Quelle journée de merde. Je n’avais qu’une hâte : rentrer chez moi à Agapé et oublier tout ce retard que j’avais, au travail. Oublier que j'avais envie de me vautrer dans mon lit et rien foutre jusqu'à ce que ça passe.

Or, ma vie était digne d’un drame tragique. Je devais terminer les dossiers sur lesquels j’étais avant la fin de la journée. C’était vraiment laborieux. J’étais pris d’une migraine phénoménale et de sueurs. Le signe d’une excellente journée ! Assez frustré de ne pas réussir à me concentrer, j’avais plongé mon visage dans mes mains. Une chance que je sois seul au bureau. J’étais dans un sale état. Je sentais la crise arriver. Je refusais d’être encore atteint une seule fois par ces souvenirs, et pourtant… C’était comme si je venais faire un voyage dans le passé, juste à l’instant. Je me sentais déconnecté de la réalité.


J’avais froid. Mon corps entier tremblait. Putain, putain, PUTAIN. Dites-moi que c’est un cauchemar. Ce type que j’avais vanné ce matin venait de crever devant mes yeux, égorgé à vif, par ces saloperies qui sortaient de nulle part. J’avais envie de vomir. Je ne voulais pas croire à ce qui se passait. J’allais y passer. J’allais mourir aujourd’hui. Et je ne pouvais pas fuir. Ils allaient forcément me rattraper. D’autres l’avaient fait. Je ne savais pas s’ils avaient survécu ou s’ils étaient devenus des tas de chair inanimée. Comme les autres. J’allais finir comme ça. Merde !!

Phobos était blessé, et pourtant, il avait continué à se battre avec acharnement. J’allais finir par le perdre, lui aussi ! Deimos, se battait toujours avec rage, mais il était au bord du K.O. Je voulais que tout s’arrête. Je n’en pouvais plus. Et pourtant, j’étais aux côtés de mes hommes encore restés debout. Trop peu nombreux. Et cet homme que je connaissais bien. Kunai Óneiros.

Sur un moment d’inattention, je m’étais pris des coups de trop. Je sentais mon torse et mon ventre faire fleurir des roses écarlates tout le long de mon corps. C’était la fin. Je n’avais atteint aucun de mes objectifs. Ma vie aura été courte. Je voulais juste chialer pathétiquement. Je voulais implorer qu’on me laisse en vie. Mais face à des monstres pareils, c’était impossible. Non-négociable. Je m’étais retrouvé un instant dans les bras de la Faucheuse. La Mort avait été sur le point de me donner son premier et ultime baiser.


“Lieutenant Quartz ? On vous demande en bas. Rien d’important, mais on se disait que prendre un café vous ferait du bien.”

J’avais mis quelques secondes à reprendre mes esprits. J’avais cligné des yeux plusieurs fois, signe palpable de dissociation traumatique. C’était comme si j’avais fait un cauchemar éveillé. Merci à ce larbin, euh, subordonné de m’avoir sorti de cet état. J’étais pâle, cela dit, mais je me forçais à garder un air froid et droit, hochant la tête.

“Comme c’est aimable ! Mais seulement quinze minutes, on a du travail. Que je ne vous vois pas lambiner, compris ?”

“Je… Non. C’est que comme vous n’avez pas l’air dans votre assiette depuis… Vous savez… Ce serait tout à fait normal que vous mettiez du temps à vous remettre au travail, prenez votre temps-...”

“Je vais PARFAITEMENT BIEN.”, avais-je répondu sèchement en le coupant à moitié, me levant et laissant mes dossiers en plan avant de mener le type vers la sortie.

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Boire du café avec mes subordonnés, juste ça. Chose que je ne refusais jamais, même quand j’avais beaucoup de travail. Les pauses étaient toujours importantes, sinon, on se montrait carrément inefficaces et je me refusais de l’être. Encore plus depuis mon accident. Je n’étais pas un infirme. Pour autant, malgré les discussions absolument pertinentes que pouvaient avoir des fonctionnaires de l’armée et des militaires, j’étais comme absent. Perdu dans mes pensées, par moment. Ou alors sur mes gardes, des fois qu’on perce à jour ma carapace. Je n’étais finalement pas d’humeur à partager la dégustation de ce breuvage dégueulasse sortant de la machine à café ignoble d’un collègue. J’aurais mieux fait d’utiliser la distributeur à boisson, ç’aurait pas été si pire. Le jus de chaussette, on s’y fait, quand on ne cherche que la caféine pour survivre à la journée.

Lorsqu’ils partirent tous fumer ou pisser, j’en profitai pour repartir dans mon bureau d’une démarche assurée, même si à l’intérieur, j’aurais aimé juste me traîner mollement comme un adolescent peu ravi d’aller en cours. Dur de fonctionner correctement quand on ne dort plus très bien. Je ne savais pas quand j’allais à nouveau pouvoir dormir sur mes deux oreilles. J’étais dans un sacré déni. Je me disais que tout allait bien constamment. Pourtant, ces cadavres dansant devant mes yeux quand je les fermais… Ils étaient bien là à me rappeler que je n’avais pas pu les protéger. Que je n’étais pas assez bien préparé, comme le suggérer cette poufiasse de Pristi.

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Contre toute attente, j’avais fini par m’y mettre assez tôt dans la matinée, pour au final être suffisamment avancé à midi. Je n’aurai donc pas à effectuer des heures supplémentaires pour atteindre l’objectif que je m’étais fixé aujourd’hui. Parfait. Je n’aurai pas pu espérer mieux. J’étais un bourreau du travail, mais ma résistance avait drastiquement chuté depuis cet été. Comme c’est bizarre ! Encore quelque chose qui me faisait bouillonner de frustration.

J’avais donc pu me rendre à la cafétéria, un peu plus détendu, pensant que cette journée serait moins pire que les précédentes et que les suivantes, hypothétiquement.

Cependant, dès lors que j’eusse commencé à ramener ma fourchette à ma bouche pour déguster ma succulente salade tôkanienne confectionnée ce matin-même, je compris que ma journée allait être gâchée puisqu’un collègue - responsable des recrutements - s’était assis en face de moi avec des intentions très malveillantes dans les yeux.

Souriant avec hypocrisie, et parce que je n’avais pas trop le choix d’en faire autrement, je le laissai s'asseoir. Évidemment, l’envie de lui dire de se casser et de ne pas m’adresser la parole était beaucoup trop forte, puisque dans son regard, on discernait sans peine qu’il allait se décharger de ses fonctions pour aller chercher son môme malade à l’école, un truc du genre.

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Bon. Sans plus de suspens, voici ce que le responsable des recrutements osa me confier comme mission - comme si j’avais que ça à foutre :

“Bonjour, Monsieur ! Est-ce que vous seriez emballé par l’idée de jouer au recruteur cet après-midi ? Voyez-vous, ma fille est très malade, je dois aller la chercher à l’école, la pauvre puce… Elle a huit ans et elle s’appelle Vanessa, elle est adorable, vraiment…”

J’en ai strictement rien à foutre d’à quelle point sa fille est adorable, mais je croisai les mains, attendant qu’il ait terminé de m’expliquer ce qu’il voulait que je fasse à sa place.

“Je suis censé recevoir un jeune homme souhaitant être transféré de la base navale d’Uchinâ vers ici pour être plus proche de sa famille. Bien sûr, il doit être compétent pour que nous acceptions. Je connais votre rigueur et votre perfectionnisme, alors je suis certain que vous ferez le bon choix, quand vous l’aurez écouté, n’est-ce pas ?”

Impossible de dire non, alors, avec toute l’hypocrisie du monde, j’avais accepté sans râler, continuant à écouter ses indications et acceptant le CV ainsi que la lettre de motivation qu’il m’avait tendus.

“Bizarre qu’il souhaite changer. On est bien à Bedwyr, mais Uchinâ, c’est dépaysant. Peut-être qu’il en avait marre des touristes et des jeunes fêtards.”, avais-je plaisanté pour chasser ma frustration.

L’entretien devrait me faire perdre une demi-heure au grand max. Je raccourcirai ma pause déjeuner et les suivantes pour compenser. Fais chier.

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De retour au bureau avec une boisson un peu trop caféinée pour être correcte pour les nerfs, je m’étais laissé tomber sur mon siège de bureau. Le rendez-vous devrait avoir lieu à quatorze heures, ce qui me donner le temps d’avancer mon travail personnel dans un premier temps. Pourtant, seulement vingt minutes plus tard, quelqu’un était venu frapper à ma porte. Trop en avance, mh ? C’était mieux qu’en retard, mais tout de même !

Me relevant, après avoir vérifier que mes cheveux étaient impeccables, j’ouvris la porte, découvrant en réalité… un nain ? Non. Non non non. C’était juste un Machoc. J’avais un peu honte de cette réflexion, mais personne ne pouvait s’immiscer dans mes pensées et encore heureux.

“Qu’est-ce que tu veux ? Lambine pas et retourne t’entraîner avec les autres Machoc, veux-tu ? J’ai du travail.”

Baissant les bras tristement, le petit Pokémon tourna les talons. Je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait, mais le voilà parti, et moi, retourné à mon bureau. Je pris soin d’ajouter sur ma porte de ne frapper qu’en cas d’urgence ou de rendez-vous d’entretien. Auquel cas, je me permettrai d’envoyer paître toute intrusion. Merde, quoi ! J’avais aucune envie qu’on me fasse chier, aujourd’hui. Ni jamais, en fait.

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Cher Père Noël (ou quelconque instance divine de la magie de Noël et autres conneries similaires),

Je n’ai pas pour l’habitude d’être exigeant envers quiconque que moi-même, et pourtant, aujourd’hui, il y a bien des choses que j’aimerais vous demander.

En premier lieu, je souhaiterais que cette saloperie de stress post-traumatique disparaisse et me laisse dormir sur mes deux oreilles. Qu’on laisse ce trouble à d’autres puisque je n'ai absolument pas le temps de m’embêter au travers de ces diverses séances de thérapies. Même si elles sont remboursées par la sécu. Je n'en veux pas. Merci bien.

Ensuite, si cela est en votre pouvoir, je fais le vœu que la machine à café cesse de déconner, parce que boire de l’eau chaude avec un soupçon de café semblable à du jus de chaussette, ça commence sérieusement à agacer mes subordonnés. Je suis pour l’heure obligé de leur faire le café avec la machine dernier cri se trouvant dans mon bureau. Évidemment, je n’apprécie pas que mon bureau devienne le café du coin, et je pense que vous pouvez le comprendre. J'ai besoin d'intimité lorsque je travaille, comme tout le monde.

Pour continuer, je souhaite que Masha Pristi prenne le plus de temps possible à se remettre de ses blessures. Le karma a frappé juste, et je pense que plus longue sera sa guérison, et mieux le peuple se portera, croyez-moi sur parole. Cheh, comme disent les jeunes.

Enfin, voilà un vœu de fin d’année peut-être un peu saugrenu et osé de ma part, mais si possible, je souhaiterais retomber amoureux. Il paraît que ça aide à oublier la merde du quotidien, ou au moins à trouver la vie moins amère et fade. Si possible, j’aimerais ne pas tomber sur un cas social, parce qu’il paraît que je les attire… Pas de criminels, par pitié.

Sur ces belles notes gorgées de romantisme mielleux,

Je vous remercie d’avance de bien vouloir répondre à ma requête dans des délais plus corrects que ceux de la justice Agapéenne,

Bien à vous,

Meteor QUARTZ
Lieutenant Trismegis, Secteur des Armées

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Il était en retard, le petit nouveau qui devait être transféré. J’étais d’autant plus agacé, puisque je n’osais pas vraiment continuer mon travail de peur d’être dérangé et perturbé par sa peut-être apparition angélique. Enfin, il n’était pas encore là, et visiblement, il n’avait pas eu d’épiphanie, ni ne s’était dit que peut-être, éventuellement, il fallait arriver à l’heure pour bosser. Qu’il aille se faire foutre, un peu. Je pris tout de même ma pause café, dehors.

Quelques collègues étaient également là, un peu endormi et ramolli par l’après-midi qui commençait, sous les légers flocons, à discuter de ce qu’ils feraient pendant le réveillon. C’est là qu’un mec commença à étaler son savoir sans qu’on lui ai rien demandé.

“Vous saviez que les saturnales, c’était une fête antique où on s'échangeait des cadeaux et où on apportait la plus grande liberté aux esclaves ? C’est ça qui a donné Noël, en fait.”

“Parce que ça te plaira, d’être esclave, toi ?”, lui répondit un autre, avec un sourire mesquin de lutin.

“On bosse déjà comme des esclaves, par moment, c’est pas si différent… Mais au moins, on aura de la dinde et de la bûche, bientôt, à la cantine.”

Visiblement, ils ne m’avaient pas vraiment remarqué. Jusqu’à ce que j’hausse un sourcil et tousse, puis surtout, que je l’ouvre.

“Si vous voulez, je peux vraiment vous traiter comme des esclaves, pour vous rendre compte de la chance que vous avez, de pouvoir vous permettre une pause depuis trente bonnes minutes alors que celle de midi vient seulement d’être terminée. C’est votre troisième clope, là.”, avais-je compris en observant les cendriers de ces messieurs.

Parcourus de frissons, les abrutis s’étaient excusés et étaient repartis à leurs fonctions. Je n’aurais pas pu espérer mieux. Ils se permettaient trop de choses, en mon absence, ces abrutis.

Quelque chose vint buter contre ma jambe. Une petite tête rose en forme de boule qui pleurait. Un Pokémon qui ne vivait normalement pas ici. Je pensais comprendre ce qu’elle voulait.

“T’as perdu ton marteau, j’imagine ?” Comme la créature de féérie grelottait, j’enroulai mon écharpe autour de son petit corps rose. “Si tu le retrouves pas, je t’en fabriquerai un peu. Je sais forger des trucs.”

Assez enthousiaste, la Pokémon babilla de joie. Je supposai que j’avais adopté un nouveau Pokémon…? Je n’avais pas de Pokémons de type Fée, hormis une Trousselin qui était surtout là pour verrouiller tout ce qui se rapportait à ma boutique. Ce serait un excellent atout une fois entraînée.

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N'ayant pas de Pokéballs sur moi, surtout quand je partais en pause (pas clope), j'avais dû faire rentrer discrètement la Forgerette dans mon bureau. Je savais gérer les Pokémons, mais on ne pouvait pas dire qu'ils soient nécessairement les bienvenus dans nos bureaux. En dehors, pour ceux appartenant à l'armée, ça allait. Il fallait que tout soit parfaitement contrôlé. Comme des outils sans volonté propre. C'était un peu ce qu'on attendait d'un soldat, il y a quelques siècles en arrière. Heureusement que les droits humains avaient nettement évolué. Ça ne les avait pourtant pas empêché de nous envoyer à l'abattoir comme du bétail, cet été.

J'avais chassé ces pensées bien sombres pour rejoindre celles du travail. Austères, mais semblables à un sanctuaire où aucun mal ne pouvait m’atteindre. Le travail avait toujours été un véritable refuge, lorsque la vie n'était pas très clémente.

J'avais demandé à la Forgerette d'attendre dans un coin avec du papier et des crayons, comme s'il s'agissait d'une enfant. Je n'avais pas encore d'idées de surnom à lui donner… J'allais attendre ce soir pour obtenir l'inspiration divine.

On frappait enfin à la porte. En regardant ma montre, je notais trente-sept minutes de retard. J'allais sans doute l'humilier quant à sa ponctualité désastreuse. Qu'il oublie cette affreuse habitude, par pitié. Je n'avais pas son temps, moi.

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Ce jeune homme ne me semblait pas si sérieux que ça. J’avais pris le temps de lui expliquer les codes de la ponctualité et du savoir-vivre. Dans certaines situations, un tel retard pourrait littéralement faire rayer de la carte toute une nation. J’avais fait exprès de prendre des exemples on ne peut plus dramatiques pour que le message passe, quitte à passer pour un vieux con malgré mon jeune âge. Ponctualité, tenue… Bon, à part ça, il avait un très bon dossier. Laxiste, mais avec des facilités. Du même genre que mon frère cadet. C’était quelque chose de frustrant pour les bourreaux du travail comme moi, ce genre de comportement.

J’avais pris plaisir à lui poser des questions extrêmement difficiles. Le genre de sadisme que je me permettais pour voir comment ces soldats résistaient à la pression. J’étais moi-même passé par des entretiens similaires. Peut-être moins pire, car j’étais particulièrement cruel, par moment.

L’entretien désormais terminé, je me permis à nouveau une pose, dépité par la quantité de dossiers qu’il me restait à faire pour la semaine. Dans ce genre de moment, j’aimerais beaucoup avoir un esclave….. Non, pas de sombres pensées, il est encore trop tôt pour ça.

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