Me revoilà encore en route pour Kalahari. Je bougeais beaucoup, ces derniers temps. Entre ma défaite cuisante de septembre contre le Champion de Bedwyr et l’attaque des Paradoxes dans la ville basse, j’avais tendance à me montrer particulièrement… fuyant-e. Surtout depuis que les Victinis avaient laissé échapper que certains laboratoires de Lost Hovel expérimentaient sur les cerveaux humains. Je ne pouvais m’empêcher de penser que tout cela avait un lien avec mon amnésie. Je luttais pour me rappeler des dix premières années de ma vie, et pourtant, rien ne m’était encore revenu malgré ma thérapie. C’était la raison pour laquelle je doutais de mon père adoptif. Et pour en avoir le cœur net, il fallait que j’attende d’avoir 18 ans, et que je consulte enfin mes dossiers médicaux et rapports au sujet de la soi-disante secte dont on m’avait extirpé-e. C’était bientôt, mais ça paraissait si loin en même temps. Je n’avais aucune putain de patience. Mon père essayait de m’en dissuader le plus possible, de peur que ça ne me brise. Comment pouvais-je ne pas douter, s’il se mettait en travers de mon chemin ? Il m’aimait et souhaitait me protéger, ok. Mais moi, je voulais savoir. Je pouvais encaisser.

Le temps était passé très vite. En même temps, j’avais passé une partie du trajet à me changer dans les toilettes du train. Perruque noire mi-longue, avec des mèches plus longues sur l’avant. Je me sentais très à l’aise avec cette coupe de cheveux, certains jours. Pas aussi pratique que les cheveux courts, mais c’était joli. J’avais également osé porter une jupe plissée à motifs tartan rouge, m’arrivant au-dessus des genoux, qui allait à merveille avec des collants noirs. Quant au haut, il s’agissait simplement d’un T-Shirt noir un peu oversized que j’avais rentré dans ma jupe. Assez simple, mais confortable.

J’étais d’abord arrivé-e à Lapis-Cité, puis j’avais pris une correspondance pour la Savane Béryl. Je comptais y entraîner mes Pokémons pour me défouler, surtout ma Mesmérella qui n’allait pas tarder à évoluer, normalement. J’avais également sorti mon Farfuret que j’avais trouvé abandonné dans un carton, après le bordel du 16 Octobre. Il était frigorifié et affamé, donc facile à capturer. Mon père avait fait la gueule. Je commençais à avoir trop de Pokémons à son goût. Je les gérais bien, et j’étais responsable ! Puis comment j’allais battre Sūrya, un jour, si je tentais pas d’autres compos d’équipe ?

M’asseyant sur un rocher pour prendre une pause dans toute cette marche en pleine nature, je plissais les yeux et commençais à apercevoir une silhouette au loin. Un type à qui demander un combat ? Ce serait une bonne occasion. J’entendais une musique que je connaissais, sans doute provenant de son holomontre ou d’une enceinte portable.

Mon corps se raidit d’un seul coup lorsque je compris qu’il s'agissait du délégué de ma classe. Je commençais à suer à grosses gouttes et à avoir des palpitations. Il allait me voir et en parler à tout le monde. M-merde !! C'était improbable. Je ne pouvais pas me cacher, c’était trop tard.

Lorsqu’il arriva à mon niveau et que nos regards se croisèrent, je sortis mon couteau suisse de ma poche automatiquement et le pointait en sa direction.

“Tu... t'en parles à q-qui que ce soit, t’es mort. C-Compris ?”, tremblais-je avec une voix chancelante, signe que j'étais dans un état de nervosité extrême.

Une réaction un poil disproportionnée, mais je ne voulais pas qu’on me casse encore plus la gueule, ni avoir la réputation d’un travesti. J’encaissais déjà assez de violences juste en étant adopté et ayant un TDAH. On commençait à m’emmerder quand je portais de l’eye-liner, depuis la rentrée de septembre, je n’avais pas besoin de soucis supplémentaires.

Il voulait qu’on se castagne avec nos Pokémons, à la base ? J’étais encore plus décontenancé-e, toujours avec ma lame pointée vers lui. Il n’avait même pas l’air de l’avoir reconnu-e. je m’étais peut-être un peu trop emporté-e, auquel cas je devais avoir l’air sacrément débile. Ou folle. Mais dans le doute…

“T’es con ou tu le fais exprès ? Je suis pas non plus méconnaissable : j’ai la même voix, la même tronche !”

Aucun chill, ici. Mais je craignais qu’il ne m’agresse. Ou qu’il répète tout à tout le monde une fois de retour à l’Académie. On me faisait déjà chier trop souvent, je ne voulais pas que le délégué en rajoute une couche.

Il ne m’avait pas reconnu-e tout de suite. Je baissais légèrement mon couteau, jusqu’à ce qu’un sourire apparaisse sur ses lèvres. Pourquoi riait-il alors que je menaçais de le découper ? Trop bizarre le gars. Je fronçais les sourcils, menaçant-e. Lorsqu’il se mit à rire et à bégayer, je rangeais mon arme dans ma poche et me redressais. Il devait mesurer quasiment dix centimètres de plus que moi. J'étais un peu en infériorité métrique.

Je sentais à son rire nerveux qu’il ne savait pas comment réagir. Classique de la part des gens qui connaissent rien et tentent d’avoir l’air poli.

Je râlais un peu, même si j’avais moins une tête d’assassin qu'avant. “Raaah, c’est bon ! Je suis juste non-binaire, rien de fou.” C’était juste pas évident de faire comprendre ça aux gens, mais je devais apprendre à m’en foutre, sinon j'étais mal barré-e, si je voulais espérer m’affirmer.

Je tirai une gueule désabusée lorsque je le vis gesticuler et balancer sans prévenir qu’il avait du mal à trouver des bas à sa taille. “...Pardon ? Tu te fous de ma gueule ?”

Non, il n’en avait pas l’air. Je ne savais pas qu’il était potentiellement comme moi. Peut-être que Yuuta était même une fille, en fait. Ce serait cool de pas être seul-e dans la classe. Je finis par sourire légèrement, puis rougir à son compliment, même si je n’étais pas lae plus doué-e pour ça.

“Merci. Pour les bas, y’a des magasins qui proposent des grandes tailles. Je demanderai à une amie, s’tu veux. Puis tu me dirais comment j’dois m’adresser à toi, et devant qui je peux le faire, toussa.” J'en oubliais presque que j’avais menacé Yuuta il y a très peu de temps. “Désolée pour la menace de mort, au fait.” S’excuser, il paraît que c’est mieux, et je ne le faisais pas assez souvent. “Tu fous quoi ici, au fait ? Tu cherches des Pokémons ?”

J’étais beaucoup plus bavard-e, maintenant que je savais que Yuuta était plus ou moins comme moi. C’était presque étonnant, d’ailleurs. Depuis que j’avais rencontré Lydia, j’osais m’ouvrir davantage qu’avant.

Plus la conversation avançait et plus je comprenais que non, Yuuta se foutait pas de ma gueule. Il était bien comme moi. C’était bien la dernière chose à laquelle je m’attendais, mais ça devait être un soulagement autant pour lui que pour moi, à en croire son soupir.

“‘kay, pas devant les autres, alors. Lydia sait pour moi, donc y’aura pas de soucis à ce niveau. Et pour les autres guignols de la classe… Bonne chance. Je me fais insulter et taper de temps à autre. Pas uniquement parce que je me maquille, mais ça leur donne un prétexte. De toute façon, quand c’est pas pour ça, c’est parce que je suis bizarre ou adoptée.”, grommelais-je dans ma non-barbe que j’espérais ne jamais voir pousser. Une chance que pour le moment je n’ai qu’un duvet très facile à enlever.

Je pense que ça devait lui faire bizarre à Yuuta, que je parle autant. Habituellement, en classe, sauf quand je participais activement dans mes cours préférés, je ne m’exprimais que de grognements et de vagues mots désagréables. Le souci étant qu’une fois lancée, je parlais beaucoup. Toujours d’un air désabusé et nonchalant, mais c’était quand même loquace, quoi.

“Je crois que mon prénom est mixte. Fais comme d’habitude. Mais si on croise des gens de notre classe, dis que je suis Mei, la cousine Kôyôïte de Fēi.”, plaisantais-je d’un sourire narquois. Je n’étais pas plus à l’aise que lui devant les autres, surtout ceux qui risqueraient de me reconnaître. “Pareil, si t’as un nom que tu veux que j’utilise, hésite pas.”

Sujet d’adolescents “woke” mis de côtés pour discuter de Pokémons, plutôt, Yuuta semblait beaucoup plus à l’aise, d’un coup. Je fis signe à mon Farfuret de s’approcher, tout en veillant à ce qu’il ne soit pas trop malveillant. Il était du genre à voler et emmerder tout le monde, s’il s’ennuyait.

“La Savane… Pas commun comme lieu, par contre. Heureusement que c’est bien surveillé ici, on devrait pas avoir de mauvaises surprises.” Je repensais à mon père adoptif qui m’avait interdit d’aller dans des zones sauvages, en dehors des villes, tant que la menace des Paradoxes planait encore. Askip’, ils s’étaient calmés, mais on sait jamais. “Mouais, à Bedwyr, à part harceler les Miaouss, y’a rien à faire. Ils sont pas très forts, donc on se fait vite chier, quoi.”

Séraphin le Farfuret, voyant ses deux semblables Pokémons s’amuser tous les deux, décida de s’inviter. Pourvu que ça se passe bien. J’avais la flemme de démarrer une bagarre, présentement.

“Pareil. Et si je trouve un Pokémon Psy ou Ténèbres un peu cool, je le prends.” Je pense que ça répondait à sa question pour les types préférés. “Je m’entraîne pour ma prochaine arène, aussi. Sūrya m’a défoncé en septembre, donc je dois être au niveau pour le prochain Champion que je vais rencontrer. Et toi, t’as un type ? Pour les Arènes je te déconseille de faire Bedwyr en premier comme moi, il est pété.” Un trauma ? Peut-être un peu, puis j’avais beaucoup paniqué pendant le match. "Je voulais commencer avec Azusa, mais il boudait, à l'époque. Son Arène était fermée et j'arrivais pas à défoncer la porte."

Peut-être que le fait d’avoir évoqué qu’on me tapait directement au délégué allait m’aider à justement ne plus être une grosse victime de harcèlement. Pas que je me sente persécuté-e non plus, mais c’était toujours relou d’être sur le qui-vive et de devoir garder ma main constamment dans ma poche à la recherche de mon couteau. Des fois, je n’avais même pas le temps de l’atteindre que j’étais par terre, incapable de bouger. Ce n’était pas le plus courant, après. Le souci, c’était surtout les moqueries et les racontars dans mon dos. Même si je faisais lae dur-e et que je donnais l’impression de m’en foutre, je finissais toujours par me rouler en boule dans mon lit, en espérant que le sommeil réglera tous mes soucis, et que le lendemain sera moins pire.

Les conversations suivantes m’aidaient à ne pas trop y penser. Les Pokémons et les combats, c’était plus simple. Si seulement je pouvais me défendre comme ça face aux clowns de notre classe, j’aurais sans doute la paix. La plupart de nos camarades n’avaient pas de Pokémons, ou alors des Pokémons de compagnie qui ne combattaient jamais et passaient leur temps sur le canapé à bâiller aux Cornèbres.

“Oui, Psy ou Ténèbres. Je sais pas s’il y en a, ici. Dans le pire des cas, je serais juste venu pour m’entraîner, c’est déjà cool.”

Du côté de Yuuta, iel n’avait pas vraiment de Type en tête, même si je notais qu’on aimait tous les deux le Type Ténèbres. Peut-être qu’on pourra chasser les Pokémons Ténèbres ensemble, un jour. L’idée de parcourir les hautes herbes avec un-e potentiel-le ami-e, ça éveillait des émotions très agréables en moi. Je n’avais pas beaucoup d’amis, encore moins d’amis qui s'intéressaient aux Pokémons et à la bagarre.

“J’sais pas trop, iel doit avoir beaucoup de demandes, maintenant qu’iel est de retour, alors j’vais peut-être prendre rendez-vous avec Cornélia Gnaux. Des Pokémons Vaches, ça doit pas être trop dur, je suppose ? Azusa, ce sera pour après.”

Mon Alakazam connaissait beaucoup de capacités de Type Combat, comment ça pourrait mal se passer ? A moins qu’elle ait des Pokémons Ténèbres, tout ira bien.

“Le Prof de bio’ ? J’espère qu’il va pas trop te rouler dessus. Il est cool, mais il a un côté sévère, en vrai. J’sais pas s’il t’a déjà collé ou convoqué, mais…” Il n’était pas si horrible que ça et souhaitait vraiment que je progresse en biologie, bien que je lui ai affirmé maintes et maintes fois que je détestais sa matière et que j’avais hâte d’être en études supérieures pour ne plus jamais avoir affaire à ça. “Il insiste beaucoup pour qu’on progresse, c’est du harcèlement, limite.”

J’étais de mauvaise fois car j'avais dû recopier plusieurs fois les mêmes schémas de cœurs anatomiques pendant deux heures, en colle. Tout ça parce que je m’étais amusé-e à faire de la charpie avec celui qu’on devait disséquer en cours… En même temps, ça m’énervait, j’étais pas très précis-e avec mes mains.

Le prof de bio ? Sympa ? Oui, bon, ça allait. J’allais pas être mauvaise langue. Surtout qu’il faisait en sorte qu’on progresse. Il n’était peut-être pas aussi sadique que je le prétendais. …Quoique. Les cheveux roses cachent parfois une personnalité vraiment inquiétante. C’était comme ça dans les animes, donc j’avais de quoi être très méfiant-e.

“Nan mais le prof de philo, c’est autre chose. Il doit détester son métier, pour être aussi cruel. En même temps, j’serais aigri, moi, si mon seul talent, c’était de philosopher. Mis à part prof de philo, tu peux rien faire, mdr.” Je parlais beaucoup, et je dévoilais que j’avais une sacrée mauvaise langue de commère, quand je m’y mettais. Tant pis si ça incommodait mon camarade, je ne pouvais plus m’arrêter de parler. “Encore, ça va, il m’aime bien parce que je lui pose toujours plein de questions, puis j’ai des notes correctes. Les profs de philo adorent réfléchir pour rien, donc je lui donne du travail, j’suis sympa.”

Moi aussi, j’aimais bien Monsieur Óneiros Neos, en vrai. En tout cas, en dehors des cours, genre en sortie scolaire, ou quand il propose des goûters pour diverses occasions qui n’ont des fois pas lieu d’être. Personne ne râlait, quand ça arrivait, dans tous les cas. Vus les derniers cours abominables auxquels j'avais rien compris - la génétique, les génomes et autres trucs que je vais oublier d’ici l’année prochaine… On peut dire que ça creuse, même si je suis pas très gourmand-e.

Un aboiement me sortit de ma bavardise. Mon attention avait été facilement saisie par le canin. Mon Farfuret également, semblait particulièrement emballé par l’idée de faire des malveillances. L’ayant remarqué, à fureter discrètement derrière le Caninos, Astérie l'attrapa par la peau du cou pour le calmer.

“C'est trop cool quand ça évolue, ça ! C'est tout fluffy, mais ça prend de la place, par contre.”, concluais-je en m’imaginant avec la bestiole dans mon lit une place. Mauvais idée. Pas trop un Pokémon pouvant faire office de nounours. “Bah ouais, chope-le. Tranquille.”

J’étais du genre à tout attraper sans consulter mon père qui commençait sérieusement à s’inquiéter du budget croquettes. Il avait un bon salaire, mais ça allait être la galère, si je commence à en ramener un toutes les semaines, quand même.

“Mais de ouf. T’es un génie. En plus il a des types Acier, tu vas le défoncer.” J’étais peut-être un peu trop optimiste. “J’crois qu’il a pas mal de Psy et de Spectres, donc bourre les attaques Ténèbres sur ton Caninos, genre.”

Son Caninos. Je crois lui avoir porté chance, puisque le doggo était bien rentré dans la boule, sans faire d’histoire. Je repensais à la fois où j’avais gâché cinq balls sur Astérie, à l’époque où je débutais dans le trainer game. La honte, genre.