Pour ne rien changer des bonnes vieilles habitudes, il se trouve que je fais la gueule. J'ai Sphen dans les bras autant pour le réconforter que pour me réconforter aussi. Déjà j'aimerais bien engueuler ce connard. Qui ça ? Je sais pas, j'ai pas demandé son nom. Tout ce que je sais c'est qu'il s'agit d'un militaire sérieux qui m'a surprise en train de déambuler ici, dans le Port Militaire. Et maintenant je suis coincée ici, mon crapeau-laitue dans les bras, à me faire questionner comme une vulgaire civile.

Il ne sert à rien de nous mentir. Nous cherchons seulement à déterminer pourquoi vous étiez ici, avec votre appareil photo et du matériel scientifique.

Mais combien de fois— Je suis venue ici rencontrer le major KY-ROS. On fait des RE-CHER-CHES pour voir si les déréglages CLI-MA-TI-QUES sont liés à la présence de pokémon PA-RA-DOXES. Vous comprenez ce que je vous dit ou faut vous faire un putain de dessin ?!

Ce que je trouve difficile à croire, mademoiselle, c'est que vous soyez ici, en zone militaire, pour rencontrer un major qui plus est... Et que vous n'avez sur vous aucune preuve d'identité. Peut-être que c'est ça que vous devriez me dessiner.

Oh je vais lui tordre le cou ! Sphen fronce les yeux, essaie de plaider notre cause en tant qu'individus libres de tous reproches. Mais ça ne sert à rien. Je comprends ce que veut dire le soldat. Son questionnement. Si j'étais effectivement une civile, ou pire une Feu Follet, alors il aurait toutes les raisons de m'arrêter. Et l'autre là qui ne se pointe pas. Enfin, peut-être qu'il est déjà au point de rencontre au bord de l'eau. Il n'a pas dû anticiper que je me ferais contrôler et ensuite sommairement arrêter pour avoir été surprise en train de prendre des échantillons d'eau.

D'accord, mais c'est la dernière fois que je vous raconte alors z'avez intérêt à prendre des notes ! Et à vous préparer à me relâcher avant que le major vienne vous enflammer, accessoirement.

La menace ne le fait pas réagir. Tss. Bien hâte que le Major Croque-Mitaine vienne lui instaurer la peur de Dieu. Dans l'immédiat, néanmoins, je commence mon récit....

J'étais arrivée avec de l'avance. Une bonne demi-heure d'avance. Même si je ne connaissais pas beaucoup le Major que l'on m'avait confié, le fait était qu'il avait l'air sérieux. Impatient. Solitaire aussi. Essayer de le faire attendre pendant que je prendrais mes échantillons serait... une expérience que je préférais éviter. Il allait rouler des yeux, souffler, faire les cents pas. Peut-être. Probablement. Autant faire la récolte toute seule et garder la recherche de spécimen pour quand il serait là. De toute façon je ne risquais pas grand chose, pas vrai ?

C'était l'idée en tout cas. J'avais sortit mon appareil photo, pris des clichés des structures environnantes. De l'eau aussi et des bateaux. Deux ou trois des oiseaux environnants, du ciel. De quoi avoir un portrait global, pour l'instant. Sans doute pas la meilleure idée dans une zone militaire, mais à ce moment là j'avais encore ma carte d'identité pendue au coup avec une lanière, protégée dans une petite enveloppe plastique. Pas de soucis à me faire, en théorie.

J'avais cessé les clichés, ouvert mon sac en bandoulière pour fouiller. J'avais amené un kit d'analyse de l'eau et de quoi prélever, transporter et identifier plusieurs échantillons divers. Le soucis ? Bah j'étais toute seule et le port est un peu plus élevé que l'eau quand même. Alors j'avais fait sortir Sphen pour lui  confier une éprouvette. Avec une liane il devrait facilement pouvoir la faire descendre au niveau de l'eau, la remplir et la remonter.

Fais attention, je crois que c'est venimeux ces trucs là.

Il avait remonté la liane, attendu que passe le venalgue. Et ensuite—

Retour au moment présent.

Je vais avoir besoin de saisir votre appareil photo dans ce cas. Vous n'êtes pas autorisée à—

Mais laisse moi finir mon histoire merde ! On arrive à la partie intéressante....

Sphen a réussi à me récolter l'échantillon et à me le donner. Je referme l'éprouvette, m'empresse d'imprimer une petite étiquette pour marquer l'endroit, la date et l'heure à laquelle l'eau a été prélevée. Pendant ce temps. mon bulbasaur me regarde avec une certaine fierté, tout content d'avoir pu participer. D'avoir aidé. Il est si mignon. Je m'en veux un peu, parfois, de ne pas avoir plus de temps à lui consacrer. Ça me fait me demander si je suis une mauvaise dresseuse. J'aurais fait une bien piètre mère après tout alors qu'est-ce qui me donnait la confiance de croire que je faisais meilleure dresseuse ?

C'est à ce moment qu'un bruissement dans l'eau attire notre attention : un babimanta. Si je n'en pense pas grand chose, mon fils vert est tout curieux, mais n'ose pas s'approcher du bord pour autant. Il observe de loin, timide. Allez, c'est une bonne opportunité pour nous d'avoir un vrai bon moment. Alors je range mon échantillon, me rapproche du bord en lui faisant signe de m'imiter. Je me retrousse les manches et me penche pour aller caresser le dos visqueux du babimanta du bout des doigts. Sphen me regarde d'un air ahuri, n'ayant visiblement même pas considéré cette éventualité. Trop mignon !

Tu veux pas essayer toi aussi ? Vas-y doucement il est tout petit.

J'ai envie d'ajouter "comme toi", mais me retiens. Mon assistant de laboratoire s'approche du bord, étend sa liane pour risquer le contact. Sa réaction est encore plus adorable. Il est tout content de l'avoir touchée et, en même temps, il regarde le bout de sa liane avec surprise. C'était vraiment un truc bizarre de toucher le dos d'une raie. Un truc nouveau pour lui. Et moi j'étais là, un peu conne, à m'amuser de tout ça. À allonger le bras aussi, penchée au dessus de l'eau, ma carte d'identité au cou.

Ce qui devait arriver arriva....

J'aime croire, dans la vie, que je suis quelqu'un d'organisé. Une personne sérieuse, à son affaire, qui est du coup difficile à prendre de court. Et, pourtant, il y a des choses qui me surprennent moi aussi. Que je ne vois pas venir. Genre me manger une grosse truite colorée dans la gueule par exemple. La queue qui me claque la joue, les trombes d'eau qui me sont jetés dessus par la trempette, mon équilibre qui menace dangereusement de me quitter.

Bulbaaaa!!

Les lianes de mon camarade s'enroulent rapidement à ma taille pour me tirer vers l'arrière, même si le fait est que son poids plume ne constitue pas le meilleur des ancrages. Maintenant allongée en travers du quai, je me remets lentement de mes émotions, encore sous le choc.

Mais c'est quoi cette jalousie agressive là hein ?! T'es qu'un rageux parce que personne veut t'en faire des câlins !!!

Une tirade qui a peut-être contribué à mon karma puisque, tout de suite après, je remarque le problème : j'ai encore la lanière, mais plus la carte d'identité. Elle en a été arrachée et j'ai un suspect en tête. Une grosse truite malcommode qui vient de ruiner ma journée. Et hop, ni une ni deux je suis sur mes pieds, la main dans mon sac à la recherche d'une pokéball.

RENDS MOI MA CARTE D'IDENTITÉ ESPÈCE DE THON !!

Et donc... votre carte d'identité.... a été mangée par un magikarp.

Exactement !

Enfin, il a compris ! Maintenant la situation va se régler d'elle-même et— Mais pourquoi il vient de sortir des menottes ?! Lâchant un soupir, le soldat ne semble pas du tout convaincu par mon histoire pourtant vraie.

Hey oh !

Je suis désolé mais si vous ne trouvez pas mieux comme histoire je vais être forcé de vous mettre en état d'arrestation. Même que, à ce stade, je devrais le faire pour avoir osé me raconter une histoire aussi débile en croyant que vous pourriez vous en sortir.

Je me fais courroucée, frustrée, choquée. Comment ça il ne me croit pas ?! Je ne vois pas ce qu'il y a de si extraordinaire que ça à mon histoire. J'ai été victimisée par un gros thon, c'est tout. Ça arrive. Régulièrement. À plein de gens.

Mais merde j'ai été honnête moi ! Il vous faut quoi, que j'aille le repêcher moi-même ?! Vous voyez bien le logo sur mon sac oui ? TRIS-ME-GIS ! Merde vous pourriez même juste faire un putain de téléphone pour voir que je mens pas !

Ce pauvre Sphen suis cette conversation qui ne fait qu'empirer, et monter en volume, de seconde en seconde. Il veut m'aider, trouver une solution. Il veut chasser ce militaire ou, mieux encore, trouver quelqu'un qui le pourra. Alors il se débat et, préoccupée par cette engueulade en bonne et due formes parce que l'autre con me gonfle, je laisse vaguement descendre Sphen pour mieux agiter l'index avec véhémence.

Intelligent, le bulbasaur a compris ce qui se passait et, surtout, comment il pouvait mettre fin à la situation : en allant chercher Sil— ! Ou en allant s'asseoir sur le bord de l'eau, la liane au large pour essayer de repêcher le poisson. Il jette des regards inquiets par dessus son épaule, trépigne sur place de ses petites pattes trapues. Pourvu que le magikarp se manifeste à nouveau ! Non, rien et la situation ne fait qu'empirer.

Sphen abandonne ou, plutôt, change d'objectif. Au petit pas de course il s'éloigne, commence à chercher un grand militaire qui, de son côté, cherche sa dresseuse. S'il peut seulement attirer son attention, le convaincre de le suivre... Il est inquiet, mais déterminé et, surtout, incroyablement mignon. Et la dernière partie c'est pas parce que je suis biaisée.

Mon petit héros court aussi vite qu'il le peut, porté par ses courtes jambes trapues. L'urgence le porte tout autant que son sens du devoir, son envie de me protéger. Lorsqu'il aperçoit enfin la silhouette du Major au loin, c'est un grand sourire qui illumine son visage de crapaud. Sa frimousse n'est ternie que par une arrivée inattendue qui le fait lever les yeux et s'arrêter net : un leviator. Bien plus grand, bien plus imposant que lui. Que ce petit bébé qui, s'il a l'avantage du type, n'a pas grand chose d'autre pour se défendre que sa bravoure. Mais du courage il en a. Assez pour planter ses petits pieds au sol et retourner la pareille au serpent de mer, s'époumonant pour le bien de sa mission.

Bulbaaaa !!!

Et là, le miracle : ça fonctionne. Et que personne ne vienne lui dire que c'est à cause de Silas. Que personne ne lui fasse remarquer que c'est le militaire qui a rappelé la créature des mers à l'ordre parce que, dans sa petite tête de laitue, c'est Sphen le vrai héros du jour. Celui dont le courage a su triompher, repousser l'ennemi et attirer l'attention de Silas. Lorsque ce dernier l'interroge enfin, c'est tout content, et un peu pressé quand même, qu'il entreprend de lui faire faire son chemin inverse.

Pendant ce temps, mon engueulade mutuelle avec le garde ne s'est pas arrangée. Il refuse de comprendre ou de faire la moindre vérification avec ses supérieurs. Il est convaincu que de m'arrêter est la bonne chose à faire et, surtout, la seule. Si seulement j'avais mis quelques jours de plus entre notre rencontre et notre première sortie. Peut-être que, comme ça, j'aurais eu l'occasion d'éveiller un ou deux gardes du corps préhistoriques pour lui faire regretter de m'avoir fait chier. Enfin, j'ai toujours Karis, mais pour le facteur intimidation on repassera. Pour l'heure je devrai me contenter de celui que l'on guide jusqu'à moi. Sa voix sévère se fait entendre, l'agacement présente dans son timbre riche et profond. Je crois bien que je suis excitée comme une enfant le jour de Noël, me tournant vers lui avec anticipation. Si j'étais un peu moins inhibée j'aurais sans doute lâché un bon gros : vas y défonce le !

Qu'est-ce qui se passe ici ? Satisfaite, le sourire arrogant, je croise les bras et me tourne moi aussi vers le soldat. J'attends sa réponse, sa honte, sa gêne. Je suis refaite. Il ose dire que je suis une civile, encore inconscient de la situation, Ça va lui retomber dessus et j'en jubile rien qu'à l'imaginer. Enfin, je n'aurai pas besoin de le faire bien longtemps : Silas est là pour faire de mes rêves une réalité. J'ai prévenu de son arrivée. Oop, tiens donc. Je me tourne encore vers le soldat, feignant la surprise pour en mettre bien épais dans le domaine de l'humiliation. Certes, il n'a pas tort en disant que je n'ai pas, ou plus, mes papiers, mais ce n'est pas non plus comme si j'avais refusé de décliner mon identité et qu'il n'avait pas un portable pour chercher mon nom et voir ma photo sur le site de l'Académie Uxie.

Finalement la conversation prend un tour inattendu. Silas n'est pas aussi remonté que je ne l'aurais aimé, concédant que la base est sur les nerfs depuis février. On ne peut pas tout avoir je suppose et c'est déjà bien que le Major soit venu à ma rescousse. Je laisse donc tomber mes grands airs et me penche pour plutôt récupérer Sphen dans mes bras pour un gros câlin bien mérité. Il est fatigué, mais fier d'avoir réussi son coup. Et puisqu'il est maintenant dans le champ de vision de tous, le plus haut gradé ne manque pas d'utiliser sa présence pour justifier une dernière pique. Cette arme potentielle avait pu passer sans surveillance pour aller chercher Silas. Une faille dans la sécurité à n'en pas douter. De mon point de vue ? Difficile d'être d'accord pendant que je lui gratouille son petit menton tout rond pour le récompenser d'avoir été un bon crapaud-laitue.

Si j'ai le droit à un regard noir, je me contente d'y répondre avec un autre sourire suffisant, accompagné d'un petit salut de la main. Bon débarras. Ce qui me laisse enfin seule avec mon sauveur. Lui est resté sérieux durant tout l'échange, professionnel. Alors, quand je me tourne vers lui, je laisse tomber le sourire, essaie de me faire plus droite moi aussi sans pour autant me départir de mon doudou.

J'ai bien essayé, mais ça m'a été refusé évidemment. Il avait tellement envie d'avoir raison qu'il s'est pas arrêté un seul instant pour se demander si son zèle n'allait pas faire plus de tort que de bien.

Une phrase que, si j'étais moindrement plus self-aware, je ferais imprimer pour mieux l'accrocher dans mon bureau. Et j'en offrirais sans doute une copie à Silas aussi.

Au moins il n'a pas touché à ma sacoche et aux échantillons que j'ai eu le temps de prélever avant votre arrivée. Malheureusement je n'ai pas pu terminer du coup, mais ça nous permettra déjà de récupérer un peu du temps que ce type nous a fait perdre.

Je fais des petites gratouilles derrière l'oreille de Sphen. Il est aux anges et, vu le contexte, ça me donne envie de parler de lui rien qu'un peu. De le mettre à l'honneur.

Je vois que vous avez rencontré Sphen. Il n'a pas eu trop de mal à vous ramener on dirait.

Il est vrai que, contrairement à moi, les soldats d'ici ont tout intérêt à s'attirer les bonnes faveurs du Major. Il est leur supérieur hiérarchique et peut donc faire de leur vie un enfer ou, au contraire, laisser un bon mot dans leur dossier pour faciliter une promotion future. Normal, dans ces conditions, qu'ils soient zélé. J'étais un peu gênée d'avoir besoin qu'on me le dise pour que je réalise la dynamique de pouvoir à l'oeuvre, mais telle était ma nature. Je n'avais jamais été douée pour la hiérarchie et la politique en lieu de travail.

La conversation avait ensuite, de mon fait, bifurqué vers Sphen. Moi qui pensais profiter du moment pour les présenter, n'ayant toujours pas compris que le Major avait été assez attentif pour remarquer le bulbasaur la veille sans que je n'aie besoin de faire quoi que ce soit, j'allais vite être déçue. Non, ce n'est pas le mot. Refroidie. C'est que, selon le Major, mon assistant de laboratoire aurait pu être abattu. Même que, vu comment il le formule, sans doute considère-t-il qu'il aurait dû l'être. Impossible, en ces circonstances, de ne pas me renfrogner en serrant mon camarade plus fort contre moi. Le concerné semble avoir compris qu'un truc se passe parce que lui aussi se fait inquiet, levant ses grands yeux rouges vers moi avec interrogation.

Je sais qu'il a raison. Que c'était une possibilité, que c'était sans doute ce qui aurait dû se passer si les gens faisaient bien leur travail. Et puis je me sais hypocrite. Combien de fois par le passé ai-je conduit des expérimentations sur des Pokémons ? Je ne suis pas toute blanche. J'ai laissé mon travail affecter la qualité de vie de Pokémon qui n'avaient pas de dresseurs, qui n'avaient personne pour les aimer. Pas de surnom non plus. C'est pour ça que Sphen a le sien, pour le distinguer de tous les clochards qui échouent dans mon laboratoire et sur lesquels j'expérimente sans vergognes. Comment en vouloir à Silas ? J'acquiesce simplement, silencieuse et le regard perdu.

L'atmosphère est plus lourde d'un coup. Je perçois, dans mon champ de vision, sa main qui remonte pour se perdre momentanément dans ses cheveux. Je me demande s'ils sont doux. Question étrange de curiosité mal placée. Vaut mieux me concentrer sur les échantillons, comme il dit.

On avance.

Pas plus de cérémonie ou d'explications. Je laisse simplement Sphen retourner au sol avant de tourner les talons pour mener notre avancée vers un bout du quai que je n'ai pas encore exploré. Je fouille dans ma sacoche pour en sortir mon portable tout en regardant ça et là pour un endroit qui serait plus intéressant que les autres. Une fois mon dévolu jeté, j'appuie sur le bouton d'enregistrement comme si je n'avais jamais été dérangée par le soldat.

Bigorn'eau, Port Militaire. Échantillon numéro 8. Type d'échantillon : prélèvement d'eau. Clichés 37 à 40. 9h24 le [XX] du mois de [XXX] 2324.

Je range mon portable, m'arme de mon appareil photo pour prendre les trois clichés annoncés histoire de situer l'échantillon et d'avoir une bonne idée, même après coup, de l'endroit où le prélèvement a été fait pour le remettre dans son contexte. Je ne m'arrête qu'au moment du troisième cliché, lorsqu'une ombre gigantesque apparaît dans mon viseur. Surprise, le coeur battant soudainement beaucoup plus vite, je me retourne vers Silas. Il l'a vu lui aussi, pas vrai ? C'est pas que moi ? Je ne suis pas folle ?

Je... Y'a un Léviator dans l'eau !

Et la prochaine fois, s'il ne veut pas que je réagisse comme ça, peut-être que ça pourrait être une idée de me prévenir d'avance que c'est le sien.

J'aurais dû m'y attendre : le Major n'était aucunement ému. Pire, il soulignait m'avoir lui-même confirmé la présence de Léviator dans les environs. Et... c'est tout ? Pas de précautions à prendre ? Pas de mouvement de recul ? De protocole à suivre pour notre sureté ? Non puisque le Major s'est visiblement payé ma tête. Il siffle, appelle la bête chromatique à lui. Un immense serpent de mer, noir et or, dont le regard sans pitié tombe sur nous. Sa léviator.

Je vois....

Un regard est échangé avec Sphen et ce dernier s'empresse de modifier sa posture, de se planter sur ses pattes et de reprendre un air courageux. Nouveau sifflement, le serpent est éloigné. Le crapaud-laitue a encore gagné ! Il bombe le torse, tout fier, avec un grand sourire de satisfaction. Moi ? Je suis un peu rassurée et en même temps... Un peu ennuyée. À quoi serviront les échantillons ? C'est bien le problème.

Normalement c'est une bonne façon de prendre connaissance de l'état des lieux et, dans le cas qui nous intéresse, de voir si les changements climatiques récents ont un lien ou un impact sur la qualité et la composition des échantillons. Par exemple, on pourrait déterminer qu'un taux élevé de toxines dans l'eau suggère la présence d'une concentration de Pokémon poison ou la présence d'une substance à l'effet similaire, ce qui nous permet ensuite de savoir dans quel secteur il sera approprié de faire des recherches plus poussées par la plongée par exemple.

Je prends mon dernier cliché maintenant que l'ombre est partie, mais c'est une question de principe surtout. Je me tourne donc vers Silas, l'air fatiguée.

Malheureusement puisque quelqu'un a décidé de libérer un Pokémon hautement dangereux dans les eaux du port sans considération pour l'impact possible d'une telle présence dans l'eau, ça complique pas mal les choses. Par exemple s'il y avait ici un banc de petits poissons susceptibles de nourrir le ou les responsables des variations climatiques récentes, ce qui pourrait autant être un Léviator qu'un Pokémon Paradoxe, et que l'arrivée de votre pokémon les a fait fuir, nous avons perdu une opportunité en or d'extrapoler à partir de leur présence et d'en tirer des conclusions importantes. C'est pour cela qu'il est important de faire ces recherches de manière aussi discrète et mesurée que possible, pour ne pas brouiller les pistes par des interactions inutiles et potentiellement destructrices.

Je soupire, me frotte le front avec la main pour ne pas risquer de ruiner mon maquillage en me frottant directement les yeux. Je suis fatiguée, mais j'essaie de voir le positif.

Concrètement ce n'est pas grave, je ne pensais pas trouver grand chose ici. Comme je l'ai dit le but d'aujourd'hui est justement d'apprendre à travailler ensemble et régler ces soucis de communication qui pourraient nous coûter cher lors d'une vraie sortie d'exploration.

Mes remarques ne plaisent pas. L'homme est aussi fier que borné et, mis en cette position de faiblesse d'avoir fait quelque chose de nuisible à notre entreprise, il se met sur la défensive. Il tente de justifier, d'expliquer qu'il s'agit du lieu d'où elle provient. De là, comment pourrait-elle avoir un impact ? De la même façon qu'un petit garçon natif de je ne sais quelle ville pouvait la quitter, subir un entraînement intensif et revenir en tant que Major. Il n'était plus la même personne, du tout.

Je me prépare à profiter du premier silence possible pour contre-attaquer, lui faire réaliser en quoi sa logique est bancale. Sauf que je n'ai pas devant moi l'un de mes collègues scientifiques, mais bien un homme de l'armée. Un individu qui, avant de beugler les ordres, a du apprendre à les suivre. À comprendre son rôle dans une opération et la nécessité d'apprendre, de s'adapter et même, oui, à travailler en équipe. Quelle belle surprise donc de le voir se calmer de lui-même et ravaler son ego pour plutôt admettre ne pas avoir réfléchi. Un véritable vent de fraîcheur ! Ça me donne envie d'aussi faire ma part du chemin pour le retrouver dans le milieu, métaphoriquement.

Ça va, c'est aussi ma faute. Si nous nous étions trouvés plus tôt j'aurais pu vous prévenir.

Ce n'est pas comme s'il avait l'habitude d'assister des chercheurs après tout. Cette expérience était, pour moi comme pour lui, totalement nouvelle. C'est pour ça que cette sortie d'entraînement était aussi cruciale. Elle nous permettrait de lisser les imperfections de notre coopération. Tourné lui aussi vers l'avenir et vers ce qui pouvait encore être fait, c'est justement Silas qui me demande s'il est trop tard pour la rappeler.

Effectivement. Il faudrait attendre un certain temps pour que le port retrouve son état neutre. Ceci étant dit, tout n'est pas perdu. On peut profiter de l'occasion pour que vous me présentiez votre Léviator, voir vos autres pokémons. Je peux en faire de même avec les miens. En nous familiarisant avec nos équipes respectives, nous nous ouvrons plus de possibilités sur le terrain et nous saurons quoi faire en cas d'imprévu lorsque nécessaire.

La suggestion est lancée et je me prépare mentalement à rencontrer un Léviator de très près. Ou pas. Un peu confus, Silas se contente d'énumérer une liste de pokémon, les désignant tous par leur espèce. Puis il s'empresse de rajouter que c'est temporaire, que le reste de son équipe lui sera bientôt rendu. Voilà qui m'en apprend beaucoup. Déjà : comment ça on lui a enlevé des pokémons ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Quant au pyronille qui n'est pas mentionné... Il n'était donc pas à lui ? Peut-être un spécimen sauvage qui avait élu domicile sur son épaule hier à son insu ? Ou alors c'était le seul qui ne comptait pas comme une arme ? Un compagnon alors ? Dur à dire.

Loin de s'attarder, il passait déjà à ma propre équipe, se faisant violence pour désigner Sphen par son nom plutôt que de l'omettre en faveur de son espèce. Avais-je qui que ce soit de taillé pour la défense ? Encore une fois cette notion d'arme. De dangerosité. C'est plus qu'une petite réticence, c'est une fixation à ce stade, une névrose. Se pourrait-il que son visage ait été défiguré par un pokémon ? Ça expliquerait pourquoi il se concentrait sans cesse sur leur potentiel destructeur.

Peut-être qu'un exemple sera plus parlant.

Sans trop m'éloigner de l'eau, je me dirige vers un endroit du port qui nous offre un peu plus d'espace. Assez, en tout cas, pour que nous puissions faire parader nos camarades. Le premier est déjà dehors donc autant commencer par lui.

Sphen est avec moi depuis que je suis enfant. Il me connait mieux que personne et m'aide souvent de ses lianes en plus de m'offrir du support psychologique lorsque nécessaire.

Il se redresse, son visage s'illumine d'un sourire fier alors qu'il rebombe le torse, tout content que je fasse ses louanges devant public. Il se sent validé, utile. Adorable. Je décroche une balle de ma ceinture, libère Nova. L'evoli apparait paresseusement, sa grosse queue touffue s'agitant quelques fois pendant qu'elle remet les poils de sa crinière en place de ses jolies pattes. Lorsque la renarde remarque Silas, elle le détaille curieusement du regard, avant de me demander silencieusement ce qu'il en est. Malheureusement pour elle, je décide de l'ignorer pour l'instant.

Nova. Elle ne sert pas à grand chose, mais elle est jolie. Et elle a beaucoup de caractère. À terme je crois qu'elle pourrait être entraînée pour combattre, lorsqu'elle sera plus vieille.

Elle s'offusque, crachotant en ma direction alors que son poil s'hérisse. Heureusement Sphen est là pour la réconforter d'un petit pat pat dans le dos. C'est beau de les voir ensemble comme ça, mais je n'ai pas fini. C'est au tour de mon chiot : Canis. Une petite bestiole surexcitée qui sort en se courant après la queue, décrivant des vrilles sur place dès qu'il a fini d'apparaître. Lorsqu'il l'attrape il s'en désintéresse et saute plutôt sur celle de Nova pour la mordiller, s'attirant au passage des coups de patte furibonds.

Canis. Il n'est pas encore très discipliné, mais je l'entraîne à suivre les odeurs. Il m'a permit de retrouver mes clés égarées plusieurs fois. Dommage qu'il ne puisse pas faire pareil pour mes papiers d'identité....

Au moins c'est moi qui l'ai dit, même si ça fait un peu pathétique. Bref ! Vient alors le tour de Karis, petite créature cliquetant au sol, se mouvant tel un mille-patte un peu nerveux alors que ses gros yeux ronds détaillent eux aussi Silas.

Karis est un spécimen d'étude d'abord et avant tout. Il m'a simplement adoptée et maintenant je le laisse m'accompagner. Très utile lorsque j'ai besoin d'atteindre un truc dans un espace étroit.

Plus que deux. Mon oiseau fait son apparition en chantonnant et, heureux de prendre l'air, vient se poser sur mon épaule d'où il dévisage l'inconnu à son tour avant de commencer à se nettoyer les ailes. Même s'il est jeune, son regard est vif, sa posture confiante. Il regorge de potentiel et n'attends que son occasion pour briller, je le sais.

Bates. C'est une teigne qui m'a défendu plus d'une fois. Encore une fois très utile pour atteindre des trucs qui sont hors de portée. Parfois il fait une sieste sur mon portable et comme ça il est rechargé pour quand j'en ai besoin.

Je n'ai plus qu'un pokémon sur ma personne, Felis, Ursa et Tela étant restés à la maison. C'est donc la princesse Toxo, ou juste Princesse de son surnom, qui fait son apparition avec grâce et puanteur. À la vue de Silas, elle se cache partiellement le visage d'une main, faisant mine de rougir, tout en le saluant de l'autre avec un sourire charmé. Incorrigible celle-là ! Déjà en train de lui faire du charme !

Ne soyez pas trompé par les apparences. Malgré sa bouille mignonne et ses belles manières, Toxo est mon garde du corps habituel. Je ne sors jamais sans elle. Elle frappe fort et sait ouvrir les pots de cornichon. J'ai aussi, à la maison, un Meowth, une Teddiursa et une Skelenox. Ils sont restés au labo aujourd'hui. N'hésitez pas à interagir avec mes petits camarades du jour pour qu'ils apprennent à vous connaître et à vous faire confiance. Ça pourrait être utile.