▉Printemps 2323. Kalahari, entrée nord de la métropole, en direction de la Savane Béryl. Soleil paresseux dans le ciel et avis de tempête dans les méninges. Envie d’envoyer le sable valser à grands coups de pied. La seule raison pour laquelle Vici ne fit pas exactement ça, fût qu’il n’avait jamais réellement eu cette propension aux caprices d’enfant ; et s’il l’avait jamais eu, il avait assez d’estime pour ne pas y céder adulte. Mais il ruminait. Fort. Sa dernière rencontre avec l’homme au chapeau, dans le Quartier des Ombres, continuait de tourner en boucle dans sa tête ; sa voix, comme un vieux disque rayé.

Si tu sais pas contrôler ton Pokémon, vaut mieux pas en avoir.

Il n’avait pas aimé la condescendance de cet homme, il n’avait pas aimé sa manière de parler à son Furaiglon — et c’était peut-être une bonne chose, si cette affection ne lui était pas si peu familière —, et il n’avait pas aimé sentir cette colère dans ses poings, celle qui ne lui rappelait que trop bien le genre de vices qui coulaient dans son sang, dans ses gènes même, un mec qu’il ne voulait plus être.

Mais ce qui l’énervait le plus, au-delà de tout le reste, c’est que l’homme au chapeau avait eu raison. Il ne savait pas contrôler son Pokémon.

Et pourtant, il en avait avalé durant son enfance, de la propagande de l’Organisation. Il était censé avoir acquis combien les Pokémon pouvaient être dangereux pour qui ne savait pas contrôler leur noth, leur pouvoir — comme il avait acquis ce dont étaient capables ceux qui avaient ce contrôle. Pourtant, pour la plupart des Dresseurs qui se cachaient dans le Quartier des Ombres, la chose paraissait si naturelle, les créatures, les seules extensions de leur maître. Il avait sans doute imaginé, avant de débarquer à Lapis-Cité, avec pas grand-chose d’autre que quelques économies, un paquet de tabac mouillé, et les vêtements sur son dos ; que Vici redécouvrirait cette même connexion dont l’enfance l’avait privée. Mais non. Pire, il n’arrivait même pas à toucher son propre Pokémon sans que ça ne lui file la gerbe. Quand bien même une part rationnelle de son cerveau se répétait que son Furaiglon lui était parfaitement inoffensif — malgré les efforts de ce dernier pour faire croire à qui le voudrait le contraire —, la simple idée de poser ses doigts sur son bec le révulsait.

Évidemment, fût-ce la vérité, personne n’aurait pris plaisir à se faire mettre le nez dans sa merde. Pas par un parfait inconnu, et encore moins quand l’inconnu en question était un étranger à Kalahari. Il avait donc senti le besoin de s’éloigner de la métropole et de réfléchir en terrain familier, et où il pouvait être réellement seul.

… Il n’était pas seul, pas vrai ?

Son Furaiglon, aussi exubérant soit-il, comprenait quand il avait fait une boulette, et ne semblait pas vouloir tester la résistance consciente de son Dresseur sur sa Poké Ball ; il n’avait pas encore montré le bout de son bec. Mais, un peu plus loin dans la Savane Béryl, hors des sentiers, il y avait une autre silhouette. Depuis cette distance, il aurait été bien difficile de discerner ses traits ; mais ça l’était moins de deviner à sa seule présence qu’elle ne devait pas être de ce district, chose qui ne manquait pas d’agiter dans l’esprit de Vici un carnaval de drapeaux rouges.

Un peu plus loin trottait un canidé — qui devait être son Pokémon —, et encore un peu plus loin, dans les herbes sèches de la savane … Une Kangourex qui s’approchait. Depuis sa position, le kalaharien glissa la main dans son sac, cherchant du bout des doigts la Poké Ball de son petit poulet, et resta à observer l’inconnue au loin, pour voir comment elle agirait face à la créature sauvage. Assez loin pour se barrer si ça dégénérait.
 

▉And so Vici watched her in action against the Kangaskhan… Well, ‘watched’ may have been a bit generous; from this distance, he could only see vague silhouettes shivering in the morning sun of the savannah like crumpled paper dolls. But he saw the essential: how the Trainer moved around her dog, and how the dog itself moved in turn, like an extension of her own body, avoiding the grab from an all-too-loving wild Pokémon. He should have relaxed, and had to mentally force his shoulders to drop, fighting against the senseless anxiety that had been planted into his muscles. He breathed heavily. This stranger, whoever she was, was in control—one thing he was clearly lacking at himself. It was fine. It was, stupid sand—

—It just took one blink for the scene to change, and almost instantly, his defenses went back up. The silhouette had turned towards him. Knowing if she had seen him, through the heat and the dust that blinded the careless travelers, did not matter much; she was effectively walking straight in his direction. And her dog? It was running. His reaction was not that insane, right? Everyone in this age of Trismegis’ influence would be reasonably upset if a Pokémon came dashing towards them. Unless you came from a more liberal district than Kalahari always had been… Or you could afford not to care.

But Vici would worry about that woman’s pedigree later. There was another dog to take care off. It took a few seconds of hesitation—which he would totally chastise himself for later; such a simple gesture should have been pure instinct for a Trainer, one he should have long inherited in childhood—, but his fingers finally managed to grasp the Poké Ball inside his bag; he pointed it in front of him, just as the dog was close.

"Come."

(A… Growlithe, right? It looked like one, but the color of its fur was way off. And yet a bit familiar, somehow, though he could not have for the life of him pinpointed why. For some reason, this detail only heightened his uneasiness.)

The Rufflet inside was alert, but it was not sure it should obey. After all, last time he carelessly left its Poké Ball—not that it was uncomfortable, but the underground Lapis-Cité was so suffocating! It was made for long hunts, for mountains toppled under the shadow of a roost, for flying!—, well, it got its Trainer into a lot of trouble. And frustration. It did not want that, oh no—

"Come out."

Alright! Jeez! The Rufflet finally made its entrance, jumping just in time between Vici and the Growlithe. The bird took a few seconds to study the dog, not finding it that impressive—though some Trainers would say that its species had never learned what fear was anyway—, before it elected to puff its feathers, as it seemed to say: look at how big and strong I am! Wa-eet!

[Défi: Linguiste_]
 

▉Le Caninos — c’en était bien un, vu de trop près au goût de Vici, même si les couleurs de sa fourrure auraient pu laisser penser que c’était … Eh bien, il ne savait pas quoi, sinon l’étrange impression de familiarité qu’il aurait dû savoir — s’était braqué pile devant le Furaiglon, à quelques pieds du kalaharien, jetant au passage un fin nuage de poussière, et aboyant comme un dingue dans toute la savane ; alors que sa Dresseuse pressait le pas dans leur direction.

De son côté, pour l’instant, le Furaiglon se contentait de garder sa posture, ailes ouvertes et plumes hérissées sur le crâne, rendant au canidé ses Groz’Yeux sans faillir. S’il n’était pas encore sûr de sa prochaine action — après tout, c’était bien la première fois que son Dresseur l’aurait laissé combattre, et l’inclination naturelle de l’oisillon pour la bagarre se disputait elle-même avec cette surprise incertaine —, si peur il devait apprendre, ce n’était pas aujourd’hui qu’il apprendrait ! Le reste de son corps, entre temps, assimilait d’autres informations, la plaine sauvage, le piétinement nerveux des Zébibron égarés faisant vibrer le sol, le sable tourbillonnant comme un être propre ; informations qui excitaient son instinct naturel.

… C’était une femme qui approchait. De bonne taille, et c’était à peu près tout ce que Vici en tira comme première impression avant qu’elle ne se jette sur lui. Certes, elle n’avait pas haussé la voix, mais elle avait ce ton impérieux et défiant qui ne lui rappelait que trop bien la milice de l’Organisation, qui faisait loi zélée sur les montagnes de Kalahari ; et, par habitude, il sentit regrettablement sa propre voix se tendre comme une corde, immédiatement sur la défensive. Après tout, qu’elle se figure, il n’aurait rien aimé de mieux que rester seul, et il lui semblait que la Savane Béryl appartenait encore à tout le monde ; en plus, ce n’était pas son Pokémon — pour une fois ! — qui était venu le chercher.

« C’est à moi de poser cette question, » rétorqua-t-il donc, ce faisant pointant un regard accusateur sur le canidé grondant à leurs pieds.

Mais en vérité, il n’aurait pas posé les questions qu’elle lui adressait, tout simplement parce qu’il s’en moquait. Qu’est-ce que ça lui aurait fait, de connaître le nom de la femme ? S’il l’ignorait, parce que les gens ont cette drôle d’idée que connaître un nom est une sorte de permission pour rentrer dans votre vie ; peut-être qu’elle comprendrait déjà toute seule et ferait demi-tour.

Il se contenta donc de la regarder en Ponchien de faïence, étrange miroir de son Furaiglon qui attendait, incertain mais déterminé. Ainsi positionné, les serres ancrées dans le sol et les muscles de cuisses tendus ; s’il prenait au Caninos l’envie d’attaquer, l’oisillon serait prêt à le saisir au contact.