Ce soir, personne ne m’appellera. Je ne prendrai aucun appel, non, non, non. Ce soir, je suis libre, et je ne serai à la merci de personne. De la marchandise ? Un client ? Oh, mais c'est du pareil au même, puisque si c'est vivant, c’est un client, et si c'est mort, c’est de la marchandise ! Quoiqu’il en soit, ce soir, comme je le disais un peu plus tôt, je ne prendrai aucun appel. Mon Holomontre est éteinte, bien au fond de mon étui à shamisen.

Vêtu de vêtements traditionnels, ou d’un “Kimono de Geisha”, si on veut être plus précis, je danserai sur la piste, sur une de mes musiques favorites en ne pensant plus à rien. Plus à rien, sauf à moi-même. Je ne serai plus rien. Ni Topaze de la Jaspe, ni Kohaku de la famille Akitsune. Quid de Dame Vermeille et de ses effluves parfumées et de Père Ambroise et de ses mantras ? Absents !

Libre. Je le suis, ou en tout cas, j'en ai la sensation. Je plais et il me plaît de plaire. Dans une autre vie, j’aurais pu épouser une très jolie demoiselle de la Haute-Uthyrgham et être pistonné, obtenir un travail chiaaant et tranquille, ne pas vivre parmi les Ombres en faisant semblant de briller à la lumière. J’en aurais été capable, oh que oui~

Mais j’étais enchaîné. J’étais leur esclave. J’avais commencé avec du sang sur les mains, et désormais, je baignais dans une mare de sang chaud jusqu’au cou. Quand allais-je m’y noyer ? N’était-ce pas mon destin, finalement ? Un destin auquel j’allais de toute façon m’échapper sans perdre une seule plume, comme à chaque fois. Pas vrai~ ? La Jaspe, j’allais finir par réussir à la planter. Je me disais ça depuis bientôt vingt ans. Pour autant j’y comptais bien.

Mais pour l’heure, je me noyais dans les effluves d’éthanol et l’adrénaline de la fête. Je chantais, dansais et attirais toute l’attention. J’étais vénéré comme un dieu ou une déesse, présentement. J’étais Ambre K. Akitsune, le célèbre artiste traditionnel, l'étoile montante d’Heian. L’homme aux multiples facettes, le roi du travestissement.

Personne ne savait. Personne ne sait. Personne ne saura.

Ce directeur d’entreprise corrompu que j’ai éliminé quelques heures plus tôt et dont le corps a été emporté par mes pairs. Personne ne se doute qu’il a disparu. Ni que j’en suis le responsable. J’avais exécuté. J’avais reçu un bon pactole. Mes sœurs allaient pleinement profiter du Festival Printanier. Qu’importe que j’en fasse des cauchemars, que je vomisse durant les nuits à vomir jusqu’à me purger entièrement de ces images. Ce n’était qu’un pourri ! Il a eu ce qu’il méritait, et c’était très bénéfique pour mon portefeuilles !

Partez ! Disparaissez ! Zzzzoooouuuuu ! Bye-bye les souvenirs. Disparaissez à mesure que j’absorbe cette substance bien trop illégale pour être normalement admise dans un club. Pour autant, ça n’avait pas empêché cette jeune femme de m’en proposer sans rien demander en retour, si ce n’est peut-être… Mes faveurs, évidemment~ Elle vantait la douceur de mes traits, la qualité de mon maquillage et de mon déguisement. Forcément, j’étais un génie en la matière.

Ce soir, je n’ai pris aucun appel. J’ai oublié. Tout oublié, sauf ma propre personne. C’était ainsi que je profitais, après une journée de travail pour la Jaspe. J’allais finir par monter dans la hiérarchie, c’était certain. J’allais me débarrasser du sale boulot dégoûtant qui me pendait aux tripes. Une personne aussi merveilleuse et importante que moi ne pouvait pas stagner au rang d’exécuteur, aussi doué sois-je !

Je m’étais réveillé mollement dans une chambre inconnue. Heureusement pour moi, nul besoin de paniquer. J’étais en bonne compagnie. Mes idées n’étaient pas assez claires pour que je me relève et émerge. Je profitais de la chaleur de ce lit. Le repos et les affres du plaisir étaient toujours bien accueillis. Avec ma bonne gueule, c’était chose facile, d’envoûter les premiers venus ! J’avais rempli une mission, hier, après tout. J’avais bien le droit de me permettre de me reposer et de profiter de ma jeunesse.

Ta jeunesse s'envole, Ambre.

Ta vie s’envole, Ambre.

Tu n’as aucun contrôle.

Aucun.

Putain.

DE CONTRÔLE.

Mes muscles se tendirent vivement, me causant une douleur brusque qui me fit tressauter et gémir. Même si j’avais tenté d’étouffer cela, ma partenaire d’hier soir se réveilla, me regarder avec questionnement, pensant que j’avais mal quelque part. Alors, naturellement, dans un élan de mythomanie, j’improvisais, comme je l’avais toujours fait :

“Ce n’est rien, je viens de me réveiller d’un affreux cauchemar~ Mais tout va bien, je ne m’en rappelle déjà plus !”

Conquête rassurée, je retournai dans les bras de Cresselia, profitant de rêves et de pensées plus clémentes. J’arrivais à chasser ces pensées… inappropriées ! Ce que je faisais de mal, je le faisais pour le bien, oui. C’était de l'auto-persuasion, mais ça ne faisait rien.

Quelques heures plus tard.

J’avais sans doute exagéré hier soir~ Qu’importe ! J’étais vivant, et cette balade de début d’après-midi était agréable. Je prenais mon temps pour rallumer mon Holomontre. J’avais parfois besoin de me couper à la fois des réseaux sociaux et… du travail. S’ils voulaient vraiment m’en donner, ils sauraient probablement où me trouver, et facilement.

Quand est-ce qu'on allait me mettre la corde autour du coup ?

Mon Holomontre était allumée. Ça y est. J’en profitais pour laisser Kabuki de sortie. La bestiole que j’avais finalement prise en affection. Il était mignon, à faire toutes ces malveillances à des passants quand il se sentait d’humeur joueuse. Il m’aidait tellement lors de missions ! Prenant mon apparence - déguisée - dans le but de tromper de pauvres gens. Et tout ça me permettait de me voir d’un point de vue extérieur, ce qui n’était pas pour me déplaire…~

“Mais c’est que tu es drôlement mignon, aujourd’hui~”, lui soufflais-je, un minimum attendri, bien que je ne montre pas forcément cette facette en public, surtout dans les quartiers de la Jaspe. On pourrait voir ça comme une faiblesse. On pourrait me le prendre pour faire pression, tout comme il y avait une pression considérable sur ma famille qui planait, dans le cas où je désobéirais et montrerais la moindre trace de rébellion.

“Mmmmmh… De quoi allons-nous nous délecter, ce midi, mon cher associé ?”

Le Pokémon vulpin glapissait, comprenant qu’il allait se régaler - et surtout ne rien payer, hihihih~ Petite canaille. Crois-moi que si tu étais humain, ce serait à toi, de me régaler. Une chance que tu ne sois qu’une bestiole à fourrure.

“J’ai trèèèès envie de poisson frais, mais c’est hors de prix… Que faire, Kabuki ?”

Je me montrais désemparé, bien embêté devant les prix exorbitants de la véritable chair de Pokémon. Et pourtant, j’en avais les moyens ! Mais non, j’allais garder mon salaire pour le Festival, comme c’était convenu. Puis, la maison des parents méritaient encore quelques rénovations.

“Des ramen, ça fera l’affaire ! Nourrissant, savoureux… Fais comme d’habitude, si tu veux ta part, petite canaille !”

Et à mes mots, Kabuki prit l’apparence d’une jeune femme croisée un peu plus tôt dans la rue. Parfait, si on oublie cette queue de Zorua qu’il tentait de cachait sous une longue veste. Mon estomac criait famine, c’était l’heure de manger~

Comme c’est étrange ! Des nouilles abandonnées sur la terrasse de ce petit restaurant attirèrent immédiatement notre attention ! Et sur le sol en plus ! Les restaurateurs risquent d’être bien fâchés~ Je n’y fis pas très attention, tirant mon Zorua par la manche - puisqu’il était sous les traits d’une jeune femme - afin qu’il ne bondisse par sur le volatile.

“Cher Monsieur, bonjour ! Mon amie moi souhaiterions des tonkotsu ramen. Avec une carafe d’eau, bien entendu~ Je vous remercie de votre hospitalité ! Nous resterons à l’intérieur, puisque les Pokémons volatiles semblent raffoler de vos plats~”

Un regard interrogatif de la part de l’homme qui prenait les commandes, avant de plisser les yeux et de découvrir que derrière moi, un Etourmi picorait des nouilles. Peut-être avait-il fait fuir un client phobique des plumes, qui sait ? Pas mon souci~ Si jamais une scène de ce genre venait à arriver, le piaf s’en retrouverait déplumé, et peut-être rôti à la broche. Il ne valait mieux pas qu’il s’y essaye~

En tout cas, l’un des gérants s’était attelé à le faire fuir en faisant de grand geste et criant. Inutile de leur dire que le Pokémon reviendrait, puisqu’il savait qu’il trouvera de la nourriture non loin d’ici. Mais seul mon estomac m’intéressait à cette heure-ci. Il en était de même pour le vulpin qui avait la queue qui remuait.

“Cache.”, lui soufflais-je avec sévérité.

L’attente de mon bol de râmen était particulièrement long. Même si je ne le montrais pas particulièrement, le sake que j’avais ingurgité en grosse quantité hier soir me tiraillait sur l’estomac. J’avais des brûlures. Une migraine immense que je tentais d’ignorer malgré tous ces bruits aux alentours.

Le gérant faisait tourner une serviette de vaisselle pour faire fuir le tori gourmand en beuglant. Beuglant toujours autant en appelant un agent de service afin qu’il nettoie tout ce désordre. Je me tenais l’atama en grimaçant. L'arrivée du gohan allait être retardée, à ce rythme-là.

J’observais ma kanojo avec difficulté. Celle-ci me renvoyant un regard interrogatif sans laisser échapper un seul kotoba. Elle ne était incapable, il faut dire. Elle n’était pas ningen, à la base, rappelez-vous.

“Daijôbu. J’ai abusé. Voilà tout~”, laissais-je échapper, peu fier du résultat de ma soirée. J’avais trente-cinq ans, et j’avais agi comme si j’en avais vingt. Ce qui n’était pas un mal, mais je n’avais plus la même résistance qu’à l’époque où j’enchaînais aisément les nuits blanches et soirées festives.

La jeune femme factice avait posé sa main sur la mienne, gentiment. Derrière elle se trouvait mon partenaire, mon kyôdai. Il était le seul qui avait la chance de me voir dans ce si piteux état~ Il était bien le seul. Je ne montrais mes failles à personne, ni même à ma famille. Elle ne devait rien savoir d’autre que le fait que j’allais bien et que ma vie était emplie de succès.

Mes longs et épuisants instants de mélancolie étaient plus ou moins passés avec le réconfort de mon Pokémon. Ils demeuraient bien ancrés dans un coin de ma tête, mais scellés par ma raison. La gueule de bois ne me réussissait pas vraiment, non. Mais maintenant, notre plat était arrivé ! Il s'était fait attendre ! Un peu de bonheur dans cette vie dramatique digne d'une tragédie antique…!

Nous salivions tous les deux d'avance, face aux grands bols bien fournis. J'avais appris à Kabuki à très bien se tenir, mais celui-ci galérait toujours à donner l'illusion de bien tenir ses baguettes. Vivement qu'il évolue et les maîtrise à la perfection ! Je venais régulièrement le corriger et lui essuyer le coin des lèvres. La situation donnait l'air que je m'occupais d'une personne aux handicaps moteurs. Je sentais qu'on me regardait avec tendresse.

Oh que ce jeune homme a du cœur ! Il est si patient et dévoué !

Je m'amusais pleinement de la situation. Nous jouions tout deux très bien le rôle. Comme toujours. Deux partenaires de scènes et de crimes jouant avec leur image.

Il n’avait pas fallu bien longtemps, pour que nos plats soient engloutis. Nous avions mangé avec une certaine classe, évidemment. Moins pour Kabuki, mais ses efforts demeuraient notables, pour un Zorua sous illusion. Nous restait-il de la place pour du thé vert et un dessert. Oui, évidemment. Il restait toujours de la place dans nos ventres pour du thé vert et un dessert. Mon Pokémon mangeait vraiment de tout. La même chose que les humains. C’était ça, d’être un Pokémon omnivore… Bien qu’il ait sans doute besoin de plus de viande que moi, certainement. L’avantage des croquettes, c’était qu’elles étaient très complètes, mais je n’allais quand même pas lui en donner en public, sous forme humaine…

Des daifuku ! Un peu de douceurs dans ce monde de brutes auquel je participais activement… Après cela, sans doute que nous flânerons dans un parc… Nous n’avions que peu de temps pour buller avec insouciance. Toujours à être demandé à la Lumière, ou du côté des Ombres… C’était fatigant~

Notre sortie du restaurant se déroula sans encombre, ni aucun Poichigeon chapardeur ! C’était maintenant l’heure de la petite promenade digestive qui allait précéder la sieste dans le Parc Naturel~ En route mauvaise troupe !

Entre-temps, Kabuki avait repris sa forme originelle, bien plus à l’aise au naturel sur ses quatre pattes. Nous déambulions à rythme lent, profitant de l’air printanier qui balayait mes cheveux roux, écouteurs bluetooth aux oreilles en me laissant porter par ma musique du moment.

Je chantonnais à moitié, le sourire sur les lèvres. Je commençais à me sentir bien mieux, maintenant que j’avais le ventre plein et que j’étais presque purgé de ma soirée de débauche.

Si vous vous le demandiez, je l’avais bien sentie, cette petite main frêle qui avait extirpé avec une subtilité toute relative mon portefeuilles de ma poche. J’avais l’impression de retomber dans un souvenir dont je voudrais me passer, où les situations étaient inversées. J’avais fait la même chose à ce Monsieur Chapeau, au même âge. Devrais-je la poursuivre~ ? Je détestais qu’on me prenne mes biens, même si je dérobais ceux des autres sans vergogne. J’avais besoin de mes papiers d’identité, et je me passerais bien de tous les refaire~

Demi-tour.

La petite chapardeuse, j’avais bien vu à quoi elle ressemblait. Cheveux courts ébourrifés, noir comme le jais. De petite taille, n’ayant pas encore terminé sa croissance. Des vêtements troués, d’occasion. Est-ce que j’allais lui laisser quelques billets, mh~ ? Non, certainement pas. Elle n'avait qu’à être plus discrète !

Lorsqu’elle m'aperçut, dès lors que j’arrivai à son niveau, je lui offris un grand sourire loin d’être menaçant, en tout cas… pour le moment. La pauvre était pétrifiée et faisait mine d’être innocente.

“V-vous avez b-besoin de quelque chose, M-monsieur…?”

“V-vous avez b-besoin de quelque chose, M-monsieur…?”

Ses petits airs paniqués et faussement innocents étaient adorables. Je pourrais jouer le jeu et faire comme si je ne savais pas ce qu’elle m’avait volé, mais ce serait user des mêmes méthodes que Monsieur Chapeau. Ce qui était hors de question. Je n’allais pas profiter d’une gamine de milieux défavorisés pour mon simple divertissement et business. C’était dégueulasse. Puis, elle n’avait pas le même cran ni le même talent que moi. Je la regardais simplement, avec mon sourire teinté d’un mélange d’innocence et d’espièglerie.

“Non, loin de là ! Je ne sais pas vraiment où aller, et ce petit parc me semble plus tranquille que le grand Parc Naturel, à vrai dire~”

“Ah, euh… Ok ?”, répondit-elle alors qu’elle semblait tenter de continuer son chemin. Pourtant, je l’attrapais gentiment par l’épaule, ce qui lui arracha un sursaut.

“Vous êtes certaine que vous allez bien, mademoiselle ? Avez-vous besoin de boire quelque chose ? Vous semblez pâle… Je n'ai pas envie que vous vous évanouissiez...”, m’inquiétais-je faussement.

Ensuite, je cherchais mon portefeuilles dans mes poches. Toutes. Faussant même l’angoisse de ne pas trouver mes biens à leur place, sous les yeux de l’adolescence.

“Oh, zut ! J’oubliais ! Il semblerait qu’une petite Nirondelle se soit invitée dans mes poches, quelques minutes plus tôt…~”

Je fis un petit clin d'œil assez inquiétant à la gamine qui s’apprêtait à courir. Merci à Kabuki d’avoir pris l'apparence d’un arbre pour bloquer son passage ! La pauvre était tombée au sol, presque sonnée par le choc. Psychique ? Physique ? Cela n’avait aucune importance ! Elle était à ma merci, maintenant. Et je comptais bien m’amuser un peu à lui faire peur~