J’étais installé au bureau dans ma salle de classe. Mes pieds reposaient sur un pose-pied sous mon bureau, me permettant d’être dans une position adéquate et bénéfique pour mon corps tout entier. Je corrigeai la copie que j’avais sous les yeux, me permettant de mettre de x ou des crochets devant les réponses, les annotant de temps à autre. J’avais demandé à mademoiselle Masson de rester après la fin des cours pour une retenue bien mérité, une excuse comme une autre pour la retenir en classe..

Elle avait manqué plusieurs de mes cours et cela ne m’avait pas plu même si je comprenais quelques raisons à cela. Cependant, elle avait de la matière à rattraper et elle ne pouvait pas échapper au questionnaire que tout le monde avait rempli sauf elle. La jeune fille devait se conformer à celui-ci comme le reste de ses camarades de classe.

Je savais pour sa famille. Tout le corps professoral était au courant. Nous étions tenus de ne rien laisser ébruiter, mais de toute de même veiller sur elle et sur les autres élèves dans sa situation. Ce ne devait pas être facile pour la demoiselle. Elle devait avoir la haine, de la détresse peut-être bien, même.

Je levai un œil sur Lydia lorsqu’elle se mit à rager et à menacer de rendre une copie vierge. Je soupirai, déposant mon stylo rouge sur le plat de mon bureau. Cependant, je ne bougeai pas de là où je me trouvais.

- Mademoiselle Masson, s’il y a des questions que vous ne comprenez pas, il suffit de demander et je vous les expliquerai.

Je ne peux pas l’aider davantage même si je le voudrais bien. Nous avons une relation élève-professeur et sortir des limites pourrait coûter très cher. Je dois simplement l’écouter et la rassurer, sans plus. C’est assez irritant de voir le malheur chez les autres et ne pas pouvoir être réellement présent pour eux, en dehors de l’académie, dans leur vie.

Je soupire et relève complètement la tête vers elle, portant toute mon attention sur la gamine face à moi, à quelques mètres à peine.

- Je ne me fiche pas de vous. Je ne me fiche pas de mes élèves et de leurs problèmes. Je ne peux simplement pas déroger aux règles de convenance et d’autorité.

Je laisse une petite pause de quelques secondes s’installer avant de continuer.

- Écrivez ce que vous voulez sur cette feuille, déchaînez-vous dessus si c’est ce que vous voulez, mais ne gardez pas tout à l’intérieur. Vos émotions ont le droit d’être exprimé et vous avez le droit de vous révolter contre ce qui vous arrive.

Autre petit moment de pause, puis je reprends de nouveau.

- Si vous préférez laisser libre cours à vos pensées par la parole, je saurai écouter. À quoi pensez-vous, Lydia?

Je regarde la gamine face à moi, à trois ou quatre mètres de moi, tout au plus. Je vois la révolte dans son regard et son besoin d’extérioriser ce qu’elle garde à l’intérieur. Je ne peux pas la retenir de vouloir exprimer ce qu’elle ressent et je ne le veux pas. Je me décide donc à me relever de ma chaise pour m’approcher d’elle. Mon œil visible croise ses yeux remplis de défi et de toutes sortes d’émotions à vif aussi. Je sais bien que même si je lui explique tout ce qui se trouve sur cette feuille, ces questions et tout le reste, elle n’écoutera pas. Lydia n’a pas envie d’écouter, mais elle veut être écouté, entendu.

Je m’assois sur le bureau devant le sien, face à elle. Je me le permets puisque nous ne sommes que tous les deux. Je la jauge de mon œil visible, croisant les bras sur mon torse. Je suis peut-être rigide, mais je n’ai tout de même pas le choix de suivre les règles. C’est pour le bien de tous. Cependant, je peux tout de même l’aider en tendant l’oreille et en la laissant déballer son sac.

- C’est vrai que nous ne sommes pas dans votre tête. Nous assumons des choses sans réellement prendre en considération votre avis.

Je décroise les bras et appuis mes paumes de par et autre de ma personne contre le bois du bureau sur lequel je suis installé. La demoiselle face à moi et debout, les mains contre son propre bureau et elle cherche à savoir visiblement où sont mes limites. Moi qui habituellement est assez strict et sérieux en apparence, laisse un léger sourire en coin flotter sur mes lèvres.

- Je vous donne carte blanche et je vous promets que cela restera entre nous.

Elle me faisait un peu penser à moi dans mon adolescence. Malgré mon sérieux, je n’avais pas peur de dire les choses telles qu’elles étaient en réalité. Je n’avais certes pas son énergie et sa fougue, plus depuis Uchinâ, mais je pouvais voir sa candeur et sa vivacité d’esprit. Une jeune fille intelligente et à la fois mature et immature. Elle avait dû grandir trop vite, malheureusement.

- Je n’oserais jamais vous porter préjudice, mademoiselle Masson. Vous avez le droit à votre liberté d’expression même si nous nous trouvons entre les murs de l’académie.

J’avais bien envie d’entendre ce que mon étudiante avait à dire. Je ne lui imposais aucune limite et cela pouvait être déroutant. Si elle croyait qu’il y avait un piège, je saurais lui affirmer que ce n’était point le cas. Je voulais qu’elle puisse se défouler et rebondir au lieu de s’écraser. Une main tendue pouvait faire toute la différence tout comme un simple sourire.

- Je n’ai pas peur des grossièretés. Je peux encaisser ne vous inquiétez pas.

J’espérais que notre nouvelle proximité pourrait l’aider à se détendre et à s’ouvrir à moi. Je restais tout de même à distance raisonnable de sa bulle et elle de la mienne. J’instaurais simplement un lien de confiance ou tout du moins, je tentais de le faire avec elle. Lydia pouvait très bien refuser après tout. C’était son droit le plus légitime.

Je regarde la demoiselle en face de moi, stoïque, sérieux. Je ne laisse transparaitre la moindre émotion sur mon visage de marbre. Elle semble embêtée par mes propos, puis dans un dilemme interne que seule Lydia concerne. Mes orbes cuivrés ne la quittent pas une seule seconde et je vois son propre visage se transformer sous les émotions. Je perçois les larmes et la douleur, la frustration et peut-être même de l’angoisse.

Je ne fais rien. Je la laisse s’exprimer, déverser ce qu’elle a à dire que cela me concerne ou non. J’écoute chacun de ses mots avec attention et je ne bouge pas d’un poil du bureau où je suis installé. L’étudiante a besoin d’évacuer et je ne peux pas me permettre de l’interrompre. Je vois une rancœur, une détresse dans ce qu’elle dit, une haine palpable pour ce qui est arrivé à sa famille parce que personne ne souhaite cela. Je n’entrouvre les lèvres qu’une fois que la jeune fille à la chevelure blonde termine de toute laisser aller.

Je lui tends un mouchoir en tissu.

- Je vois. Les gens ont tendance à te voir comme une enfant qui doit agir et être comme eux. La plupart des gens ne veulent pas s’occuper d’un individu trop différent d’eux et qui peut leur donner beaucoup plus de fil à retordre que ce qu’ils peuvent gérer. Tout du moins, s’ils savent se gérer eux-mêmes à la base. Tu as grandi pour être indépendante et c’est fort louable. Tes parents t’ont donné ce bagage, mais les adultes ne le comprennent pas.

Je me relève et je laisse sortir mes pokémons de leurs balles. En tant que professeur à Uxie et parce qu’on me l’avait à plusieurs reprises, reproché, je devais garder ceux-ci en balle. Puisque nous n’étions pas en classe à proprement parlé, je me permettais d’enfreindre cette règle. De toute façon, je l’enfreignais tout le temps avec Pinku et je m’en portais bien.

Mon Meteno, ma Picassaut et mon Baudrive se mirent à faire la cacophonie en sortant de leurs balles. Pinku n’était pas encore là. Il devait être dans la cour à gazouiller et profiter des derniers rayons du soleil hivernal.

Kiiro vint enrouler ses appendices autour de la jeune fille pour la réconforter de sa douleur et de calmer sa colère alors que Kuro s’était mise comme devoir de déchiqueter la copie du questionnaire sur le bureau de Lydia. Je soupirai en la laissant faire, jetant un coup d’œil à Murasaki qui faisait son timide, flottant à côté de ma tête. Cela devait le chambouler de voir mon élève pleurer.

- La majorité des gens sont individualistes et ne veulent que ce qui est bon pour eux. Si vous voulez quelque chose de spécifique et de précis, n’hésitez pas à le demander. C’est votre éducation et votre développement en tant que personne qui prévaut. Vous êtes jeune. Vous avez un bel avenir devant vous, Lydia.

Je parlais beaucoup plus que d’ordinaire. Je ne savais pas si je la réconfortais d’une quelconque façon, mais j’essayais d’être réaliste et terre à terre sans lui donner de faux espoir. Malheureusement, nous ne pouvions pas ramener sa famille à la vie. Cela aurait été la meilleure solution, mais elle n’était que fantaisie.

- Puis-je vous proposer un abonnement à la cantine de l’établissement où l’on retrouve des mets équilibrés et sains pour la santé? Je peux aussi rédiger un document concernant vos besoins spécifiques et demander à d’autres professeurs de faire de même.

Je reste debout, observant la demoiselle à la chevelure blonde et mes pokémons qui la réconfortait chacun à leur façon.

- Si jamais quelqu’un ose tenter de vous séparer de vos pokémons contre votre gré, ne vous laissez pas faire. Appelez-moi ou le professeur Óneiros Neos et nous nous porterons garant de vous quant à ce sujet. Sachant qu’ils sont pour vous une attache mentale et sociale, ce serait inconcevable que l’on ose vous les prendre.

Je cherchais des solutions à ses problèmes pour que mademoiselle Masson puisse se sentir mieux malgré la perte de ses parents et de son chez soi. Je comprenais ses besoins puisque je les avais entendus et écoutés. À présent, il ne restait qu’à voir si la jeune fille me laissait la chance de lui venir en aide.

- Qu’en pensez-vous? Hm. Je crois que mes pokémons vous ont adopté.

Même mon Météno flottait maintenant autour de la demoiselle, l’illuminant de sa couleur violacée. Deux d’entre eux étaient encore jeunes et bas niveaux. Je les laissais être comme ils le désiraient avant de penser à les entraîner davantage pour les renforcer.

J’étais soulagé d’avoir pu communiquer mes pensées et mon point de vue à la jeune fille et que celle-ci les accepte et les comprend. Je n’avais pas eu la certitude que cela soit juste, mais avec ses paroles suivantes, je ne m’étais pas trompé. Lydia voulait de la reconnaissance, que nous la voyions comme une personne à part entière avec ses besoins et ses droits. Certes, c’était une adolescente, mais même les adolescents avaient leurs besoins particuliers en tant qu’individu propre à eux-mêmes.

Je ne répondis rien et la laissa se calmer auprès de mes pokémons de type vol. Je savais qu’elle affectionnait ce type tout comme moi. Nous avions peut-être la même vision de celui-ci. Moi, je voyais les pokémons vol comme la représentation de la liberté. Libre d’aller où ils le veulent et là où leurs ailes et leur pouvoir leur permettent de les faire voyager. Cela me donnait envie de retourner voler dans le ciel avec eux, mais je devais n’abstenir pour le moment. Je ne devais pas tomber malade alors que j’avais bientôt une mission à accomplir.

Je me permis d’acquiescer à sa question concernant l’abonnement à la cantine. J’en possédais une moi-même puisque je n’avais pas beaucoup le temps de cuisiner. De plus, je ne voulais pas forcer Nikolaï à constamment cuisiner pour moi, ni Naïto, son pokémon, à le faire non plus. Puisque la nourriture était bonne, je ne voyais pas l’inconvénient à me nourrir principalement à la cafétéria.

- Oui. Cela est possible.

Je sortis ma carte d’abonnement pour la cantine de mon portefeuille et lui montrai. Je la rangeai ensuite pour ne pas la perdre. Je ne voulais pas que Kuro se mette en tête de la déchiqueter avec son bec. Il valait mieux éviter.

- Je vais m’en occuper pour vous, mademoiselle Masson.

Cela ne me dérangeait pas de payer un autre abonnement à la cantine si c’était pour aider une étudiante à bien performer en classe. Je regrettais que l’établissement en lui-même n’offre pas ce genre d’alternative aux élèves qui vivent des problèmes au niveau monétaire ou au sein de leur famille. La catastrophe d’octobre avait rendu plus d’un étudiant, orphelin.

Pour ce qui était concernant l’attitude des autres professeurs à l’égard du trop plein d’énergie de la jeune fille blonde, je ne savais pas trop comment l’aider. Être hyperactive en classe ne devait pas l’aider, mais il y avait toujours moyen de trouver des solutions à moindre coût et qui permettrait à Lydia de s’épanouir tout de même sans embêter les autres. Je me mis à réfléchir longuement, mon pouce et mon index agrippé à mon menton, concentré.

- Nous pourrions envisager de vous mettre au fond de la classe avec un bureau ergonomique qui puisse se lever et se descendre à votre guise, pour que vous puissiez choisir de suivre le cours assise ou debout. Cela ne serait possible que dans les salles de classe standard, évidemment. Les auditoriums et les amphithéâtres, ne pourraient pas contenir un tel bureau. Je ne sais pas si la direction de l’académie accepterait cela non plus.

C’était une idée, mais je ne pouvais pas en connaître le résultat final tant que celle-ci n’était pas soumise à la direction et à qui de droit. Simplement mettre mademoiselle Masson au fond de la classe aurait déjà un effet bénéfique sur le reste des étudiants qui ne serait pas dérangé par son envie de bouger constamment.

Je tournai mon oeil de cuivre, visible, sur la jolie blondinette lorsqu’elle se mit à poser des questions plus que personnelles à mon égard et celui du professeur de biologie. Je la sondai longuement sans un mot, n’affichant qu’un air impénétrable et neutre sur mon visage. Je ne savais pas du tout d’où lui sortait ces idées dans sa tête.

- …

Je ne dis rien pour le coup. Pas que je sois gêné, mais ce n’était pas de ses affaires ni même quelque chose qu’une étudiante pouvait demander à son professeur. Évidemment, mes pokémons se mirent à émettre des petits cris de joie, de bonne humeur. Eux connaissaient la vérité et ils étaient plus qu’heureux de me savoir heureux.

Le silence s’alourdissait dans la salle de classe jusqu’à ce que Pinku ne se mette à donner des coups de bec contre le verre de la fenêtre. Je m’approchai de celle-ci et lui ouvrit. Il vint directement se loger sur ma tête et je grognai. Habituel de sa part.

J’espérais que cela fasse oublier à la demoiselle ses questions impertinentes et qui ne la concernaient en rien. Ma vie privée n’allait certainement pas se raconter dans une salle de classe vide et pour seuls témoins, une jeune fille endeuillée et mes propres pokémons. Et puis, qu’est-ce que cela pouvait bien faire si j’étais en couple avec quelqu’un du corps professoral? Rien du tout. Cette discussion n’avait pas lieu d’être.

- Vouliez-vous me parler d’autre chose, mademoiselle Masson?

Mademoiselle Masson ne semble pas très convaincue que je puisse lui offrir un abonnement à la cantine pour l’année entière. J’hoche de la tête, lui affirmant de nouveau que cela est tout à fait possible pour moi de le faire. La carte serait à son nom et non au mien. De toute façon, l’établissement ne se souciait pas réellement d’où provenait les pokédollars tant qu’il en recevait. Je n’avais aucun inconvénient à payer pour que l’une de mes étudiantes puisse se nourrir adéquatement.

- Ne vous en faites pas. C’est légal.

Je n’allais certainement pas passer pour un mauvais professeur ou encore un individu sans cœur alors que je connaissais les conditions dans lesquelles vivait la demoiselle à la chevelure blonde. Je n’avais certes pas de moyens excessifs, mais je pouvais tout de même permettre à une autre personne de bénéficier de bons repas équilibrés offerts par l’académie Uxie.

Je laissai mes pokémons s’amuser avec la jeune fille, apprendre à la connaître tout en gardant un œil sur eux. Je ne voudrais pas qu’un incident se produise sous ma supervision. Ils restaient pour la plupart, de jeunes pokémons sans grand entraînement.

Nous parlons ensuite de moyens possibles pour aider la jeune dresseuse à dépenser son énergie en classe. Ce n’est pas l’idéal, certes, mais tout de même jouable sur certains points. Il fallait simplement trouver ce qui lui conviendrait le mieux et qui ne nuit pas aux autres étudiants. Ma proposition semble la laisser pensive tout comme la sienne me laisse à réfléchir. Ce n’était pas les moyens qui manquaient à l’académie, cela dit, il fallait tout de même l’approbation de la direction.

- Je conçois que cela puisse coûter une certaine somme d’argent, mais n’oubliez pas que vous vous trouvez à l’Académie Uxie. L’établissement scolaire le plus prestigieux de la Haut-Uthyrgham. Je ne crois pas que le coût sera un souci. Cela dit, que cela vienne de votre idée ou de la mienne, il est vrai que d’autres étudiants voudront certainement bénéficier des mêmes conditions que vous.

Je garde le silence un instant, réfléchissant à d’autres possibilités.

- Néanmoins, je ferai transmettre ces deux idées aux membres du conseil de la direction et peut-être trouveront-ils une solution pour permettre à leurs étudiants plus énergiques un concept de classe favorable à leurs demandes.

Je laisse couler concernant ma vie privée, m’occupant de Pinku à la place qui se réfugie sur ma tête. Merci de me décoiffer…encore une fois. Je retourne ensuite auprès de la demoiselle présentement en retenu, hochant de la tête quand elle me demande si c’est le mien. Pas besoin de mots pour l’avouer. C’est mon pot de colle attitré.

J’attends simplement qu’elle me parle de ce qui la tracasse de nouveau et Lydia ne se fait pas prier. Je garde mon attention sur elle, la fixant de mon œil de cuivre brut, l’autre caché sous ma chevelure sans attache. Je pense au bout d’un moment qu’elle a lâché prise en ce qui concerne mon intimité et ma vie personnelle, mais son discours se termine vers une assomption de sa part.

Je soupire en l’écoutant parler et secoue la tête. Elle voulait des aveux, mais cela ne la regardait en rien.

- Vous êtes une jeune fille intelligente, mademoiselle Masson. Vous savez très bien que votre majorité arrive à grands pas si ce n’est pas déjà le cas. La possibilité qu’une famille d’accueil puisse vous adopter est impossible.

Je la regarde toujours, indéchiffrable dans mon expression et les bras croisés sur mon torse.

- Je ne sais pas pourquoi vous interprétez qu’il y ait quelque chose entre le professeur Óneiros Neos et moi. Si je fais référence à mon collègue, c’est simplement parce qu’il se trouve être Champion d’arène et qu’il est sensible à la relation entre humain et pokémon.

Je ne comptais pas mettre Nikolaï dans l’embarras et éluder la vérité sous une autre vérité ne pouvait pas faire de mal. Cependant, si la demoiselle insistait davantage, je n’aurais d’autre choix que de la rappeler à l’ordre de manière plus directe même je ne le voulais pas.

- Je vais vous chercher une autre feuille questionnaire. Faites de l’exercice en attendant. Cela ne prendra que quelques secondes, une minute tout ou plus.

Je me détournai et retournai à mon bureau chercher ce dont j’avais besoin. Le papier en main, je revins vers elle et le déposai sur son bureau.

- Faisons un marché. Répondez à la première question et je répondrai à votre prochaine question qu’elle soit personnelle ou non, mais qui ne concernera que moi et uniquement moi. C’est compris?

Je suis réellement soulagé de voir que Lydia se sent beaucoup mieux. Elle s’extasie pour un rien, éclate de joie pour autre chose, mais c’est bien mieux que des larmes et de la rage. Les gens ne comprennent pas bien souvent que le rôle d’un professeur est en partie celui d’écouter ses élèves et de les épauler dans les plus dures épreuves. Enfin, tant qu’ils ne sont pas encore diplômés et même encore…

La demoiselle qui se trouvait dans cette salle de classe avec moi n’avait plus de parents, plus de modèle auquel se fier, ni même pu dire au revoir aux êtres chers. Ce n’était plus une gamine, mais pas non plus une jeune femme encore. L’orpheline n’aurait pas dû perdre sa famille aussi jeune, personne ne méritait cela.

C’est pourquoi de voir son enthousiasme, sa joie et l’éclat d’excitation dans son regard expressif me rendait fier d’être son enseignant. J’étais fier de pouvoir l’aider dans un moment comme celui-ci où personne ne semblait arriver à la comprendre. Avait-il simplement prêté l’oreille à ses envies, ses pensées et son chagrin? Nullement, je suppose. Pour ma part, je ne faisais que cela, l’écouter et lui démontrer tout mon soutien.

Je sentais une pointe d’anxiété tout de même venant de sa part, mais ce n’était que parce que mademoiselle Masson n’était pas certaine que je puisse lui fournir une aide quant à son trop plein d’énergie. En tant que son professeur d’histoire ancienne, je savais combien il était important de la faire bouger. Je le vivais continuellement dans mes cours. Je tentai de la rassurer au mieux de mes capacités sociales et émotionnelles et donc, avec rationalité.

- Je vous ferai part de leur décision lorsqu’elle sera rendue. Ne mettons pas le chariot avant les tauros, voulez-vous bien mademoiselle Masson?

Concernant la parentalité, je n’avais jamais envisagé devenir père. Mes pokémons me suffisaient amplement. Mon partenaire actuel ne désirait pas d’enfant tout comme moi alors, nous n’avions pas besoin de plus que de nos diverses créatures. J’écoutai néanmoins ce que la petite blonde avait à dire et je sus que j’avais vu juste au final. Elle voulait avoir un modèle à suivre même après son passage à l’âge adulte.

- Je comprends.

Je n’avais rien d’autre à ajouter. C’était logique tout simplement.

Puis, elle se mit à me parler de rumeurs et je fronçai les sourcils légèrement. Je ne savais pas du tout de quoi il était question. Les rumeurs et les ouï-dire ne me faisaient pas peur. J’en vivais constamment. Quelqu’un avait créé une rumeur selon laquelle j’étais nudiste. Or, ce n’était pas du tout exacte. Peu pudique, certes, mais pas complètement nudiste non plus. Jamais je n’irai me mettre nu dans un lieu public qui ne l’acceptait pas.

- Les gens aiment parler de ce qui ne les concerne pas. Si je devais écouter chaque rumeur qui me concerne, je n’aurais plus aucune confiance en moi et je serais certainement devenu fou.

Parce que bon, les trois quarts du temps, une rumeur n’était pas élogieuse vis-à-vis de l’individu qui la subissait, bien au contraire. C’était presque toujours péjoratif et négatif.

Enfin, j’étais posé et calme contrairement à la demoiselle en face de moi. Nous étions en pleine retenue et donc, avec professionnalisme, je lui demandai de reprendre son questionnaire. J’avais apporté un petit côté ludique à celui-ci pour qu’elle ait envie d’y répondre. La sachant plus que curieuse sur tout et n’importe quoi, ce ne fut pas difficile de la convaincre de répondre à la première question.

- Faites donc.

Je la laissai faire et lorsqu’elle eut terminé, j’allai lire ce qu’elle avait répondu tout en écoutant sa question. Cela ne concernait pas Nikolaï, mais cela restait tout de même du domaine privé. Je posai mes yeux cuivrés sur la demoiselle à la chevelure blonde et j’inspirai avec sérénité avant de lui répondre.

- Oui. Je suis en couple.

Ce n’était pas à proprement parlé la réponse directe à sa question, mais Lydia pouvait interpréter le oui comme elle l’entendait. Savoir si la personne dans ma vie était homme, femme ou non-binaire n’avait aucune importance en soi. L’amour n’avait pas de genre disait-on et je le pensais moi-même.

- Répondez maintenant aux autres questions. Vous êtes sur la bonne voie pour une réussite de ce questionnaire. Votre première réponse est parfaite.

Encourager ceux et celles qui en ont besoin était aussi nécessaire pour le développement de chaque étudiant. Je n’étais pas spécialement avare de compliments, mais, il fallait tout de même les mériter.

Mademoiselle Masson semble aller de mieux en mieux et cela me satisfait en tant que professeur et modèle d’autorité et de soutien. Je peux comprendre que cela soit difficile pour elle ce qui se passe dans sa vie, la perte de ses parents et les épreuves qu’elle vit présentement et à venir. Je sais écouter, interpréter et poser des idées et des solutions qui peuvent l’aider dans son cheminement scolaire. Pour ce qui est du domaine personnel, je ne suis malheureusement pas outillé pour cela. Un thérapeute, un psy ou même un psychiatre serait plus en mesure de lui donner les outils pour aller mieux mentalement et émotionnellement.

Néanmoins, je suis présent pour elle et j’assume ses critiques, ses états d’âme, ses éclats comme ses peines. Je suis une oreille attentive à son besoin d’être entendu et écouté. Maintenant, elle sourit, rigole même et s’applique à répondre au questionnaire que je lui ai remis. Je ne lui demanderai jamais la perfection, personne ne l’est. Je veux simplement des mots sur le papier et qu’elle s’applique au mieux de ses compétences. Je veux par ce fait, m’assurer que son niveau ne décline pas à comparer au reste de la classe.

Nous en sommes à parler de rumeurs et je ne cache pas ce que j’en pense réellement. Je tends l’oreille à sa propre vision de la chose et j’acquiesce tout de même à ses propos. Mon étudiante m’affirme donc qu’elle n’ira jamais commérer ce qui est faux, mais en est-elle réellement sûre et certaine au final? Toute vérité n’est pas faire pour être dite par des mots et le silence est maître de sagesse. Je le comprenais moi-même de plus en plus avec le temps.

Je pouvais être blessant et cruel avec mes mots, mais j’apprenais petit à petit faire attention lorsque nécessaire. Cela m’échappait encore, mais je m’améliorais tout de même.

- La recherche de la vérité est un chemin fastidieux qui demande parfois temps et sacrifice. Je doute que vous ayez autant de patience que cela en vous, mademoiselle Masson. Votre envie de bien faire est louable cependant. Je vous l’accorde.

J’hausse un sourcil lorsqu’elle me dit que sa question était à développement et qu’elle me mettait zéro pour la réponse que je lui avais donnée. Aucunement, il n’avait été question de développement et je lui fis comprendre assez rapidement.

- Votre question a été formulé de sorte qu’elle ne puisse être répondu que par un oui ou un non. Il n’y avait strictement aucune manière d’en faire une question à développement. Vous auriez pu demander par exemple À quoi ressemble votre vie amoureuse ou bien comment qualifieriez-vous votre vie de couple si vous en avez une? Ce genre de questions.

Même en dehors de mon domaine d’enseignement, je faisais leçon. À force, mes élèves me connaissaient assez bien pour cela. J’esquisse un bref sourire en coin à sa prochaine question orale alors que sur papier, elle avait répondu complètement hors sujet. Là, nous pouvions parler d’une question à développement!

Je me mis à réfléchir quelques instants, puis j’entrouvris les lèvres pour parler.

- Je me suis rendu compte qu’à un certain moment, mes sentiments pour lui avait changé. J’avais envie d’être auprès de lui, de le rendre heureux et que peut-être, je pouvais être réellement cette personne. J’ai pris du temps à comprendre l’étendu de mes sentiments à son égard, mais je ne le regrette pas. Ma vision de cette personne c’est adouci et les émotions conflictuelles que j’avais au fond de moi se sont révélés au grand jour après mûres réflexions et introspections.

Chaque individu vivait l’idée de tomber amoureux de manière différente. Celle-ci c’était en partie la mienne. Je n’allais pas entrer dans les fins détails, mais c’était ma propre vision de la chose, de cet état d’esprit qu’était d’être en amour, amoureux d’une autre personne. Dans mon cas, c’était réciproque, mais il pouvait arriver que malgré tout, ce ne soit qu’à sens unique. Ce n’était pas tout le monde qui tombait amoureux. Certains n’en ressentent jamais le besoin ou le déclic et c’était très bien ainsi aussi.

- Continuez votre questionnaire. Il ne reste plus beaucoup de temps à votre retenu puisque nous bavardons et que le temps file.

Mes pokémons sont assez sages, restant tout de même auprès de la demoiselle à la chevelure blonde, servant visiblement de support moral. Il n’y avait que Pinku qui restait sur ma tête et gazouillait de bonheur.

Ma relation élève et professeur entre mademoiselle Masson et moi pouvait paraitre intrigante à un regard extérieur sur le coup. J’étais installé au bureau en face du sien, assis dessus même et nous discutions entre personnes sur un même pied d’égalité. Cela ne paraissait plus du tout que nous étions en pleine retenu. Je ne m’en faisais guère pour ce qui était des regards indiscrets. Personne n’allait fureter dans les salles de classe à cette heure-là.

Je me permis de commenter certains sujets et la petite blonde de répliquer et argumenter. C’était intéressant et son point de vue n’était pas désuet ou inutile, loin de là. Chaque individu avait le droit à sa propre vision d’un sujet, d’un aspect de la vie ou de quoique ce soit qui puisse se discuter sans préjudice. J’esquissai même un léger sourire en coin à son commentaire vis-à-vis du type de questions que nous pouvions retrouver dans un questionnaire.

- Il est certain que dans ma matière, un oui ou un non n’est pas très indicateur de la compréhension du sujet. Je ne ferai plus cette erreur, mademoiselle Masson.

Évidemment, mon ton n’était pas aussi sérieux qu’à l’habitude. Il était même presque amusé ce qui témoignait de mon relâchement soudain face à ma froideur et mon inexpression coutumière. Je devais avoir l’air d’une toute autre personne, mais je ne m’en cachai pas. À quoi bon? Je restais tout de même maître de mon autorité dans cette salle de classe et si quelque chose dérapait au niveau de notre discussion, je pouvais ramener Lydia à l’ordre en un instant.

Mon étudiante se met à réfléchir sur ses propres sentiments amoureux une fois que j’eus expliquer ma vision de l’amour, de ma perception de l’amour et de l’affection que je portais pour mon amoureux. Réfléchir sur soi était toujours bénéfique et le fait qu’elle puisse assurer ne rien ressentir pour qui que ce soit pour le moment était une révélation pour elle. Évidemment, cela pouvait changer avec le temps. Les émotions et les sentiments n’étaient pas immuables. Ils changeaient, se déformaient. J’en avais bien conscience moi-même.

- Cette introspection vous fait déjà beaucoup grandir, mademoiselle Masson. Continuez sur cette voie et ne vous fiez jamais aux mots des autres pour vous définir. Vous êtes la seule capable de savoir qui vous êtes et ce que vous ressentez tout au fond de vous.

Pinku piaille sur ma tête et il finit par battre des ailes avant de s’envoler pour aller se lover dans mes bras. Je lui caresse délicatement le dessus du crâne et pose mon seul œil cuivré visible sur la belle et sa copie. Elle se met à répondre aux questions restantes quand je lui demande de le faire même si elle ne semble pas trouver important de rester dans les temps vis-à-vis de la retenue. J’imagine que notre conversation lui donne un sentiment de sécurité, d’importance et qu’elle se sent enfin écouté et comprise par un adulte.

Puis vint les questions qu’elle me réservait. Une bombe de questions plus personnelles les unes que les autres. Elle semblait encore une fois chercher à savoir si mon petit ami était bel et bien le professeur de biologie pokémon et champion de Tôkan. Je soupirai et me passai une main dans les cheveux en toisant la demoiselle à la chevelure de blé.

- Vous voulez vraiment aller sur ce sujet n’est-ce pas?

Je cherche mes mots avant de poser mon regard sur mes autres pokémons, puis de retourner sur la copie du questionnaire. Je discernais quelques-unes de ses réponses. Pas mal, mais peut faire mieux.

- Je ne vis pas avec lui, non. Notre relation n’est pas encore très développée, mais nous évoluons à notre rythme. Ni lui, ni moi ne cherchons à presser l’autre pour quoique ce soit et nous avons un certain respect mutuel pour notre relation amoureuse et nos personnes.

Je me tais quelques secondes et pose mon orbe de cuivre dans le regard pétillant de curiosité de Lydia.

- Nous ne venons pas travailler ensemble puisque nos horaires ne sont pas les mêmes. Si je dois terminer à l’heure c’est parce que j’ai quelques-uns de mes pokémons à visiter et entretenir. En tant qu’adulte, mon compagnon et moi n’avons pas besoin d’attendre l’autre pour vivre. Nous sommes tous les deux indépendants.

Mes réponses pouvaient laisser croire que mon partenaire de vie se trouvait à travailler à Uxie comme moi, mais je ne donnais pas plus de détails pour corroborer cette futile rumeur ou non. Si elle voulait la vérité, elle pouvait toujours la demander directement à Nikolaï. Moi, je ne dirai rien qui puisse l’embarrasser.

Je regardai l’heure et me relevai en déposant Pinku sur le bureau. Je rappelai mes pokémons à leur balle respective, exception faite de mon Tylton rose et blanc. Il gazouillait sur le pupitre, heureux comme un roi d’avoir pu être dans mes bras quelques instants.

- Je vais reprendre cette copie maintenant. Vous avez fait des progrès. Je suis fier de vous, Lydia.