Uthyrgham. Ce n’était pas la première fois que je foulais ses rues goudronnées et son atmosphère lourde et étouffante. J’avais dû résider dans la Haute-Uthyrgham pour quelques séances de photoshoot et d’acting pour la promotion d’une série ou d’un film. Je n’y étais pas resté plus que quelques jours avant de retourner chez moi, à Véronèse. Je n’avais pas eu le loisir de visiter la ville, ni ses quartiers. À l’époque tout comme récemment, j’avais un agenda plutôt chargé et peu de temps à consacrer à un peu de liberté.

Maintenant, c’était différent. Ma carrière d’acteur était sur pause. J’allais vivre de nouvelles aventures à l’académie Uxie et me faire des amis. J’allais avoir une vie plus près de la normale comme celle d’un-e adolescent-e de mon âge.

J’étais vêtu-e d’un pull rose pâle et vert menthe, décoré de cœurs et autres accessoires symétriques, d’un pantalon aux mêmes couleurs et qui en fait, faisait parti de la combinaison, d’un manteau rose foncé grand ouvert descendant sur mes omoplates et de souliers sports s’agençant parfaitement au look que je voulais me donner. Décontracté et explosif. J’avais attaché mes cheveux et j’avais visé une casquette sur ma tête. Rose elle aussi, évidemment.

Je déambulais dans les rues de la banlieue, les mains dans les poches de mon manteau. N’ayant pas voulu que mon garde du corps m’accompagne, j’étais seul-e comme une grande personne. Aucun chaperon, aucune limite que celles que je m’imposais à moi-même. Il y avait du monde ici et là et parfois, on me regardait bizarrement. J’imagine que ce n’était pas tous les jours qu’une adolescente comme moi se promenait toute seule dans la banlieue. Je devais faire touriste, mais qu’importe.

Un regard intense dans mon dos me fit frisonner des pieds à la tête. Je reconnaissais ce regard et une boule d’angoisse commença à se former dans mon ventre. C’était plutôt facile pour moi d’éviter ce stalker, à Véronèse, mais ici…je ne connaissais pas l’endroit. Ni les raccourcis, ni les culs-de-sac…rien.

Je me mis à avancer plus rapidement jusqu’à ce que mon regard rose clair se pose sur une boutique de fleurs. Je ne réfléchis pas vraiment à mes prochaines actions, pénétrant à l’intérieur pour m’éviter plus de tracas. Je n’aimais pas du tout être suivi et me sentir suivi. Ça arrivait de plus en plus fréquemment et même ici, maintenant. J’avais très certainement un fan ou une fan beaucoup trop impliquée dans mon fanclub…

Je soupirai de soulagement en refermant la porte derrière moi et relevai mon joli regard clair sur la panoplie de fleurs et de plantes se trouvant dans la boutique. Je tournai la tête vers le vendeur lorsqu’il m’interpella. Je n’avais pas vu son Poussacha, une chance pour moi, surtout s’il restait loin de moi.

- B…Bonjour. J’ai vu votre boutique et elle m’a interpellé. Je suis nouvelleau dans le coin et puisque j’aime les fleurs, je me suis dit, pourquoi pas?

Je me mets à faire quelques pas pour m’approcher de certaines fleurs que je trouve particulièrement jolies. Je les connais. Mon doigt va caresser délicatement l’un des pétales.

- Lilium x hybridum communément appelé Lis asiatique…elles sont magnifiques.

Je me passionnais pour le jardinage et les fleurs. Je n’avais jamais pu faire étale de ma passion chez moi à Atara, mais ici…peut-être bien qu’ici…j’aurais la possibilité de le faire.

- Dites-moi…est-ce que vous engagez? Je suis étudiant à Uxie et je serais plus qu’heureuse de pouvoir donner de mon temps dans une boutique de fleuristes comme celle-ci. Je peux donner mes soirs et mes weekends.

J’observais l’homme face à moi avec de l’espoir dans les yeux. Juste pour une fois me détourner de ce que voulait ma mère et mon père pour faire ce que je voulais, moi.

- S’il vous plait?

La première impression que je me fais de cet homme en face de moi c’est qu’il est excessivement bavard. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais disons qu’il ne doit pas aimer le silence. Peut-être aussi aime-t-il le son de sa propre voix? Je n’en sais rien. Je l’écoute avec attention et lui fait un petit sourire. Il semble bien que ce fleuriste tente de me vendre des fleurs. C’est son travail après tout.

- C’est bien dommage pour les fleurs kalahariennes. Elles sont si belles et colorées surtout en saison estivale.

Je pose le regard pour la première fois sur le Poussacha qui est assis sur le comptoir et j’ai un frisson qui me traverse le corps tout entier. Je lui fis un léger signe de la main, un peu tendu-e. Si je n’ai pas besoin de m’approcher du comptoir, ça devrait aller. C’est tout de même mignon que ce pokémon s’appelle Cactus. J’aurais vu un Cacnea ou un Maracachi s’appeler Cactus.

- Pourquoi est-ce qu’il s’appelle Cactus?

J’étais tout simplement curieux-se de connaître la réponse.

Je tourne de nouveau mes yeux rose clair sur la seule autre personne dans la boutique et je lui souris avec un peu plus de franchise et de conviction. Mon regard glissa sur les fleurs devant moi et je les observai avec tendresse.

- Je n’ai jamais eu la permission d’aller jouer dans le jardin, ni même de jardiner à vrai dire. Tout ce que je sais des plantes et des fleurs proviennent des livres et de mes longues observations par les fenêtres de ma maison.

Je relève mes orbes couleur fleur de cerisier sur le vendeur et je me reprends, ramenant ma main près de mon corps.

Je ris en l’entendant me décrire comme un ange et je secoue naturellement de la tête. Non. Je ne suis pas un ange et bien loin de l’être. Les anges sont libres et proviennent des cieux, moi, je ne suis le fruit que d’une union profitable entre deux individus d’envergure. Le fait que le fleuriste mentionne que je suis un bourgeois venu de la Haute me le confirme.

- Je suis à moitié Bedwyrois-e et je suis aussi Ataréen-ne. Je n’aime pas que l’on me qualifie de bourgeois alors que vous ne me connaissez pas. Je ne suis qu’un-e adolescent-e normale.

Je ne baisse pas la tête, observant l’individu face à moi. Il ne devait pas penser à mal, mais souvent les gens m’associaient à une fortune que je ne possédais pas. Ce n’était pas moi lea détenteur-trice de cet argent, mais mon père et ma mère. Enfin, même l’argent que je gagnais en tant qu’acteur était géré par eux puisque je n’étais pas encore majeure.

- Néanmoins, je suis prêt à mettre tous les efforts pour travailler ici. Les cours en ligne ne me font pas peur.

Et puis, l’apprenti-fleuriste me parle de le suivre derrière le comptoir. Le problème est que le Poussacha EST sur le comptoir. Je commence déjà à anticiper ma propre réaction et les sueurs froides à venir. Je m’approche un pas après l’autre en cherchant le moyen de passer derrière le comptoir en étant le plus loin possible du pokémon félin.

- J…J’arrive…monsieur…

Petite panique intérieure, mais je finis par passer alors que le Poussacha a les yeux fermés en train de bailler. Je soupire et me rapproche de l’homme pour m’éloigner de la créature de type plante.

- Quel formulaire dois-je remplir déjà? Je ne suis pas pressé-e, moi non plus. Je ne commence pas les cours avant un petit moment. Le temps de m’installer proprement au dortoir du pensionnat à Uxie.

En y repensant comme ça, il se peut que je sois légèrement dans sa bulle, mais bon…le Poussacha m’effraie plus que d’être trop près d’un individu que je ne connais pas. Ma logique parfois me faisait entièrement défaut. Coupable.

- Je m’appelle Azure…Azure Lodmer. Enchanté-e d’avoir la possibilité de travailler avec vous, monsieur.

Cet homme s’ouvrait assez facilement sur sa vie et ses anecdotes d’enfance. J’étais à la fois étonné-e et ravi-e. Ma curiosité était satisfaite et je souris franchement. Je n’allais pas le dire à qui que ce soit. Juré! Je n’étais pas un cafteur ou une personne qui allait rapporter les agissements des autres. Ça ne me concernait pas. Si les gens voulaient prendre des risques, c’était tant mieux pour eux. Moi, je voulais simplement être libre. Les risques, ça serait peut-être pour plus tard. Je ne sais pas.

- Ne vous en faites pas. Je garde ce secret pour moi. Juré!

Je souris avec bonne humeur et lui serrai la main. Ma poigne n’était pas très forte, mais pas trop faiblarde non plus. Je dirais plutôt moyenne. Oui, c’était ça.

- Je n’ai jamais vécu à Bedwyr. Mon père y possède une entreprise, y réside la majorité du temps, mais moi, je vivais à Véronèse jusqu’à tout récemment. J’avoue que je préfère la richesse culturelle à la richesse matérielle. Ce sont les souvenirs qui rendent heureux, pas les pokédollars. Enfin…c’est comme ça que je conçois le monde pour le moment.

Ensuite, nous discutons de ma possible embauche. L’autre homme semble très enthousiaste et je me sens excité-e moi-même. Si j’avais la moindre chance d’avoir ce boulot d’apprenti et de pouvoir me faire de l’argent de poche et de l’expérience avec les fleurs, j’allais être aux anges, vraiment!

Nous nous entendons quand même bien, mais il est rare que je ne m’entende pas avec quelqu’un. Je suis assez facile à vivre et je ne crée jamais de commotion.

- Oui, c’est bien moi. Je ne peux rien vous cacher, Salomon.

Je souris un peu rireur-se face à son petit sous-entendu qui n’en était pas un et je pris place devant l’écran pour inscrire mes informations générales.

- Lorsque vous deviendrez fleuriste dans quelques mois, je reviendrai à la charge avec mon monsieur. Soyez prêt, Salomon. Ça va peut-être pincer un peu le moment venu.

Je rigole et pouffe de rire avant de tourner la tête vers l’homme et son Poussacha dans les bras. Ils sont près, très très près même. Je déglutis et frémis sentant tous les poils de mon corps se hérisser comme l’aurait fait les poils de la queue d’un Skitty. Je me sens un peu plus mal à l’aise d’un coup et mon corps se crispe en me décalant un peu plus sur le côté.

- Il est très adorable, oui, mais…je ne suis pas à l’aise avec les pokémons…désolé.

C’était connu que j’avais peur des pokémons, mais ce n’était pas tout le monde qui était au courant de ce fait. Je terminai de remplir la fiche et me reculai.

- Avoir une célébrité qui travaille à temps partiel ici risque de faire augmenter les ventes. Je dis ça, je dis rien. Je ne vais pas me cacher, ce serait bête de le faire de toute façon.

Je jetai un coup d’œil sur l’apprenti kalaharien et son pokémon de type plante.

- C’est votre seul pokémon où vous en avez plein? Je n’en ai pas et c’est très bien comme ça. Je sais qu’à Bedwyr, ce n’est pas bien vu de posséder un partenaire pokémon et ma famille n’est pas friande de ça non plus.

- J’aimerais bien m’entendre avec vous, oui. Ce serait dommage que ce ne soit pas le cas après toutes les confidences que vous me faites depuis mon entrée dans cette boutique.

Je ris un peu, souriant-e et de bonne humeur. Je ne pensais plus du tout à ce qui m’avait suivi dans les rues de la banlieue ni même à mes angoisses personnelles de la vie courante. J’allais débuter une nouvelle vie et m’amuser comme le ferait tout adolescent de mon âge. J’allais avoir un emploi étudiant d’apprenti, travailler et me faire de l’argent et dès mes dix-huit ans, j’aurai accès à mon propre compte en banque. Je pourrai alors faire ce que je veux et avoir le contrôle sur ma vie.

Je souris avec compassion et douceur face aux aveux de l’homme d’origine kalaharienne. Je comprenais qu’il puisse vouloir de l’argent pour s’octroyer un peu plus que le strict minimum. Avoir besoin de confort et de penser aux autres, c’était humain après tout. Quand je me serai fait des amis, je pourrai leur faire des cadeaux moi-aussi et me faire toutes sortes de souvenirs géniaux aussi.

- Vous avez raison. Ce sera possible quand vous serez fleuriste, je suis certaine de ça.

Nous dévions encore une fois de sujet où plutôt, Salomon s’intéresse à ma personne et à mon opinion sur ma filmographie. Je me mets à réfléchir quelques instants. Certains films et certaines séries, je ne m’en souvenais pas vraiment, étant trop jeune à l’époque. Les autres, ça allait.

- J’ai aimé jouer dans "Demain, nous serons heureux". Ce n’est pas une série très connue et moi-même je n’étais pas très connu-e à l’époque…j’avais sept ans je crois. Je ne sais même pas si vous connaissez…

Je me mis à rougir un peu d’embarras. J’avais pris de la popularité avec le film "Murmure des Ponyta" quelques années plus tard, dans mon début d’adolescence. La série dont j’avais parlé n'avait eu que deux saisons de 8 épisodes chacune.

Je me sentais timide tout d’un coup de me révéler comme ça. Pourtant, je n’avais rien à cacher et ce n’était pas la première fois que l’on me posait cette question. Habituellement, c’était lors d’interview et j’avais un script de déjà mémorisé en tête. Encore un rôle à jouer pour ne pas décevoir.

- Ce n’est pas grand-chose…sérieusement…

Puis, je sentis les mains de l’apprenti fleuriste sur mes épaules et relevai mes yeux couleur fleur de cerisier vers ses propres orbes colorés. Je clignai des yeux avant de pouffer de rire sans pouvoir m’en empêcher. Je retrouvais un sourire lumineux sur mes lèvres, amusé-e.

- D’accord! D’accord! Je vais te tutoyer, mais ce n’est pas ma faute si tu as des cheveux gris, des courbatures et l’apparence d’un homme de quarante ans! Ahahah!

Je le taquinais, n’en pensant pas le moins du monde, en vérité. Il faisait son âge, Salomon et il semblait quand même en forme, enfin, je crois? Je ne connaissais pas ses antécédents et ce n’était pas non plus de mes affaires. En vrai, je me disais qu’il devait avoir dans la trentaine.

- Si je peux aider à rendre cet endroit encore plus chaleureux et charmant pour les gens d’ici et d’ailleurs, je le ferai. Tu peux compter sur moi, Salomon.

Je crois que nous créons réellement un lien, lui et moi. Nous nous entendons bien, nous arrivons à discuter de divers sujets sans se prendre la tête et je me surprends à avoir de l’audace et de la taquinerie avec l’apprenti. Je me sens à l’aise en sa présence et j’ai l’impression de ne pas avoir besoin de couverture ou de double-jeu pour être apprécié-e à ma juste valeur.

Je vois son pokémon de type plante garder ses distances avec moi et cela me rend plus sereine. Il comprend mon besoin de recul et ma crainte vis-à-vis de lui. Salomon me le confirme. Je fais un léger sourire timide au pokémon félin et écoute l’ex bourgeois me parler du Milobellus de son copain. J’ouvre de grands yeux effarés.

- J’imagine parfaitement la scène…! Wouah…! Cette créature est si intimidante et énorme de ce que j’ai pu lire dans un livre! J’aurais pris mes jambes à mon cou si ça avait été moi! Sérieusement!

Je ris un peu et tourne la tête vers le Poussacha de Salomon qui va gratter à la porte. Il va lui ouvrir et le laisse sortir. Cependant, un truc en profite pour se glisser à l’intérieur et se cacher derrière des pots. Je sens d’un coup que cette chose me toise avec insistance et je frémis.

- Hm…Je ne l’ai pas dit au début, mais…si je suis rentrée ici en premier lieu, c’était pour semer quelque chose qui me suivait…par contre…je ne sais pas du tout ce que c’est. Juste…tu sais…quand tu te sens continuellement épié…ça fait peur…

Je reste près de Salomon au cas où. De toute façon, je sais que Cactus pourra nous sauver si ce qui se cache dans la boutique nous veut du mal, pas vrai?

Je tourne la tête vers Salomon, inquiè-te quand même.

- J’ai cette impression d’être épié-e depuis quelques temps déjà…et ça se passait à Véronèse, il y  pas plus tard que le mois passé…et même avant ça, je crois…

Du bruit se fit entendre derrière les pots en plus d’un grognement agacé alors que la créature sortait sa tête de derrière sa couverture de céramique pour m’observer. Nos regards se croisèrent et il sursauta en criant de surprise. Je criai aussi. La honte.



- Ahhh!

Je suis heureux-se que Salomon m’écoute malgré ma gêne de parler de moi en toute intimité et sans la chaleur des projecteurs et le brouhaha des paparazzis. C’est différent, mais pas désagréable du tout, en fait! Comme il me parle un peu de lui, beaucoup même, m’ouvrir à lui sur certains sujets personnels me semble tout à fait juste et équitable. Rien de trop personnel non plus, mais ma filmographie reste tout de même un sujet assez intime. Surtout si on aborde les émotions, le positif et le négatif de mon vécu à travers chaque film et série où j’ai pu jouer.

Je ne suis pas surpris-e quand l’apprenti fleuriste me dit ne pas connaître. J’esquisse un léger sourire et hoche simplement de la tête. Je n’allais pas me priver de lui en parler davantage dans ce cas. Sa curiosité allait être satisfaite, je crois.

- C’est une série dramatique sur l’évolution d’une famille lorsque la veuve et mère de cinq enfants tombent gravement malade. Chaque enfant doit alors apprendre à vivre au quotidien avec leur figure maternelle qui ne peut plus subvenir à leurs besoins. Je jouais l’avant-dernier enfant de la famille.

Ce n’était pas nécessairement une série très heureuse, mais j’avais trouvé beau l’évolution de tous les membres de la famille et leur lien se renforçant de jour en jour pour arriver à tenir bon, à aider leur mère malade et trouver l’argent pour la soigner. Deux saisons avaient été suffisantes pour faire le tour de ce petit univers familial et contextuel. J’avais pu incarner l’essence même de l’enfance croulant sous des problèmes humains de la vie courante. Une réalité que je n’aurais jamais vécu chez moi, sous la surveillance de ma gouvernante et en tant qu’enfant unique, de surcroit.

- J’espère que tu n’as pas l’âme trop sensible. Ça pourrait te faire verser quelques larmes.

Je me mets à rire quand Salomon fait le bouffon avec une cisaille et je tire la langue, taquin. Je me sens déjà bien accoutumé-e à sa présence et c’est comme si c’était naturel en fait. Je vois devant moi un être humain tout à fait banal qui vit certainement sa meilleure vie ou presque. Je l’enviais de ne pas crouler sous la pression et sous l’ambition de ses parents. À ma majorité, j’allais faire ce que je voulais. Peut-être pas une grosse rébellion, mais j’allais au moins être lea maître-sse de ma propre existence. J’allais aussi pouvoir jouer dans les films et les séries que je voulais et quand j’en aurai l’envie. J’allais façonner ma propre image.

J’avais un sourire éclatant sur les lèvres et le regard brillant d’amusement. Je fais mine de réfléchir quand l’homme d’origine kahalarienne me demande quel âge je lui donne. Je ne cherche pas trop à le faire attendre, mais c’est plus fort que moi. Je laisse planer le suspense jusqu’à ce que j’entrouvre les lèvres pour répondre, tout sourire.

- Une trentaine d’années! Plus près du trente-deux en réalité.

Après l’amusement vint la frousse et l’angoisse chez moi. Un pokémon était entré dans la boutique et j’étais sûre et certain-e de reconnaître ce regard insistant sur ma personne. C’était le même qu’à Véronèse. Salomon tentait de plaisanter pour alléger l’atmosphère, mais moi, j’avais peur. C’était peut-être un pokémon sauvage ou le pokémon de quelqu’un voulant me kidnapper ou me brutaliser? Je préférais rester prudent-e et laissai l’adulte dans la pièce se rapprocher, moi, bien en sécurité derrière le comptoir.

J’avais crié en voyant le Tortipouss et lui-même avait eu un cri de surprise en me voyant. Il s’était aussitôt recaché derrière les pots en céramique sur le sol. L’apprenti fleuriste le trouvait trop mignon, mais moi, il m’angoissait énormément, ce pokémon.

- Tu es certain qu’il est inoffensif? Je suis certaine que c’est ce pokémon qui me suit partout! Ce n’est pas drôle du tout…je suis sérieux-se!

Je frémis alors que je l’entends vagabonder dans la boutique, s’échappant à la vue de l’autre homme et de ma personne. J’ai envie de grimper sur le comptoir, mais je me retiens de justesse de le faire. Je déglutis en balayant l’espace des yeux.

- Il est passé où? Est-ce que tu le vois, Salomon? Je devrais peut-être…me mettre en hauteur…je ne sais pas?

Je sens quelque chose me frôler la jambe et je cris en allant directement me réfugier derrière l’homme à la chevelure parsemée de gris et de vert. Je serre son haut entre mes doigts, inquiet et effrayé-e.

- Quelque chose m’a frôlé la jambe!

En vrai, ce n’était que les feuilles d’une plante, mais je m’en foutais royalement. Être dans un endroit clos avec des pokémons me donnait beaucoup d’anxiété.

Le Tortipouss finit par réapparaître tout près du Poussacha de Salomon, penchant la tête sur le côté alors qu’il devait voir ce spécimen de pokémon pour la toute première fois. La feuille sur sa tête se mit à frétiller légèrement et le pokémon se mit à sautiller sur place, amical.



- Tu crois que ce Tortipouss veut ma mort? Il a peut-être l’air mignon et inoffensif, mais je suis sûre qu’il peut être violent et dangereux…

J’exagérais certainement la réalité, mais c’était surtout ma peur qui parlait et non la raison.

J’esquisse un petit sourire quand Salomon me parle de sa grande sensibilité sans l’étaler au grand jour, mais avec panache quand même. Je comprends que le thème du drame ne plait pas à tout le monde et c’était très bien comme ça aussi. Il y avait des genres pour tout et n’importe quoi après tout. Ce que j’appréciais du drame c’était l’aspect psychologique qui venait souvent de paire avec la tragédie. Une évolution des personnages et de leur environnement.

C’était bien de pouvoir parler avec quelqu’un qui ne me prenait pas la tête et qui ne se prenait pas la tête aussi. Juste être naturel, sans artifice et pouvoir blaguer sans que cela ne passe pour une critique ou du superficiel. Je me sentais libéré-e en sa présence. J’adorais la sensation de ne rien avoir à craindre, qu’on n’allait pas prendre tous mes mots pour les inscrire dans un journal ou sur le web. J’avais l’habitude des paparazzi, mais je supportais, c’est tout.

- Malheureusement pour toi, l’anti-cerne n’est pas un remède miracle comme la fontaine de jouvence. Tu vas quand même rester vachement vieux en-dessous de toute cette crème. Autant oublier l’idée et assumer ton âge.

Je rigole bien avec lui, mine de rien. Je me laisse aller à blaguer et à dire des bêtises et j’adore ça. Enfin, jusqu’à ce que nous soyons dérangés par un pokémon sauvage qui s’était introduit dans la boutique de l’apprenti-fleuriste. Je galère à rester calme, en fait, je n’y arrive pas du tout et j’ai l’air d’un-e ado en pleine crise de nerfs et de panique. J’ai peur oui, vraiment, je suis terrifié-e!

Salomon tente de me rassurer, mais je n’écoute pas vraiment. Je me fais peur à moi-même avec une pauvre plante et je me retrouve derrière l’homme. J’avais vraiment eu dans l’idée de grimper sur le comptoir, mais son commentaire vis-à-vis de possible clients m’avait convaincu de ne pas le faire. La honte quoi.

Son histoire de premier pokémon était quand même mignonne, mais contrairement à lui, moi, je n’en voulais pas de pokémon! Aussi bien le lui faire comprendre tout de suite, non? Enfin, je n’ai pas le temps de lui répondre que le Tortipouss réapparait et fait connaissance avec le Poussacha de l’employé et l’homme, lui-même.

Je recule pour ne pas m’approcher alors que les grands yeux du pokémon se posent sur moi. Je frémis et je prends une grande respiration. Il semble ignorer les propos de Salomon qui est même prêt à l’adopter si je n’en voulais pas.

Nos yeux se croisent et je sens mon pouls s’accélérer. Le Tortipouss commence à trotter vers moi et je recule de plus en plus en mettant mes mains devant moi en signe de défense.

- Oh non…non, non, non…! N’approche pas…! Non…!

Je finis adossé-e au comptoir et j’ai très envie d’y grimper d’un coup. Je me sens faible et je tremble alors que la bestiole est de plus en plus proche de moi et je sens mes jambes cédées. Je glisse au sol, le dos toujours appuyé contre le comptoir, le cœur voulant exploser dans ma poitrine. Le bout de son museau va toucher l’une de mes paumes, grande ouverte et je frémis, arrêtant de respirer quelques secondes.

- Salomooon…J’ai…Je…ahh…pitié, ne me mange pas…!

Mon éclat de voix le fait sursauter et il se reculer d’un bond avant de s’enfuir vers l’extérieur. Je sens encore sa présence contre ma main et je la ramène aussitôt contre mon corps tremblant. Je ne comprends pas trop ce qui s’est passé, mais j’ai eu la peur de ma vie!

Je lève le regard vers l’apprenti-fleuriste.

- C’était quoi…ça?

Je déglutis en me relevant péniblement. Est-ce que c’était une espèce de scène ou je ne sais pas, où un pokémon veut faire comprendre quelque chose à un humain? Je ne comprends absolument pas ce qui viens de se passer. Habituellement, c’était les humains qui choisissaient leur pokémon non? Pas le contraire, hein? Enfin…selon Salomon et son histoire de premier pokémon, ça pouvait arriver quand même…?

Je soupire et me prends la tête entre les mains. Je devais me ressaisir. Au moins, le Tortipouss avait quitté la boutique et j’espérais ne plus jamais le revoir de ma vie!

- Tu crois que…ce Tortipouss…m’aime bien et que…qu’il veut faire comme dans ton histoire…? C’est…pas possible…je peux pas y croire…

Je suis perdu-e. Je ne veux pas penser à tout ça, là, maintenant. Au moins, je savais qui m’observait, ou plutôt, ce qui m’observait depuis quelques temps déjà. Un pokémon. Oui, il ne manquait plus que ça.

- J’aurais préféré un humain stalker…au moins, je sais gérer…pas de chance que ce soit un pokémon…

Je me calme après mes provocations sans aucune méchanceté, mais dites simplement pour faire réagir l’apprenti-fleuriste. Je lui fais un grand sourire encore un peu amusé-e par notre joute verbale et je ris un peu aussi. Et puis, ensuite c’est moi qui subi mon karma après qu’un pokémon sauvage soit rentré dans la boutique. La peur de ma vie, je le jure!

Ce n’est donc pas pour rien que Salomon se moque ouvertement de moi et de ma peur irrationnelle de tous les pokémons. Je suis coupable, c’est vrai. C’est malheureusement une peur que je ne contrôle pas et dont, je ne connais pas la source. Ça remonte à trop longtemps pour que je m’en souvienne, la galère…

Quand le Tortipouss finit par ressortir de la fleuristerie, je sens mon cœur tout doucement reprendre un rythme normal. Je pose une main sur ma poitrine et je souffle relevant mes orbes couleur fleur de cerisier sur l’homme dans la pièce. Il tente encore une fois de me rassurer et je le remercie d’un petit sourire faiblard et de quelques mots.

- Merci Salomon. Promis, je ne me moquerai plus de ton âge et de ton apparence même si ce n’est que pour te faire réagir sans la moindre méchanceté de ma part…

Je m’approche de l’homme à la chevelure verte et grise et je regarde vers la sortie de la boutique. Je me dépêche ensuite d’aller refermer bien comme il faut la porte et je m’assure qu’aucun pokémon ne puisse y entrer…enfin…sauf peut-être les pokémons spectres, psy et ceux qui sont humanoïdes et savent utiliser une poignée de porte. Je frémis juste à y penser. Je m’éloigne et retourne près du comptoir.

- Tu sembles vraiment très déçu qu’il soit parti…désolé… Avoir peur des pokémons, c’est juste plus fort que moi.

Je me gratte la nuque et je soupire bruyamment une nouvelle fois avant de reporter mon attention sur le demi-Kalaharien.

- Nous n’avons pas de pokémons dans ma famille. Et même dans la demeure, c’est interdit.

Aucun employé à la maison n’avait le droit d’avoir de pokémons et mon père et ma mère avait fait une sélection stricte de tous nos employés pour cela. J’avais donc grandi plutôt entourée d’êtres humains que de pokémons même si j’en avais côtoyé dans les tournages où j’ai eu un rôle ou de la simple figuration.

Je ne voulais pas me décourager, ni même décourager l’apprenti-fleuriste. Au moins, il comprendrait un peu l’histoire familiale, tout ça.

Je m’adossai contre le comptoir et observai les plantes ici et là. Je comprenais l’idée de Salomon, mais je ne savais même pas si j’étais simplement capable de prendre une pokéball et de la lancer sur un pokémon. Ça ne me disait rien sur le coup. En plus, si je faisais ça, c’était donc techniquement dire que j’avais un pokémon, ce que je ne voulais pas.

- Il faudra le capturer toi-même si tu le veux. Je n’oserais même pas regarder dans sa direction s’il était de nouveau dans les parages…alors, lui lancer une balle, on oublie.

Outre cette mésaventure, au moins, maintenant j’allais avoir un boulot et dans un domaine qui m’intéressait vraiment de plus. J’avais hâte d’être officiellement engagé-e.

Puis, malgré les paroles de Salomon, je n’étais pas certain-e qu’un humain soit plus dangereux qu’un pokémon niveau stalking. Un humain, ça restait un humain, un pokémon, ça pouvait évoluer, changer d’apparence et attaquer sans avoir une arme à feu dans les mains. Entre un être humain et un pokémon, je préférais être en présence de l’être humain.

- Bon, je dois savoir autre chose vis-à-vis du poste d’apprenti-fleuriste ou le simple fait d’avoir rempli le formulaire me permet d’être bon-ne candidat-e?