Je me sentais nauséeux ce matin. Ma tête tournait. Je n’avais rien fait de spécial, hier pourtant. Sans doute le surmenage. Mes dernières vacances remontaient à… Je ne savais plus vraiment. Depuis combien de temps je n’étais pas rentré chez mes parents ? Difficile à dire, le temps me semblait tout distordu depuis quelques temps.

En tout cas, j’étais obligé de fermer régulièrement les yeux pour me reposer, même si ça n’allait jamais durer très longtemps avant que je ne sois demandé par quelqu’un. Un élève, un autre professeur, ou un collègue chercheur. J’étais très demandé. Peut-être trop. J’acceptais toutes les tâches qu’on me donnait, ces derniers temps. J’avais l’impression de me noyer dans le travail. Les vacances… Elles semblaient proches et loin en même temps. Je ne savais même plus quel jour on était. Mes paupières étaient si lourdes…

Mon rendez-vous avec le Lieutenant Brémont.

Je ne pouvais pas le manquer. Il fallait que je garde les yeux ouverts. Je ressentais beaucoup d’appréhension. Il m’avait convoqué, sans me donner réellement de raison. Ce n’était pas un contrôle d’Arène. Sinon, elle ne m’aurait pas convoqué au laboratoire. Je me demandais ce que j’avais bien pour faire comme bêtise pour qu’il me convoque sans me donner de motif… J’étais rigoureux dans mon travail, presque comme une machine. C’était le prix à payer pour obtenir une bonne place.

Par contre… pourquoi le laboratoire ? Allais-je devoir me servir de mes nouvelles compétences en biologie ? J’étais maintenant complètement capable d’assister n’importe quel grand chercheur comme Flora, mais de là à prendre les initiatives ? Elle aurait été plus qualifiée que moi, mais elle est également moins disponible de fait. J’étais sans doute une personne de second choix, pour le Lieutenant, c’était sans doute ça.

Après avoir ingurgité deux cafés et des antidouleurs pour chasser ma migraine, je me dirigeais vers le laboratoire. Il n’y aurait que nous deux. Elle avait déjà contrôlé mon Arène, une ou deux fois. Nous nous entendions bien, je crois. Pour autant, nous n’étions pas non plus amis, alors j’étais assez intimidé, forcément.

Je frappais à la porte et attendis qu’il me dise d’entrer pour le faire, comme toute personne un minimum polie. Donc pas comme le Lieutenant Quartz qui s’était incrusté en pleine réunion quelques mois plus tôt… Heureusement que ça n’était pas lui qui m’avait convoqué, sinon j’en aurais vomi d’angoisse. Fleurestine Brémont était beaucoup plus rassurante, à mes yeux.

Voilà, donc comme je le disais, j’entrai après avoir vérifié que j’étais un minimum bien coiffé et apprêté.

“Bonjour, j’espère que je ne vous ai pas trop fait attendre, Lieutenant.”

Une minute d’avance, ce qui était… Parfait. Mais je ne pouvais m’empêcher d’être poli et de mettre les formes pour camoufler l’anxiété qui me prenait à l’estomac. Refermant la porte derrière moi et la verrouillant pour qu’on soit tranquilles, je m’avançais vers celui qui était mon supérieur, assez interrogatif, pour le coup.

“Vous aviez besoin de me parler de quelque chose ?” Si j’étais dans un laboratoire, c’était sûrement qu’il souhaitait que je lui rende un service, réfléchis un peu Niko ! “Ou alors c’est en rapport avec mes recherches…?”

En ce moment, à part travailler sur le cerveau des Pokémons, et surtout des Paradoxes, je ne faisais rien de très palpitant. Tout ça me dégoûtait et me répugnait. J’avais recueilli deux de mes expériences, après leur avoir fait subir des atrocités. Mais les ordres étaient les ordres, et j’avais également pour mission de les garder sous haute surveillance, afin d’être sûr et certain que tout avait fonctionné. Résultat : J’avais un Garde-de-Fer inoffensif qui craignait tout et son contraire, ainsi qu’un Hurle-Queue qui n’écoutait rien et que je devais maintenir scellé dans une Pokéball en présence d’autres êtres humains. Je ne voulais pas qu’on expérimente une fois de plus sur lui. J’allais finir par l’éduquer, ça demandait juste… Beaucoup trop de temps. Et cela arrivait à échéance. J'avais échoué.

“Dites-moi ce que je peux faire pour vous, je serai ravi de vous aider.”, lui souriais-je finalement en chassant mes pensées et ma nervosité.

Fleurestine Brémont n’y allait jamais par quatre chemins. Elle allait immédiatement me faire part du problème. Pas mes recherches, ce qui était à la fois rassurant et angoissant. Je ne savais pas ce que j’avais bien pu faire de mal. Je ne faisais que travailler, des combats d’arène, travailler, dormir quelques heures en me ressourçant dans les bras de mon amant et… Ma vie était banale, vraiment. Qu’est-ce que le Lieutenant pouvait bien me vouloir ? J’avais beaucoup de mal à le regarder dans les yeux. Mon cœur battait très vite, attendant la sentence qui allait sortir de ses lèvres.

Je hochais la tête. Bien sûr, personne ne me faisait confiance à cent pourcents. Je devais travailler beaucoup plus que n’importe qui pour oser espérer obtenir la confiance de quelqu’un. Lorsqu’à Tôkan, on me collait l’étiquette de collaborateur, ici, je n’étais qu’un paysan aux parents suspects. Je comprenais où Fleur voulait en venir, alors je gardais mes yeux rivés sur les siens, bien que l’appréhension soit en train de me déchirer de l’intérieur. Heureusement qu’elle était rassurante et bienveillante à mon égard. Je me sentais en confiance.

“Oui, j’en ai parfaitement conscience, Lieutenant.”, réussis-je à articuler dans bégayer, ce qui était une prouesse.

Finalement, j’appris qu’il s’agissait de mes parents. Ils étaient ceux qui étaient suspectés d’être du Groupe Victini. Je les suspectais moi aussi. Surtout Kunai, en fait. Je savais qu’il avait eu un passé de délinquant, avant la naissance de ma sœur, mais à part ça… Il ne parlait pas vraiment du Groupe. Seulement qu’il était d’accord avec Lev Adé, et qu’il détestait Trismegis qu’il jugeait autoritaire, une entrave à la liberté individuelle. Je ne savais jamais trop quoi en penser de mon côté. Je voulais simplement éviter les problèmes et travailler.

“Je n’ai aucune raison de vous trahir !”, eus-je le courage de protester, avant de développer un peu mieux, et avec un peu plus de calme et de conviction. “J’ai travaillé dur pour obtenir ma place et avoir la chance d’enseigner ainsi que de rejoindre une équipe de recherches. Je n’ai aucune raison de trahir qui que ce soit, puis… Ces conflits, je n’y comprends pas grand-chose, je ne suis pas très engagé politiquement, ahah… Si seulement on pouvait mettre tout le monde d’accord…”

La honte. Oui, j’avais honte de dire que je ne me positionnais pas. Honte d’être un idéaliste sans courage. Finalement, j’étais de facto du côté de Trismegis, si je me déclarais comme neutre, non ? Où que je me situe, il n’y avait aucune place pour moi. Où que je me situe, j’étais une déception pour l’un ou pour l’autre. Une boule commençait à se former dans ma gorge.

“Mes parents… Je leur ai déjà posé la question, mais ils nient. Je ne sais pas trop s’ils mentent… Ils n’ont pas l’air d’avoir le temps d’être très actifs, s’ils sont dans le groupe, en tout cas. J’ai bien du mal à les voir du côté des Feux-Follets, si c’est ça qui vous inquiète…?”

Oui, je voulais croire en eux. Ils n’étaient pas parfaits, mais nous étions soudés. Ils ne m’avaient pas empêché d’étudier à Uxie, alors que j’étais initialement déscolarisé et trop timide. Ils ne m’avaient pas plus empêché d’aller loin dans mes études, quitte à vraiment devenir un membre de Trismegis par défaut.

“Si vous avez besoin d’enquêter en profondeur, je n’y vois aucun inconvénient, je… n’ai rien à me reprocher.” Je ne savais pas d’où venait cette fermeté que je pouvais parfois avoir. Sans doute qu’avec l’âge, on apprenait à ne plus trop se faire marcher dessus. “Quoiqu’il en soit, si vous avez des questions, n’hésitez pas. Je me ferais un plaisir d’y répondre, dans la mesure du possible.”, conclus-je dans un sourire un peu forcé.

Oui, c’était vrai. Tous les Champions étaient plus ou moins soumis à un contrôle, de temps à autres. Je m’estimais plutôt heureux de ne pas avoir tant de visites de routine de la part de l’Organisation. Mon père se faisait limite harceler, à l’époque où il était Champion. Probablement car il avait toujours été suspecté d’être fervent détracteur du système. Ce qu’il était. Mais de là à être dangereux pour l’intégrité du gouvernement ? Je ne voulais pas y croire. Pas tant d’avoir des preuves tangibles.

En tout cas, je me permis un soupir de soulagement. Il avait confiance en moi, et le fait que je sois champion ne l’importait pas vraiment. Je pouvais baisser ma garde et me permettre de me relâcher un peu. Même si nous n’étions pas proches au point d’être parfaitement à l’aise, l’un avec l’autre, quand même… Je n’allais pas lui parler de ma progression sur mon RPG du moment, quoi. Ni de mon dernier autel à Giratina qui était actuellement en train de sécher dans mon entrée, ahah…

“Je pourrais toujours questionner un peu mieux mes parents… Si ça peut vous rassurer un peu. Il y a des chances que mon père - Kunai Óneiros - ait été dans le Groupe quand il était plus jeune. Il a quelques désaccords avec le fonctionnement de Trismegis, mais pour autant, il ne m’a jamais empêché d’étudier ici.”

Par contre, je savais qu’il s’inquiétait beaucoup pour moi, mais je restais son enfant quoiqu’il arrive. Même s’il semblait si embêté, lorsque je lui avais appris que je voulais étudier à Uxie, alors que j’étais un enfant timide et introverti, ne connaissant rien de l’école en présentiel, il n’avait jamais remis en cause mes choix. Toute la pression que je ressentais, ça n’était pas de son dû, loin de là. J’avais conscience que je me mettais la pression tout seul, car je me sentais incapable d’être aussi impressionnant que lui.

Pour autant, ça n’était pas uniquement pour cette raison que j'avais été convoqué. Quelque chose d’un peu plus personnel ? Je lançais d’abord un regard interrogatif à la Lieutenante. Elle désirait que je l’aide avec un de ses Pokémons ? J’avais le rose qui commençait à fleurir sur mes joues. J’étais assez ému qu’on vienne me consulter pour ça. J’étais encore jeune diplômé, techniquement, donc assez peu expérimenté…

“Je vais voir ce que je peux faire !”, acceptais-je avec peut-être un peu trop d’enthousiasme, puisque je ne savais pas vraiment ce que Fleur attendait réellement de moi. Des conseils avisés ? Un diagnostic du Pokémon afin de voir s’il a peut-être des soucis physiologiques l’empêchant de progresser ?

Un Psystigri. Un Pokémon assez peu… utilisé en combat, on va dire. C’était surtout un Pokémon domestique, en général. Mia Oûkah en avait bien un, mais il avait évolué, ce qui n’avait rien à voir. Je souris avec douceur au petit Pokémon en lui tendant la main. Je ne voulais pas forcer un contact dont il ne voudrait pas.

“Mh… terrifié ? Il a toujours été comme ça ? Ou alors, un événement traumatisant est survenu ? Je pense qu’il faudrait déjà connaître la cause de cette peur, avant de débloquer quoi que ce soit. Si on le force, ça n’arrangera pas les choses… Peut-être essayer de voir ça avec un comportementaliste ?”

Je repensais à un des Pokémons Paradoxes que je gardais avec moi. Il était très peureux et effrayé à cause des expériences qu’il avait enduré. Je travaillais dur pour qu’il reprenne du poil de la bête. Je lui avais même éviter de passer par des méthodes assez controversées, pratiquées sur les Paradoxes, pour rendre les Pokémons un peu plus obéissants, notamment pour ceux qui sont atteint d’une grande agitation ou anxiété. Par contre, je ne savais pas encore ce que ça valait sur le très long terme… Et j’avais refusé qu’on fasse ça au Garde-de-Fer que j’avais récupéré. Pour autant…

“Le cortex cingulaire antérieur… C’est cette partie du cerveau qui peut être responsable d’une anxiété importante. Il existe une nouvelle méthode d’électroconvulsivothérapie, encore en train d’être testée. Des électrochocs de pointes, avec une précision impressionnantes, vont stimuler cette partie du cerveau pour faire diminuer l’anxiété. Bien sûr… Elle n’était pas encore validée à cent pourcents. Elle est très coûteuse, récente et très peu utilisée. Sauf… Sur les Paradoxes, en fait. Parce que bien sûr, sur des Humains, ça n’a pas encore été testé, de toute évidence… Mais sur des Pokémons, il y a eu des résultats assez encourageants, malgré quelques effets secondaires…”

Je parlais de ça, mais il n’allait quand même pas recourir à cette méthode, si ? Il pourrait tout aussi bien emmener son Pokémon en thérapie, ce qui serait, selon moi, la méthode la plus logique, quand on est normalement constitué dans sa tête, ahahah…

“Pertes de mémoire partielles, apathie, baisse des capacités cognitives… Sur le long terme, ça arrive souvent, malheureusement. Enfin… je ne sais pas pourquoi je parle de tout ça, honnêtement ! Je pense qu’on pourrait déjà observer ensemble comment Léthée réagit face à une menace, non ?”

Fleur n’allait jamais accepter. Je ne voulais pas qu’il accepte. J’en avais parlé juste comme ça, sans vraiment penser à mettre en pratique la chose. Vraiment.