J'avais besoin d'un peu d'air. La journée avait été longue, ma tête pulsait et, bien franchement, j'avais franchement envie de juste rentrer chez moi. Enfin, c'est ce que j'aurais fait si je n'étais pas une personne responsable au point que ça devienne un tout petit peu maladif. Et c'est donc ainsi que je m'étais retrouvée à faire le pied de grue dans l'entrée du bâtiment, attendant le retour de la secrétaire. C'est que si je voulais sortir, même juste pour aller manger un petit truc au café du coin, il serait plus poli d'avertir avant de partir histoire qu'on ne me cherche pas.

J'en viens à peser le pour et le contre en faisant les cent pas sous le regard curieux de Baron. Le rozbouton a lui aussi très envie de sortir. Il pourrait se trouver un petit endroit bien vert pour y faire la sieste pendant que je mange. Enfin, à cette période de l'année c'est compliqué, mais tout est mieux que les plantes de plastique choisies par la secrétaire absentéiste. Dès qu'elle revient celle-là je vais lui parler ! Surtout que j'ignore encore l'ampleur des soucis qui s'apprêtent à me tomber dessus par sa faute.

Un homme inconnu vient d'entrer et je me fige sur place, mes lèvres s'allongeant en un sourire tordu. Oh non. Je fais quoi ? Je l'accueille ? Je ne sais même pas qui c'est ! Et si c'était un client important ? Je veux dire on n'entre pas chez un urbaniste pour le plaisir ou pour demander des directions. Enfin, ce serait sans doute le meilleur endroit pour le faire, mais ça n'est encore jamais arrivé ! Même qu'il... demande à être embauché ?? Il a l'air si confiant, si souriant. Je n'ai pas la foi de le décourager et encore moins d'admettre que je ne suis pas la secrétaire. Alors, comme si c'était ma place, je vais m'asseoir dans le fauteuil vide, derrière le comptoir, pendant que Baron sautille pour me demander de le hisser sur la surface qui me sépare de l'inconnu, histoire d'avoir une meilleure vue. C'est quand même lui mon compagnon paysagiste alors je suppose qu'il est curieux de voir son futur sous-fifre de plus près.

Comme ça il veut un travail pour arrondir ses fins de mois ? Encore une fois je force un sourire, essayant au mieux d'être polie et compréhensive puisque je ne sais pas du tout comment gérer ce genre de situation. J'ouvre la bouche pour commencer à parler, mais l'homme charmeur n'a toujours pas fini son petit numéro. Si je suis intéressée par sa qualité d'apprenti fleuriste, je remarque qu'il me parle des qualificatifs de sa cheffe plutôt que des siens. Mais il est plein d'entrain alors c'est difficile de lui dire carrément non. Surtout que je suis trop gentille pour faire ça, avouons le.

Enchantée... Vous avez un curriculum vitae avec vous ? Et eum... Vous avez déjà suivi une formation de paysagiste ? Enfin, je veux dire... Fleuriste c'est très bien, mais il faut aussi une certaine familiarité avec les arbres et les arbustes, en plus des types de sol et des aménagements comme telle.

Comme ça on sait comment faire de jolies pentes pour guider l'eau dans la direction opposée des fondations de maisons par exemple, des trucs comme ça. Après oui, parfois c'est bien de pouvoir mettre des pots de fleur disons au coin d'une rue, purement pour la décoration, mais là encore il faut bien choisir les espèces pour s'assurer qu'elles puissent bien vivre sans poser problème à la faune locale. Il y a, au final, beaucoup de trucs auxquels penser par-delà juste choisir quelles fleurs seraient jolies avec quoi. Ceci étant dit... Je ne veux pas le décourager non plus ! Serais-je en train de le décourager ?

Après c'est toujours utile d'avoir un fleuriste à consulter ! Enfin... Sinon je ne sais pas... On a peut-être besoin d'un concierge ?

Oui bon, c'est peut-être pas ouf pour l'encourager en fait... J'ai encore du travail à faire avant de devenir une bonne réceptionniste. Heureusement que ce n'est pas mon travail, même si ça il ne le sait pas encore.

Au moins l'inconnu a prit la peine d'apporter avec lui son CV, prouvant qu'il n'est pas totalement venu ici sur un coup de tête. Je récupère la feuille et en profite pour découvrir le prénom de mon interlocuteur : Salomon. Ça aurait été plus pratique qu'il se présente lui-même, ce qui me fait d'ailleurs me demander si son manque de décorum et de professionnalisme n'est pas un problème en lui-même. Attends... Est-ce que je suis vraiment en train de le juger comme si j'allais l'embaucher ?! Non, hors de question ! Mais il fait tellement pitié... Il n'y a qu'à voir son parcours scolaire arrêté très tôt et... Non, ce n'est pas bien de prendre les gens en pitié. Il ne faut pas, Blair !

Je dois me concentrer sur le positif, sur ses acquis. Il sera, très bientôt, fleuriste et arrangeur floral. Est-ce qu'il y a une grosse différence ? Je ne connais pas les fins détails je l'admets. Puis je dois admettre qu'il marque des points en parlant de la cohabitation des différentes espèces. C'est un pas dans la bonne direction, il sera juste potentiellement amené à se soucier de beaucoup plus d'espèces que seulement celles présentes dans son bouquet.

Ceci étant dit, je suis un peu confuse lorsqu'il me parle des fleuristes d'Uthyrgham. Quel rapport avec ses qualifications et ses expériences professionnelles propres ? Est-ce qu'il aurait bossé avec eux ? Ça n'en a pas l'air puisqu'il a besoin d'un boulot et d'un salaire, ce qui ne serait pas le cas s'il était occupé à bosser d'arrache-pied dans une autre région, n'est-ce pas. Pourtant ça ne l'empêche pas de s'approprier cette démarche, mentionnant qu'il participe lui-même à la floraison des villes. J'esquisse une moue, mécontente des artifices avec lesquels il tente de s'accorder mes faveurs.

Après je vois bien qu'il est désespéré, ça crève les yeux et lui-même l'admet un peu. Tant qu'il touche le salaire minimum alors Salomon n'a pas de soucis avec l'idée de faire des boulots un peu ingrats. Enfin, ça ne l'empêche pas de réaffirmer son amour de l'arrangement floral et de la beauté des fleurs. Oui, c'est clair que ce serait un bon point pour son enrichissement professionnel. Je fais mine d'ignorer la remarque sur le portefeuille par contre, décidant de ne pas lui en tenir rigueur pour sa situation monétaire. Ça arrive à tout le monde d'être dans une mauvaise passe, pas vrai ? Et puis bon on va pas se mentir, je suis un tout petit peu une bonne poire.

Monsieur Strueux... Votre démarche me touche particulièrement, et je vois que vous êtes désespéré, mais j'ai besoin d'une personne honnête qui ne tentera pas de me jeter de la poudre aux yeux pour améliorer ses qualificatifs, j'espère que vous comprenez ?

Déjà depuis quand est-ce que moi j'ai besoin de quelqu'un ? Je ne sais pas trop, mais c'est un peu sortit tout seul.

Et si je comprends votre volonté d'apprendre ici avec nos experts paysagistes, il est extrêmement culotté de demander à la fois une éducation et un salaire. Je crois qu'un stage serait plus facilement envisageable, même si du coup ça ne vous aidera pas vraiment avec vos problèmes monétaires... Sinon vous pourriez bosser ici en tant qu'homme à tout faire ? Cela vous permettrait de recevoir un salaire que vous pourriez utiliser pour décrocher des qualifications plus poussées dans le domaine de l'aménagement paysagé ?

Et comme ça, si on s'entend bien et que c'est un bon bosseur, il aurait déjà un pied dans notre établissement pour demander un véritable stage pour compléter sa formation et, peut-être, décrocher un vrai boulot une fois diplômé. Bon ça a l'air plus compliqué que de bosser comme fleuriste directement, mais je ne peux pas faire de miracles non plus. Malgré toute ma bonne volonté je ne m'appelle pas Jirachi. Que va-t-il en penser ? Va t-il essayer de proposer une idée de son cru ? Peut-être que ma demande d'honnêteté aura marqué des points et qu'il arrêtera enfin de me donner des raisons de me méfier de lui ? À voir.