuter autour d’un café, si tu veux bien ? Enfin, uniquement si tu as le temps l’envie ! Je peux t’inviter, aussi…”

Je n’étais pas extrêmement à l’aise quand je parlais avec des inconnus, en espérant ne pas passer pour un weirdo.

Une heure, c’était parfait ! Puis si jamais j’ai des questions à lui poser un peu plus tard, je le ferai certainement par mail ou par SMS, si je pense à lui demander au cours de la discussion. Dans tous les cas, on allait se diriger vers quelque part où boire, et éventuellement manger, donc j’avais déjà le temps de lui poser quelques questions sur le chemin. D’ailleurs, j’étais bien plus libre ici, au niveau de la parole, qu’à Bedwyr. Uthyrgham, la Haute, plus précisément. Là-bas, il était difficile de parler librement sans se faire dévisager voire pire… Mais bon ! Profitons de ce court séjour pour délier les langues et dire tout haut ce qu’on pense tout bas !

“Je te remercie, ce sera largement suffisant ! Sans plus tarder… Je compte traiter d’un sujet pas très drôle, mais j’aimerais prouver que si on sépare entièrement les humains des Pokémons, la civilisation pourrait courir à sa perte, malgré ce que pense l'Organisation. J’ai besoin d’exemples du quotidien assez concrets pour cela. Comme Bedwyr souhaite séparer ces deux entités, j’ai besoin d’arguments solides. C’est pourquoi j'aimerais savoir ce que tu penses de la situation actuelle, pour commencer. Ensuite, je rentrerai probablement dans les détails, selon ta première réponse.”

Il allait peut-être falloir que je simplifie tout ça. Je m’éclaircis à nouveau la voix et repris sans trop tarder :

“Penses-tu qu’il faille séparer les Pokémons des Humains ?”

Comme il était spécialisé dans les Pokémons dits Prédateurs, je pense que sa réponse sera pleine d’informations. Prédateurs de l’homme… ça signifie danger. En théorie. Mais chaque être est le prédateur d’un autre, ce qui est naturel… Déséquilibrer l’ordre des choses n’est jamais bon et peut mener à l’extinction de masse de nombreuses autres espèces, par la suite. Et de ça aussi, il fallait que j’en parle longuement dans ma thèse. Je n’étais pas le premier à écrire à ce sujet, loin de là. Mais depuis 300 ans, des choses tendent à être oubliées, malheureusement.

S'il semblait un peu dubitatif dans un premier temps, sans doute puisque j'étais officiellement dans l'Organisation, il ne se retint pourtant pas de me faire connaître son point de vue.

En tout cas, même sans avoir de quoi noter, j'avais bu ses paroles avec un grand intérêt. C'était exactement ce que j'avais envie et besoin d'entendre. C’était très différent de l'échange que j'avais eu avec Sūrya quelques jours auparavant, qui trouvait préférable que je change de thèse pour le bien de tous. Mais comme j'étais obstiné et un peu têtu par moment… je n'allais rien lâcher. Sauf si ma thèse est refusée, là, je ne pourrai rien y faire… Mais autant ne pas y penser maintenant.  Je sais que ça pourrait marcher avec beaucoup de témoignages et d’exemples.

"C'est… c'est parfait ! Merci beaucoup ! Je vais retenir, pas besoin de notes ! C'est tellement différent de ce que j'ai entendu à Bedwyr, ça me fait un bien fou…"

Avec cette phrase, il devait se douter que je n'étais pas forcément très en accord avec les idées de l'Organisation. Je ne le disais pas à voix haute, mais c’était si froid. Concernant leur lien avec les Pokémons, je veux dire.

"J'ai l'impression qu'une majorité de champions va dans ce sens. C'est rassurant. Peut-être qu'on réussira à faire changer les mentalités, d'ici quelques années !"

J'étais rempli d'optimisme. Sans me douter que dans quelques semaines ou mois, la thèse sur laquelle j'ai tant travaillé serait non seulement refusée… mais me causerait énormément de troubles avec l'Organisation.

Si les mentalités de nos aînés ne pouvaient pas changer… je n'étais pas certain d'être entièrement d'accord. Certains d'entre eux pouvaient se remettre en question. Tout dépendait de la personne, certes. De toute façon, je voulais y croire. La nouvelle génération sera la plus à même de changer les choses. Ça, on peut en être certain. Et j'espère que ma thèse en éclairera certains, y compris parmi mes étudiants à l'esprit étriqué. Je ne pouvais cependant pas les blâmer. Leurs mentalités ont été façonnées selon la société dans laquelle ils ont grandi, après tout.

"Tout ce que tu fais est admirable. J'espère un jour en faire autant, en tant que champion. Enfin ! Je vais apprendre le métier, à terme. Il n'y a pas tant de personnes qui convoitent mon badge pour le moment. Il faut dire qu'à Tôkan, la population est plutôt vieillissante…"

Les jeunes préféraient partir pour les villes les plus grandes. C'était souvent mal vu, d'ailleurs. Heureusement que j'avais trouvé un compromis et que je voyageais régulièrement entre Bedwyr et mon district de naissance pour prouver que je ne partais pas vraiment…

"Euh… coincés… Je ne dirais pas ça comme ça. Pour Bedwyr, je dirais qu'ils restent campés sur leurs opinions avec fierté et supériorité. Pour Tôkan, je pense que d'un point de vue extérieur, on pourrait les trouver bourrus, froids. Mais quand on apprend à les connaître, ils sont plutôt familiers et accueillants. Même s'ils sont très chauvins. Un de mes pères n'est pas de Tôkan, mais de Bedwyr. Il a fini par se faire accepter tout de même, par exemple…"

Je marquai une courte pause.

"Et ici, comme tu décrirais les gens ?"

Après avoir écouté les dires du champion d’Oma-Oma sur son propre district, je fus d’autant plus motivé à visiter les districts que je ne connaissais pas encore. Et Oma-Oma était l’un d’entre eux. Je n’avais mis les pieds qu’à Bedwyr et Kôyô, si on ne compte pas mon district natal. J’avais encore beaucoup de choses à apprendre sur Ahovu, c’était certain.

“C’est vrai que la météo joue énormément. Après, de mon côté, la neige a tendance à me rendre heureux, puisque ça m’apaise… Mais c’est différent pour tout le monde ! En tout cas, ici, le temps est très agréable à la mi-saison. Je pense qu’en été, je cuirais sur place, par contre.”

Je pense très honnêtement que les mentalités de n’importe quel district sont plus agréables que celles de Bedwyr, mais je n’allais pas faire ce commentaire au risque de passer pour une mauvaise langue. Même si je pouvais en être une, dans certains élans de ras-le-bol général. Mais comme j’étais de plutôt bonne humeur, je laissai couler.

“Non, je n’ai pas d’autres questions. Je pense qu’on peut se séparer ici ! Je vais aller me promener un peu en ville avant de rentrer, je pense que j’en apprendrai davantage en observant des cas réels, également !”

Je lui tendis la main pour qu’il la serre en retour, ravi de ma journée en terre inconnue.