Des mauvaises décisions j'en ai prises dans ma vie ce qui, je suis sûre, ne surprend personne. Celle-là ? Elle suffit quand même à me faire me dire que je suis encore plus conne que ce que je pensais. Mais qui dans un état mental stable et sain se bourre la gueule en sachant précisément que, le lendemain matin, faut aller bosser ? It's me, hi. I'm the idiot it's me. Blague à part, j'aurais pu rester à la maison. Faire la grasse matinée avec les rideaux tous tirés. Sauf que c'est quand même plus dramatique de sortir de la maison avec un teint de cadavre, de porter des lunettes fumées pour me cacher les yeux et de menacer d'étrangler quiconque fait un peu trop de bruit.

Surtout que, d'habitude, je ne suis pas une grosse buveuse. Alors pourquoi ? Simplement parce que j'aime être misérable et que c'est une façon aussi clichée que facile de l'être. Alors, dans une pulsion pas du tout malsaine, j'ai acheté un petit pack d'alcool "de fille" comme on dit. Un truc aux fruits bien traitre qui ne goute pas l'alcool parce que j'ai beau vouloir souffrir, en vrai pas trop non plus. Même moi j'ai mes limites. Après bon c'est quand même vachement moins glamour que dans les films.

J'étais là dans mon lit avec les rideaux tirés à me morfondre et à souffrir très vocalement, mais sans personne pour en attester c'est quand même con. Personne pour ouvrir la porte et s'indigner de l'odeur d'alcool qui colle aux murs. Personne pour se jeter à mon chevet et m'engueuler parce que "mais t'as foutu quoi encore Cassandra ?!" Ce serait si bien d'avoir quelqu'un qui s'inquiète à cause de mes conneries, quitte à être un peu méchant parce que c'est quelqu'un qui se soucie vraiment de moi et que je lui fais du mal. Sauf que c'est pas le cas. Personne ne verrait la différence à part peut-être mon patron et, éventuellement, mon proprio si j'oublie de payer mon loyer. À part ça....

Nobody gives a fuck.

Rendue plus marabout encore par mes réflexions, on dirait que mon mal de crâne n'en fait qu'augmenter, pulsant jusque dans mes tempes. Je dois faire quelque chose, quitte à m'engouffrer dans la première supérette que je trouve pour aller me poser le front contre la vitre des réfrigérateurs. La vibration me troue la tête, c'est pas vraiment mieux, mais au moins c'est frais. Et ils ont de l'eau à vendre. J'en prends une bouteille et l'ouvre avant même d'être passée à la caisse. Le petit employé boutonneux qui n'est pas assez payé pour poser des questions me prends la tête.

Excusez-moi ! Il faut payer avant de—

Ça va du con j'vais payer fais pas chier. Et parle moins fort merde.

J'envoie la tête vers l'arrière, décide de prendre une grande gorgée pour avoir l'air badass, parce que c'est ce que feraient les gens dans un film ou dans une série. Sauf que bah je suis eu peu un cas social et que, évidemment, je n'arrive qu'à me mettre de l'eau partout et à m'étouffer comme une tanche. Je redépose la bouteille, m'appuie au comptoir comme à une bouée et crache mes poumons devant ce commis qui doit en avoir marre de la bêtise humaine et de son petit boulot au salaire minimum.

Au final je tousse si fort que j'en vomis un brin de liquide bleuté agrémenté de grumeaux non identifiés. Je me réconforte en me disant qu'au moins ça sens un peu les baies, mais beaucoup l'alcool aussi quand même. Et c'est dégueulasse. L'employé me saute pratiquement dessus et me pousse en direction de la salle de bain, au cas où l'envie me prendrait de continuer à vomir. J'y vais sans rechigner, lui laissant tout le loisir de débarrasser lui-même. À la place je me débarbouille, me rince la bouche avec l'eau du robinet. Heureusement mes vêtements n'ont pas l'air d'avoir pris trop cher, même si j'ai bien envie d'une douche. Est-ce que je vais au labo quand même ? J'ai l'avantage d'être en contrôle de mes horaires la plupart du temps alors en vrai...

Je pose la tête contre le miroir, soupire. Petit tête à tête avec mon doppelgänger qui habite de l'autre côté du miroir. Elle a une sale tête. Des cernes, les lèvres séchées, les yeux explosés et le visage rougis d'avoir déversé son breuvage de la veille sur le carrelage.

Moi je suggère qu'on se casse et qu'on retourne être misérable à la maison.

Pas de réponse. Il est pas très bavard mon reflet. Je fais la moue, pas très contente.

Va te faire foutre toi aussi, moi au moins je cherche des solutions.

Au final je tourne les talons, me dirige vers la sortie. J'envoie la main au pauvre gosse occupé à ramasser mon dégât et je quitte la supérette comme si de rien n'était. Sans payer ma consommation. Oups. J'ai pas la moralité, et l'état d'esprit, assez bien placé pour faire demi-tour et aller payer. Je préfère continuer mon chemin en replaçant mes lunettes fumées, direction la maison. Pour une fois j'ai envie d'une douche froide.

L'avancée est difficile, rendue compliquée par mon état physique qui, en plus, ne reçoit pas de cadeaux de mon état mental. Les seuls individus à même de m'aider sont restés à la maison. Déjà c'est con, j'ai besoin d'eux au laboratoire alors dans tous les cas j'aurais été forcée de revenir les chercher. Peut-être que, au fond, j'avais dès le départ pris la décision consciente de sortir en sachant que je n'atteindrais jamais mon lieu de travail ? Ou alors j'avais juste trop mal à la tête pour aligner deux pensées cohérentes sans avoir envie de gerber.

J'ai la main sur la tête, la descend pour venir me frotter les yeux en manquant de peu de faire tombe mes lunettes fumées. Franchement même rentrer chez moi c'est pas gagné. S'il faut je vais simplement tomber devant une voiture et me faire renverser. Ou tomber en bas de la Haute-Uthyrgam. C'est une possibilité. Même que mon esprit s'y affixe un peu trop longtemps pour n'en être finalement libéré que par un croissement moqueur.

Piquée au vif dans mon ego, mon regard furibond regarde à droite à gauche pour trouver la source du son. Et ça ne tarde pas : un cornèbre haut perché se moque. Tss.

Nevermore toi-même !

J'enfouis la tête dans les épaules et commence à marcher plus vite. Un peu une idée de merde considérant que ma tête commence à tourner. Peut-être que je devrais m'asseoir quelque part ? Un banc ? Le sol ? Si seulement je pouvais tomber sur un petit parc et allez m'asseoir dans une balançoire. On m'a dit que je pouvais devenir ce que je voulais dans la vie alors maintenant je suis l'alcoolo cheloue qui traîne dans les espaces pour enfants allez.

En l'absence d'un banc à squatter je décide de plutôt appuyer mon dos contre le premier mur vide que je trouve. J'ignore c'est quel genre d'immeuble et à dire vrai je m'en fou. Je veux juste respirer, faire une pause en attendant que le sol se remette droit. Je ferme les yeux, maudit ma faiblesse et mes décisions de merde. J'aimerais qu'on vienne me chercher, que l'on me porte jusque chez moi. Qu'on me dise que tout va bien aller. Comme si ça allait se passer. Comme si ça allait arriver à quelqu'un comme moi.

Mes paupières, lourdes, trouvent la force de se relever. Immobile, je regarde le monde qui continue de tourner autour de ma personne, sans la moindre pensée pour la petite brune débile qui a envie de vomir, encore. Des voitures qui passent, sans doute des gens en chemin vers le boulot ou des gens en congé. Il y a aussi quelques passants à pied. Peu de pokémons. Enfin, il y a bien cette hirondelle vénère qui picore sa compétition, mais même lui ne fait pas mine de regarder en ma direction. Je suis seule. Définitivement et inéluctablement seule.

Faut que je parte d'ici.

De ce mur ? De cette rue ? De cette ville ? De cette vie ? Je ne sais pas, mais j'ai envie de partir. De reprendre la route, d'aller me cacher quelque part et de m'endormir jusqu'à oublier que j'existe. L'inconscience m'apparaît drôlement comfy.

Si je crois m'être enfin décidée à partir, c'est sans compter sur cette petite interaction qui attire mon attention. Ce pauvre ballon flottant qui se fait tabasser sa race par un parent mécontent. Tss. Ça se croit tout permis ces gens-là et pour quoi ? Parce qu'ils ont expulsé un petit gobelin là qui fout de la morve partout ? Sérieux je compatis avec le baudfrive. Pas que ça change grand chose ou qu'il le sache. Propulsé par la claque qu'il s'est prit, le fantôme s'envole vers d'autres cieux.

La chance...

J'aurais bien aimé le suivre, mais je suis trop vieille pour me faire kidnapper par l'un d'entre eux. Je vais devoir me débrouiller toute seule, utiliser mes jambes comme une grande fille. Allez hop hop, il ne sert à rien de m'éterniser alors que je me sens encore si mal en point. Je veux juste rentrer chez moi. Dommage que ce soit loin et que, surtout, je ne suis pas dans le meilleur des états. Est-ce que je devrais prendre un taxi ? Mais c'est cheeeer.... Allez, un peu de marche à pied n'a jamais tué personne, mais j'y travaille.

Ça y est, je pense que j'hallucine. Parce qu'il n'y a pas d'autre explication, n'est-ce pas ? Ou alors c'est vraiment un piaf chromatique ? Ou une nouvelle variante peut-être ? Il ne semble pas avoir d'autres caractéristiques uniques par contre. Mmh... C'est dur à dire de loin. Peut-être que je devrais me rapprocher ? Je commence à traverser la rue, mon regard clair focalisé sur l'oiseau. Grosse surprise que, deux secondes plus tard, un klaxon me sorte de ma stupidité alors que des bruits de freins me font battre le coeur jusque dans les tempes. Le chauffard me crie dessus, on klaxonne, je suis figée. Mais pas trop longtemps quand même.

Non mais oh ?! Pourriez pas faire attention ??

Et je lâche un bon coup de pied dans son pneu avant de tourner les talons, prenant la fuite dans un rythme de course. J'ai pas envie de discuter, de me faire crier dessus. J'ai envie de rien à part m'en aller. Et avec tout ça je crois que j'ai perdu la trace de l'oiseau chromatique. Ou pas... ?

Je regarde un peu partout, me hisse sur la pointe des pieds pour voir plus loin. J'essaie de me fier sur le comportement des autres oiseaux. Mais c'est pas gagné. Pour le coup je crois vraiment avoir raté ma chance et ralentis donc le rythme, traînant des pieds avec frustration. Les mains dans les poches, je fais la moue. Quelle journée de merde quand même. Au moins je suis presque chez moi, mais ensuite quoi ?

J'ai pas non plus envie de retourner me faire chier... Finalement je pense que la vraie réponse c'est que je sais pas ce que je veux. Mon humeur est juste à chier, ma motivation aussi. Ou alors c'est juste la dépression qui parle. Peut-être que je devrais consulter ?

Erh, flemme.